Affaire de Ris-Orangis : que faut-il retenir du jugement du 16 mars 2017 ?

Photo issue du site du tribunal administratif de Versailles

La Revue des Droits de l’Homme de ce 6 juin 2018 publie la « Chronique de droit des discriminations » pour la période octobre 2016-mars 2017. À propos du jugement rendu par le tribunal administratif de Versailles le 16 mars 2017, Thomas Dumortier écrit : « En application du principe d’égalité (et non du principe de non-discrimination), un traitement différencié des enfants ne pouvait être fondé, rappelle le juge, que sur des considérations objectives en lien avec le but poursuivi par le service public de l’éducation »1RevDH 6 juin 2018, §§ 33 et s., spéc. 37 (je souligne)..

Le droit à l’éducation (ou à l’instruction) n’est pas visé par le chroniqueur, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de la rédaction de ce jugement2TA Versailles, 16 mars 2017, M. et Mme M., n° 1300665 ; taper ce numéro de requête dans le pdf de ma thèse permet d’accéder directement à mes notes de bas de pages 870, 909 et 1132, n° 1472, 1717 et 3130. Cela n’avait pas empêché le Défenseur des droits (DDD) de faire référence à celui à l’éducation dans un communiqué3DDD, 14 avril 2017, https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/actualites/le-defenseur-des-droits-condamne-fermement-la-discrimination-subie-par-des-enfants (page indisponible au 29 sept. 2024) ; comparer Asefrr, ERRC, GISTI et LDH, « Classe spéciale « roms » de Ris Orangis : rupture d’égalité ou discrimination ethnique ? », communiqué du 2 mai 2017.

L’ERRC – European Roma Rights Centre – était parmi les associations autrices avec le MRAP d’une intervention en demande devant le TA4Associations représentées par Me Lionel Crusoé, auteur de ce texte de 16 p. ; rendue quant à elle en 2009-2010 par le Comité européen des droits sociaux (CEDS), la décision Centre européen des droits des Roms (CEDR) c. France (n ° 51/2008) est présentée dans ma thèse pp. 903-9045Concernant cette association, v. aussi la note n° 1465 à propos de la « tension » soulignée par Eric Fassin dans « La « question rom » » (in E. Fassin, C. Fouteau, S. Guichard et A. Windels, Roms & riverains. Une politique municipale de la race, La Fabrique, 2014, p. 7, spéc. pp. 16-17) ; cet article est encore cité à propos de Romeurope, dont est issu le Collectif pour le droit des enfants roms à l’éducation (le CDERE, entrée qui conduit notamment à la page 1142), lequel a saisi plusieurs fois le DDD (pp. 1130 et s.)..

Photo issue du site de la CGT FERC, 1er octobre 2014

Dans un entretien avec Matthieu Bonduelle, réalisé le 29 septembre 2017 et publié au début de l’année, le DDD affirme : « quand nous enjoignons à des maires de scolariser des enfants étrangers et qu’ils persistent à refuser de le faire, il peut se passer du temps avant que nous obtenions gain de cause »6Jacques Toubon, « La “réalité” est devenue une excuse », Délibérée févr. 2018/1, n° 3, p. 75, spéc. p. 77 (à propos d’injonctions prononcées cette année par le même TA de Versailles, v. ce billet)..

L’implication du Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (Gisti) concernant les « expulsions de terrains des populations roms (ou dites telles) et toutes les formes de discriminations à leur égard, à commencer par les refus de scolarisation des enfants », est quant à elle rappelée par celle qui en fut, de 1985 à 2000, la présidente7Danièle Lochak (entretien avec, par Armelle Andro, Sarah Mazouz et Patrick Simon), « Défendre la liberté de circulation », Mouvements 2018/1, n° 93, p. 181, spéc. p. 194 : à la page précédente, la professeure, qui a été aussi vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme, revient sur « la première affaire du foulard, en 1989 [, en procédant à une comparaison intéressante des] réactions qu’elle a suscitées au sein de la LDH et au sein du Gisti », où « il n’a pas été possible, à l’époque, de dégager une position consensuelle » en soutien des élèves exclues..

28/32 Alberto Campi (collectif We Report) ©

Ajouts au 26 août 2018 avec8Outre ce renvoi au billet de ce jour à propos du foulard. d’une part, cet extrait du journaliste Blaise Gauquelin, « Des Roms se mobilisent à travers l’Europe pour dénoncer le racisme », Le Monde le 13, p. 4 : « (…) Au mois de janvier, le gouvernement slovaque a présenté un plan de lutte contre la « criminalité rom ». Du pur « racisme institutionnel » émanant d’un ministère tenu pourtant par un parti social-démocrate (SMER-SD), selon le Centre européen pour les droits des Roms. (…) La Slovaquie entend aussi mettre en place un registre des délits commis spécifiquement au sein de cette communauté (…). « Mais cette loi ne passera pas (…) », assure un participant à la manifestation hongroise [qui] se félicite : « C’est plutôt nouveau de voir des Roms défiler dans toute l’Europe contre le racisme. Nous sommes en train de constituer un véritable réseau transnational » » (je souligne).

Un extrait, d’autre part, du sociologue Arthur Vuattoux (entretien avec, par Anaïs Moran), « Justice des mineurs : « Les garçons se retrouvent plus souvent en prison que les filles » », Libération.fr 23 août 2018 : il revient sur le « traitement judiciaire des adolescentes roms, appelées au tribunal « jeunes filles roumaines », alors qu’elles ne sont pas toutes roumaines ! Ces adolescentes, poursuivies à Paris pour des vols sur touristes, écopent régulièrement de peines de prison ferme. Un cas très rare pour des filles dans la justice des mineurs. En réalité, ces adolescentes ne correspondent pas à la figure que s’est forgée l’institution de la délinquance des mineures : elles ne veulent pas donner l’identité de leurs parents, certaines ont déjà des enfants… De fait, leur appartenance ethno-raciale et leur manière d’agir les font sortir, aux yeux des professionnels, de la catégorie « adolescente ». Elles sont dès lors jugées comme des adultes, ou tout au moins comme les délinquants garçons. Cela nous rappelle, d’un point de vue sociologique, l’importance d’étudier le genre sans oublier les enjeux de classe ou d’appartenance ethno-raciale ». D’un point de vue juridique, leur « vulnérabilité particulière (…) en ce qui concerne leur droit à l’éducation », a pu être soulignée par le CEDR devant le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CoEDEF ; v. page 792).

Ajout au 15 septembre 2018 (complété par cette brève vidéo le 31 décembre) : dans un texte publié cette année, Éric Fassin revient sur l’« hyper-représentation de la « question rom » dans l’espace public – et en même temps la non-représentation du traitement de ces populations par les pouvoirs publics » (« Politiques de la (non-) représentation », Sociétés & Représentations 2018/1, n° 45, p. 9, spéc. p. 12). En refusant d’analyser directement la décision du maire de Ris-Orangis comme une atteinte discriminatoire au droit à l’éducation, le jugement du 16 mars 2017 participe de « l’effacement » (p. 18) critiqué par le sociologue au plan médiatique. Il termine sa présentation du dossier coordonné avec Marta Segarra par la contribution « de la jeune juriste et militante Anina Ciuciu » (p. 26) ; cette dernière remarque notamment : lorsqu’elle a lieu, « la défense de nos droits est exercée en nos nom et place par des « experts », ce qui nous entretient dans une relation de dépen­dance : même avec nos alliés, c’est reproduire une structure de domination » (« Nous représenter », p. 107, spéc. p. 112).

Actualisation début août 2024, pour (enfin) citer CE Ord., 19 déc. 2018, Commune de Ris-Orangis, n° 408710 ; AJDA 2019, pp. 15 et 640, obs. Emmanuelle Maupin et concl. Sophie-Justine Lieber (qui me les avait très gentiment transmises, avant leur publication) ; AJCT 2019, p. 211, obs. Nelly Ferreira ; LIJMEN mai 2019, n° 206 ; CE, 8 déc. 2023, Commune de Ris-Orangis, n° 441979 ; LIJMEN mars 2024, n° 229

Transformation en notes de certaines parenthèses de ce billet le 29 septembre, en ajoutant deux références : BJCL 2024, comm. 4, concl. Raphaël Chambon, elles-mêmes mentionnées au seuil du commentaire de Cécile Chassagne, intitulé « Le maire et l’État coauteur de la décision de scolarisation », JCP A 2024, 2244 (en remerciant Denis Jouve pour me l’avoir signalé) : l’annotatrice revient tout d’abord sur « la répartition des compétences en matière éducative entre l’État et la commune », avant de noter qu’en l’espèce, l’« implication des services de l’État n’est pas contestable, ils ont bien participé à la réalisation de la décision du maire [en tant qu’exécutif de la collectivité (locale)] ». Elle remarque plus loin que « cette collaboration étroite a pu inciter le Conseil d’État à reconnaître une responsabilité in solidum de l’État et de la commune de Ris-Orangis ». Entretemps, elle rapproche à juste titre cette affaire et celle ayant conduit à un arrêt rendu par la première section de la Cour Européenne des Droits de l’Homme9CEDH, 5 juin 2008, Sampanis et a. c. Grèce, n° 32526/05 ; v. mes pp. 860-861, en notant cependant que la juridiction française « a choisi de ne pas se placer sur le terrain de la discrimination envers cette population, mais plutôt de considérer la rupture d’égalité entre les usagers du service public ».

Notes

1 RevDH 6 juin 2018, §§ 33 et s., spéc. 37 (je souligne).
2 TA Versailles, 16 mars 2017, M. et Mme M., n° 1300665 ; taper ce numéro de requête dans le pdf de ma thèse permet d’accéder directement à mes notes de bas de pages 870, 909 et 1132, n° 1472, 1717 et 3130
3 DDD, 14 avril 2017, https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/actualites/le-defenseur-des-droits-condamne-fermement-la-discrimination-subie-par-des-enfants (page indisponible au 29 sept. 2024) ; comparer Asefrr, ERRC, GISTI et LDH, « Classe spéciale « roms » de Ris Orangis : rupture d’égalité ou discrimination ethnique ? », communiqué du 2 mai 2017
4 Associations représentées par Me Lionel Crusoé, auteur de ce texte de 16 p.
5 Concernant cette association, v. aussi la note n° 1465 à propos de la « tension » soulignée par Eric Fassin dans « La « question rom » » (in E. Fassin, C. Fouteau, S. Guichard et A. Windels, Roms & riverains. Une politique municipale de la race, La Fabrique, 2014, p. 7, spéc. pp. 16-17) ; cet article est encore cité à propos de Romeurope, dont est issu le Collectif pour le droit des enfants roms à l’éducation (le CDERE, entrée qui conduit notamment à la page 1142), lequel a saisi plusieurs fois le DDD (pp. 1130 et s.).
6 Jacques Toubon, « La “réalité” est devenue une excuse », Délibérée févr. 2018/1, n° 3, p. 75, spéc. p. 77 (à propos d’injonctions prononcées cette année par le même TA de Versailles, v. ce billet).
7 Danièle Lochak (entretien avec, par Armelle Andro, Sarah Mazouz et Patrick Simon), « Défendre la liberté de circulation », Mouvements 2018/1, n° 93, p. 181, spéc. p. 194 : à la page précédente, la professeure, qui a été aussi vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme, revient sur « la première affaire du foulard, en 1989 [, en procédant à une comparaison intéressante des] réactions qu’elle a suscitées au sein de la LDH et au sein du Gisti », où « il n’a pas été possible, à l’époque, de dégager une position consensuelle » en soutien des élèves exclues.
8 Outre ce renvoi au billet de ce jour à propos du foulard.
9 CEDH, 5 juin 2008, Sampanis et a. c. Grèce, n° 32526/05 ; v. mes pp. 860-861