Renforcer les obligations des départements, pour protéger les droits des jeunes majeur·e·s

Il y a un peu plus de trois mois, le Conseil d’État rendait deux décisions présentées comme énonçant les « obligations du département en matière d’accompagnement d’un jeune majeur » (Jean-Marc Pastor, obs. sous CE, 21 déc. 2018, M. A., n° 420393 et 421323 ; AJDA 2019, p. 14). Elles concernaient deux jeunes majeurs du même âge ; ils vivent en Isère, ont les mêmes initiales et sont respectivement né au Mali et de nationalité guinéenne (selon les requêtes, le propos se concentrant ici sur la première).

La juridiction ne se prononce qu’au regard des lois françaises, en particulier celle du 14 mars 2016. Elle en déduit une obligation pour la présidence des conseils départementaux « de ne pas interrompre l’année scolaire ou universitaire engagée », ces derniers termes étant repris du septième alinéa de l’article L. 222-5 du Code de l’action sociale et des familles (CASF).

Photo issue du site tpf-i.fr, 14 nov. 2017

Dans son ordonnance n° 1801442 du 30 mars 2018, le tribunal administratif de Grenoble contestait cette rupture de scolarité, alors même qu’il constatait que M. A. était en UPE2A (« unité pédagogique pour élèves allophones arrivants ») au lycée Emmanuel Mounier ; en posant comme « condition que la formation suivie permette d’obtenir un diplôme ou une qualification, le juge des référés a commis une erreur de droit » (cons. 3, 4 et 5).

Posant une présomption (simple) d’urgence, le Conseil d’État identifie en espèce un « doute sérieux sur la légalité » de la décision attaquée – refus d’un accompagnement en tant que jeune majeur –, solution qui « implique nécessairement » injonction d’en prendre une nouvelle « dans un délai de quinze jours » (cons. 9, 12 et 14), mais neuf mois plus (trop ?) tard.

Cette solution garantit indirectement le droit à l’éducation ; si la juridiction administrative voulait s’affirmer gardienne des droits des personnes[1], elle aurait pu s’y référer explicitement en faisant le lien entre les dispositions législatives pertinentes – celles du Code de l’éducation – et l’obligation internationale de le protéger (v. ma thèse, pp. 1178-1179 et 1214-1215).

Lorsque les collectivités publiques sont confrontées à des demandes de scolarisation, plusieurs arguments sont généralement objectés. Le premier tient dans la référence à la prétendue obligation « scolaire », s’agissant d’enfants de moins de seize ans : le droit à l’éducation déborde l’obligation d’instruction, historiquement pensée pour protéger les enfants de leurs parents, cependant que l’école publique s’ouvrait sur le fondement de la liberté de conscience ; s’y référer plutôt qu’aux obligations des collectivités publiques, corrélatives au droit à l’éducation, cela revient à le rendre inutile en le privant d’autonomie. L’éducation est un droit des personnes – y compris adultes –, qui implique des obligations tournées vers sa réalisation (ainsi de celle d’assiduité scolaire, pour les enfants)[2].

Photo tweetée par Haydée Sabéran le 2 mars 2019 : « Calais, l’ex-Centre Jules Ferry de l’ex-jungle »

Ce droit à l’éducation, qui conduit à renouveler l’approche en termes de service public dans une logique d’État de droits[3], n’est pas toujours invoqué quand il pourrait l’être. Par exemple, dans un arrêt rendu le mois dernier, la Cour européenne a condamné la France pour « traitement dégradant » d’un enfant de douze ans : il « n’a pas bénéficié d’une prise en charge par les autorités » (l’ordonnance du juge des enfants le concernant étant restée inexécutée[4]), et « il en allait ainsi de la majorité des mineurs isolés étrangers du Calaisis »[5]. L’arrêt reprend les affirmations du Défenseur des droits et de la CNCDH[6], mais la Cour ne se prononce pas sur le « droit à l’instruction » (selon la formule conventionnelle) ; peut-être aurait-elle fourni la même réponse qu’à propos des articles 8 de la Convention, et 1er du Protocole n° 1[7], mais il est remarquable que la violation de son article 2 n’ait pas été alléguée.

Dans sa décision EUROCEF c. France (24 janv. 2018), le Comité européen des droits sociaux (CEDS) note que la plupart de ces enfants « arrivant en France ont entre 16 et 18 ans » (§ 124, déjà cité dans mon billet du mois dernier[8]) ; leur minorité se trouve souvent contestée : ainsi, « certains documents d’état civil sont rejetés par l’administration. C’est systématiquement le cas par exemple des actes de naissance de Guinée, premier pays d’origine des mineurs isolés en France, devant la Côte d’Ivoire et le Mali »[9]. Il leur est alors fréquemment demandé de se soumettre au « test osseux de Greulich et Pyle », établi « à partir d’observations relevées sur une population d’enfants nord-américains entre 1931 et 1942 »[10]

Dessin d’Aurel pour Le Monde.fr 10 déc. 2013

À cet égard, le Conseil constitutionnel vient justement de répondre à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l’avocate d’un jeune Guinéen : nonobstant la « marge d’erreur significative » que « les résultats de ce type d’examen peuvent comporter », et « compte tenu des garanties » établies par le législateur, ce dernier « n’a pas méconnu l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant découlant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 »[11] ; pour les associations intervenantes, des enfants et adolescent-e-s « risquent, sur la base de tests non fiables, de se retrouver exclu-e-s de toute protection, à la rue, sans accompagnement social, sans scolarisation et être exposé·es aux violences induites par cet environnement précaire et dangereux »[12].

Si cette décision précise les fondements constitutionnels de « l’intérêt de l’enfant » – en ajoutant le terme « supérieur »[13] –, cela n’apporte rien aux personnes tenues pour majeures. Il y a un an, peu avant l’ordonnance annulée par le Conseil d’État[14], il était demandé en vain la création officielle, en Isère, d’une « mission d’information et d’évaluation sur la situation des Mineurs Non Accompagnés » ; « la sortie du dispositif pour les jeunes majeurs » était au nombre des préoccupations des élu·e·s du Conseil départemental, lesquel·le·s décideront de rédiger un rapport (disponible en ligne)[15]. Dans la quatrième partie, consacrée à l’« accès aux droits », le chapitre III porte sur le « droit à l’éducation et à la formation concernant le public MNA »[16].

Si la situation s’est durcie dans les centres d’information et d’orientation, évoqués page 50, c’est aussi en raison des suppressions massives de postes liées aux fusions de CIO ces dernières années[17]. Selon le rapport, l’effectivité du « droit à l’enseignement » en Isère est surtout remise en cause pour « les jeunes ne relevant pas ou plus de l’ASE, car n’ayant pas été reconnus mineurs, ou étant dans la période d’évaluation de minorité, ou devenus majeurs » ; « il existe des différences notables en termes de politiques publiques entre les départements sur l’accompagnement des 18-21 ans », et « le couperet que constitue l’anniversaire des 18 ans est complètement déconnecté de la capacité [des jeunes] (…) à devenir autonomes sans une aide, soit de la famille, soit de la collectivité dans le cas des mineurs non accompagnés »[18].

Photo issue du site d’Amandine Germain (10 oct. 2012), élue cosignataire du rapport précité

En référé, une ordonnance du tribunal administratif de Melun (21 mars 2018), déjà fondée sur le CASF précité, n’avait pas été remise en cause par le Conseil d’État, le 13 avril[19]. Celui de Grenoble en tenait compte rapidement, en complétant le considérant de principe par cette précision : l’accompagnement départemental « doit permettre à l’intéressé de bénéficier de conditions matérielles suffisantes pour ne pas interrompre en cours d’année scolaire une formation débutée sous la protection de l’aide sociale à l’enfance » (ASE) ; en l’espèce toutefois, et dans deux cas sur trois – dont celui d’une jeune femme[20] née en Côte d’Ivoire, « qui n’a pas été scolarisée en France » –, il désavouait le département en se fondant seulement sur l’état de santé de ces jeunes majeur·e·s[21].

Faisant de même, un autre juge des référés a été approuvé, plus récemment, moyennant une reformulation conformément aux décisions du 21 décembre[22] ; les réitérant, il y a dix jours, le Conseil d’État a néanmoins interprété restrictivement la notion d’« année scolaire pour l’achèvement de laquelle le département aurait été tenu de lui proposer un accompagnement », alors même que l’article L. 337-3-1 du Code de l’éducation, qu’il cite, se référait à un « statut scolaire » en CFA (et renvoie, depuis le 1er janvier, à une « classe »)[23].

Après que « la fin des sorties sèches » de l’ASE a été présentée, le 21 février, comme l’un des « sujets prioritaires » du Gouvernement dans sa relation avec les départements[24], une « source parlementaire LREM » a annoncé, pour « début mai », l’inscription « à l’ordre du jour de l’Assemblée » de la proposition de loi rapportée par Brigitte Bourguignon (L’Obs avec AFP 5 mars 2019 ; pour écouter la députée le… 17 juillet dernier, v. RFI, là aussi in fine) ; l’article 2 de ce texte prévoit de renforcer les obligations des départements, en prolongeant l’accompagnement des jeunes le temps de « leur scolarité au lycée ou [du] cycle universitaire engagé ».

Son adoption ne signerait cependant pas la fin de leurs difficultés : l’ex-directeur de l’Ofpra déclarait il y a peu qu’avec « des politiques migratoires très restrictives, le droit d’asile a du mal à survivre »[25] ; le droit à l’éducation aussi. Début mars, le DDD notait qu’« une forme de « criminalisation des migrations » (…) provoque un certain nombre d’atteintes aux droits fondamentaux des exilés »[26].

Dans ce Rapport annuel, il tient « à réaffirmer » celui à l’éducation, « dont le respect implique l’accès à une scolarisation inclusive des enfants étrangers (…) ». Renvoyant à ses décisions, il relève « de très nombreuses atteintes au droit à l’éducation des mineurs non accompagnés » et « s’inquiète également des refus répétés d’octroi de prestation jeune majeur opposés par les conseils départementaux »[27]. Mettre fin aux « ruptures » dans leur « droit à la scolarité », tel est aussi l’un des enjeux qui seront abordés lors des « rencontres pour l’hospitalité », organisées les 30 et 31 à Autrans, par la Ligue de l’enseignement et Migrants en Isère, avec le concours des Vertaccueillants.

Photo issue du site de l’Unesco (21 mars 2017)

En conclusion, la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale[28] peut être évoquée ; elle a eu lieu, cette année, six jours après la confirmation de ce à quoi peut conduire « l’affirmationnisme blanc »[29]. L’« ensemble des processus de racialisation » devrait susciter davantage d’attention ; c’est en tout cas ce qu’a pu suggérer une écrivaine et enseignante qui a « toujours été attachée à parler de la judéité en évoquant la vie d’autres exilés »[30].

[1] Ou, pour citer René Chapus, comme « une juridiction des droits de l’homme » ; citation récemment reprise à son compte par Bernard Stirn, président de section au Conseil d’État (« Répartition des compétences juridictionnelles et protection des libertés fondamentales », 17 janv. 2019, in fine ; pour la référence précise, v. ma page 1107).

[2] J’ai déjà abordé ce point dans plusieurs billets, depuis l’un des premiers publiés sur ce site (daté du 5 janv. 2018, il renvoie à mes pp. 1028 et s.) ; dans le même sens, Maïtena Armagnague-Roucher et Isabelle Rigoni (dir.), Rapport de recherche EVASCOL. Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV), INS HEA et DDD, juin 2018, 426 p. (synthèse de 15 p.), spéc. p. 157, les autrices remerciant, page précédente, Marie-Françoise Valette pour ses « précieux éclairages » en droit (public).

[3] V. ma thèse préc.., 2017, pp. 1165-1166, avec les réf. citées ; en ce sens, récemment, v. le Rapport annuel d’activité 2018 du DDD, mars 2019, 102 p., spéc. p. 17

[4] En Seine-Saint-Denis, « près de 900 enfants sont en attente d’une intervention éducative décidée par le juge », selon un collectif de professionnel·le·s (Le Monde 7 janv. 2019, p. 21, en écho à l’« appel au secours » de nov.).

[5] CEDH, 28 févr. 2019, Khan c. France, n° 12267/16, §§ 94 et 79 ; v. le communiqué publié le 1er mars par La Cabane juridique et le Gisti.

[6] Ibid., §§ 57 et 62 : le DDD « constate par ailleurs que le droit à l’éducation des mineurs isolés présents sur la lande de Calais était loin d’être assuré (…) » ; pour la CNCDH aussi, « leurs droits à l’éducation et à la santé sont insuffisamment garantis : même dans les cas d’accueil provisoire d’urgence, les démarches de scolarisation ou de formation n’ont été que rarement mises en place ».

[7] Ibid., 96-97 (violation de l’article 3 de la Convention – seulement, si l’on peut dire –, à l’unanimité).

[8] Le jour des décisions de cassation sanctionnant le département de l’Isère, celui de Meurthe-et-Moselle faisait l’objet d’une injonction « de prendre toutes mesures afin d’assurer la prise en charge éducative » d’un enfant de 17 ans (TA Nancy Ord., 21 déc. 2018, n° 1803426, cons. ; en ligne sur InfoMIE, cette ordonnance fait suite à celle du 5 octobre – concernant un enfant de treize ans –, signalée dans mes derniers développements le 20 nov.).

[9] Solène Cordier et Julia Pascual, « Mineurs isolés étrangers en France : l’Unicef attaque un décret gouvernemental » Le Monde.fr 28 févr. 2019, précisant que le dispositif est « actuellement expérimenté dans quatre départements (l’Isère, le Bas-Rhin, l’Essonne et l’Indre-et-Loire), avant un déploiement au niveau national prévu en avril » (pour une critique dans le département souligné, v. le rapport cité infra, pp. 68 à 71) ; le site du Gisti permet d’accéder aux requêtes des associations. Des réponses ministérielles récentes visent notamment l’article 51 de la loi du 10 septembre 2018 (JO Sénat 21 mars 2019, v. ici et ) ; le Conseil constitutionnel ayant refusé de se prononcer lors de son contrôle a priori (v. « La logique de « Dublin » appliquée aux mineurs », Édito Plein droit oct. 2018, n° 118), une QPC a été déposée. Critiquant aussi ce « fichage », DDD, Rapport préc., mars 2019, p. 35

[10] Catherine Mary, « Jeunes migrants : le couperet peu scientifique du test osseux », Le Monde Science & Médecine 13 févr. 2019, p. 2, avant de citer la radiologue Kathia Chaumoître, de l’hôpital Nord de Marseille (« Le souci, c’est que ce test a été détourné de sa fonction initiale : détecter d’éventuelles anomalies de croissance et décider du recours à un traitement (…). Son usage pour évaluer l’âge des migrants repose sur un raccourci prétendant que l’âge osseux équivaut à l’âge réel »), puis de rappeler « les réserves émises depuis plusieurs années par différentes autorités médicales, dont l’Académie française de médecine, le Comité consultatif national d’éthique et le Haut Conseil de la santé publique ». V. aussi Patrick Chariot, « Adolescents migrants : en finir avec les tests osseux ? », Libération.fr 10 mars 2019 ; Julien Mucchielli, « QPC sur les tests osseux : « L’idée est de créer une présomption de minorité » », Dalloz-actualite.fr le 13, en citant alors les avocat·e·s les critiquant.

[11] CC, 21 mars 2019, M. Adama S. [Examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge], n° 2018-768 QPC, cons. 7 et 13 ; sur « la notion de « documents d’identité valables » », v. l’expéditif considérant 19. Pour Jean-Baptiste Jacquin, en « insistant fermement sur chacune des garanties prévues par la loi, le Conseil constitutionnel sous-entend qu’elles ne sont pas toujours respectées dans les juridictions » (« Feu vert à un recours prudent aux tests osseux pour les mineurs migrants », Le Monde 23 mars 2019, p. 12 ; à la même page, sur une autre décision du 21, « La réforme de la justice partiellement censurée », notamment concernant « le recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de détention provisoire qu’instaurait l’article 54 du projet de loi (…). Mme Belloubet, elle-même ancienne membre du Conseil constitutionnel, s’est étonnée dans un communiqué de la censure sur l’usage de la visioconférence alors qu’il l’a validée ” il y a seulement quelques mois ” pour les audiences sur les recours des étrangers en centre de rétention administrative » ; belle illustration d’un état d’esprit, consistant à restreindre les droits par étapes, en commençant par ceux des étrangers…).

[12] V. leur communiqué du soir (je souligne).

[13] Comparer CC, 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, n° 2013-669 DC, cons. 53 ; à propos de cette référence, v. ma page 1157.

[14] V. supra, en précisant ici les numéros des autres décisions rendues contre le département de l’Isère ce 21 décembre 2018, inédites au recueil Lebon : une seule est pertinente pour ce billet (n° 421326), les trois autres reprenant celle précitée n° 421323 (n° 421324, 421325, et 421327).

[15] Mineurs non accompagnés en Isère. État des lieux – Analyse – Préconisations, Rapport de 82 p., mars 2019, p. 106, en Annexe III (à propos de celle qui précède, v. pp. 100 à 105 et Flavien Groyer, « Que fait le département de Seine-Maritime pour les mineurs isolés ? »,  francebleu.fr 29 janv. 2019) ; concernant le « cas des « ni-ni » », selon la dénomination en pratique, v. pp. 30-31, 50 et 54 et Kim Hullot-Guiot, « Dans le Doubs, un jeune Malien coincé entre deux âges », Libération.fr 27 févr. 2019).

[16] Ibid., pp. 48 à 56 et 6-7 du « dossier de presse, synthèse du rapport » (8 p.).

[17] Cela a été rappelé par un intervenant lors de la réunion publique destinée à présenter le rapport, le samedi 2 mars ; à propos des CIO, v. par ex. cet arrêté du début de cette année, dans l’académie de Strasbourg.

[18] Ibid., pp. 54, 56 et 58 (souligné dans le texte) ; v. aussi pp. 61 à 64 et 71-72 (à propos de la PPL « visant à renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie » ; v. encore Florine Galéron, « L’aide sociale à l’enfance… Et après ? », Sciences Humaines mars 2019).

[19] CE Ord., 13 avr. 2018, Département de Seine-et-Marne, n° 419537, cons. 3, 4 et 8, en référé-liberté (v. déjà, sanctionnant la décision de « cesser brutalement toute prise en charge » à l’ASE d’un jeune majeur arrivé en France à l’âge de cinq ans, mais qui « n’a pas accès au langage, ne peut se déplacer ni rester seul et est dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne », CE Ord. 17 janv. 2018, Département de Paris, n° 416953, cons. 4-5). Le même jour, le tribunal administratif de Marseille rendait une nouvelle décision qui, « [s]ept semaines plus tard », n’était toujours pas exécutée (v. Gilles Rof, « Mineurs isolés : le département des Bouches-du-Rhône sourd à la justice », Le Monde 5 juin 2018, p. 8) ; entretemps, le DDD présentait des observations devant un juge des référés (décision n° 2018-137 du 29 avr., 7 p., spéc. pp. 4-5). Ultérieurement, CE Ord., 27 juin 2018, Département de Seine-et-Marne, n° 421338, cons. 2, 3 et 7 ; v. aussi l’Avis sur la situation des migrants à la frontière franco-italienne de la CNCDH, le 19 (63 p., spéc. pp. 39-40), les articles d’Isabelle Rey-Lefebvre, Le Monde.fr le 13 et édition papier du 11 juill., p. 8, enfin le billet de Christophe Daadouch le 28.

[20] Page 49, des chiffres sont données concernant la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) dans le département de l’Isère, en 2016-2017 ; les filles « sont très peu nombreuses », sinon absentes (pp. 51, 15 et s.).

[21] TA Grenoble Ord., 23 avr. 2018, M. N’D., n° 1801497, cons. 3 et 5 (en réitérant le raisonnement du 30 mars, qui sera censuré le 21 décembre) ; 23 mai 2018, Mme K., n° 1802833, cons. 10 et 7 (là aussi en référé-suspension) ; 2 août 2018, n° 1804832, cons. 7 et 9, en référé-liberté (ordonnances reproduites Ibid., en Annexe XII, pp. 121 et s., toutes rendues par le même juge des référés, sur recours de l’avocate Aurélie Marcel – citée à plusieurs reprises dans le rapport : v. les pp. 4, 24-25, 27 et 42).

[22] CE Ord., 1er mars 2019, Département de Meurthe-et-Moselle, n° 427278, cons. 5-6 et 4 (celui de principe) ; comparer TA Nancy Ord., 9 janv. 2019, n° 1900016, cons. 5 et 9 (en ligne sur InfoMIE).

[23] CE, 15 mars 2019, Département de Seine-et-Marne, n° 422488, cons. 13 – annoncé par la formule du 5 – et 12

[24] Emmanuelle Maupin, « Lutte contre la pauvreté : lancement de la contractualisation État-départements », AJDA 2019, p. 429 ; à propos du « Plan pauvreté » présenté le 13 septembre, v. mes billets du 15, ici et .

[25] Pascal Brice (entretien avec, par Kim Hullot-Guiot), Libération.fr 14 févr. 2019 ; concernant le droit à la protection de la santé, en renvoyant à mon billet du 5 nov. 2018 suite à l’élection de Jair Bolsonaro, v. l’enquête de Louise Fessard, « La France veut renvoyer au Brésil des personnes trans séropositives », Mediapart 12 mars 2019, citant « le dernier rapport de l’Ofii [l’Office français de l’immigration et de l’intégration], qui écrit avoir « interrogé l’OFPRA [l’Office français de protection des réfugiés et apatrides] sur cette question [du risque] de discrimination qui relève de sa compétence » ».

[26] DDD, Rapport préc, mars 2019, p. 32, en reprenant à son compte l’expression employée par l’ancien commissaire aux droits de l’Homme du conseil de l’Europe, Nils Muižnieks (v. Emmanuelle Maupin, « Un recul des services publics et une régression continue des droits », Dalloz-actualite.fr le 13 ; AJDA du 18, p. 548).

[27] Ibid., p. 39 ; entretemps, il pointe à propos des MNA le « caractère inadapté et sous-dimensionné des dispositifs prévus en leur faveur » (p. 35).

[28] V. mon billet du 27 mars 2018 (In memoriam Linda Brown) ; v. aussi Florence Floux, « Peut-on être raciste sans le savoir ? », 20minutes.fr 20-21 mars 2019

[29] Nicolas Lebourg (entretien avec, par Lucie Soullier), « L’auteur se reconnaît comme fasciste », Le Monde 18 mars 2019, p. 4, l’historien réagissant à l’attaque terroriste contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande, le vendredi 15 ; v. aussi Florence de Changy, « Après Christchurch, les Néo-Zélandais unis derrière leur première ministre », Ibid. le 21, p. 4, précisant que cette dernière « a rencontré les élèves du collège de Cashmere, quartier situé au pied des collines du même nom, qui bordent le sud de la petite ville. (…) L’école a perdu deux élèves, ainsi que d’anciens élèves et parents d’élèves » ; Jacinda Ardern a notamment déclaré : « construi[sons] un environnement dans lequel la violence ne peut pas s’épanouir, où nous ne laissons aucune place au racisme, car le racisme nourrit l’extrémisme ». Le maire adjoint de Christchurch, Andrew Turner, a indiqué « que la communauté musulmane compte des gens d’origine et de métiers très divers. Il y avait au moins quinze nationalités et origines différentes parmi les victimes des attentats, dont une famille de réfugiés syriens » (Florence de Changy, « Les Néo-Zélandais font leur examen de conscience », Ibid. le 23, p. 4).

[30] Cloé Korman « L’antisémitisme est un racisme », AOC 7 mars 2019 ; v. aussi Carole Reynaud-Paligot, « Comment analyser l’antisémitisme aujourd’hui ? », Ibid. le 19 : « La lutte des stéréotypes passe par l’éducation (…)[,] « une éducation au processus d’identification », qui doit trouver sa place « dans les programmes scolaires », notamment. Au-delà de la fluctuation des clivages sociaux et religieux au cours de l’histoire, « la nationalité et l’origine sont devenus plus récemment des éléments centraux dans la définition des identités » ; « ils ne le seront peut-être pas toujours… ».

Ajouts au 15 avril : CE Ord., 3 avr. 2019, UNICEF et a., n° 428477 ; v. le communiqué commun du 4, mis en ligne par le Gisti, le 5, « Fichage des enfants : le Conseil d’État refuse de suspendre le dispositif, nos organisations continuent de demander son annulation ». À partir de ce décret n° 2019-57 du 30 janvier, v. l’article de Delphine Burriez (« L’étatisation de la protection des mineurs isolés étrangers », AJDA 2019, p. 802), publié ce jour.

Le Recueil Dalloz du 11 contient une note de Pauline Parinet, intitulée « La constitutionnalité des tests osseux : pas de printemps pour les mineurs non accompagnés », p. 742 (v. spéc. p. 746 à propos de l’incompétence négative alléguée, en vain, concernant la notion de « documents d’identité valables ») ; v. aussi le point de vue d’Hugues Fulchiron, « La constitutionnalisation de l’intérêt supérieur de l’enfant » (pp. 709-710).

Le lendemain, dans un communiqué (du 12, donc), le Gisti signalait cette décision n° 2019-058, rendue le 28 mars (28 p., spéc. pp. 15 à 17 : « Le Défenseur des droits rappelle [au département de la Marne que celui] à l’éducation est un droit fondamental de l’enfant et que toutes les diligences doivent être effectuées afin de scolariser les jeunes gens accueillis aussi rapidement que possible »).

La Charte sociale et le Comité européen des droits…

Photo issue de lyonpremiere.com 5 mai 2018

Ces dernières semaines, l’un des droits ajoutés dans la version révisée de Charte sociale européenne (CSERev)[1] fait l’objet d’une protection par des conseils de prud’hommes. Souvent promptes à s’indigner des atteintes aux droits pointées ailleurs – par exemple en Europe centrale –, certaines élites[2] ont estimé bienvenu de jeter le discrédit sur les personnes qui ont rendu ces jugements[3].

En France, l’universalisme a souvent ses frontières, celles qui avaient déjà conduit le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères à mettre en doute les « compétences en droit » des membres du Comité des droits de l’Homme des Nations unies[4]. Pour qui s’intéresse (vraiment) à la garantie des droits, les raisonnements tenus par ces quasi-juridictions retiennent l’attention.

Concernant le Comité européen des droits sociaux (CEDS), après sa décision sur la recevabilité du 11 septembre 2018[5], celle sur le bien-fondé est particulièrement attendue[6] ; les jugements sus-évoqués[7] rejoignent sa position du 8 septembre 2016, Finnish Society of Social Rights c. Finlande[8], tout comme l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle italienne le 26 septembre 2018[9].

CSERev – Site du Conseil de l’Europe

Le texte interprété par le CEDS ne concerne pas que les « travailleurs »[10], et ce dernier a su dans certaines de ses décisions se montrer sensible aux questions de genre ; il y a bientôt dix ans, le 30 mars 2009, il rendait ainsi sa décision Interights c. Croatie, consacrant le « droit à l’éducation sexuelle et génésique » (v. mon billet du 24 avril 2018).

Cinq années plus tôt, sa décision Autisme-Europe contre France devenait publique. L’affirmation du « droit à l’éducation » était faite à partir du cadre juridique français[11], en contribuant à son évolution avec l’adoption de la loi du 11 février 2005 (dite « pour l’égalité des droits (…) des personnes handicapées »). Dans l’un des jugements évoqués précédemment, les conseillers prud’homaux « de Lyon avaient à juger du cas de l’employée d’une association de familles de personnes handicapées, salariée à plusieurs reprises en contrat à durée déterminée (CDD) entre 2015 à 2017 »[12]. Participant de la réalisation des droits de ces dernières, une telle association ne saurait méconnaître ceux de ses salarié-e-s.

De la même manière, si « le service public de l’éducation garantit le droit » à l’éducation des enfants[13], « l’attractivité de la rémunération proposée [aux personnels] » fait partie des éléments « déterminants » à prendre en considération ; elle semble pourtant échapper à « l’attention du Gouvernement »[14].

Sans approfondir ici « la problématique de la rencontre des droits »[15], ce billet vise à prolonger les développements de ma thèse, pp. 875 et s., d’abord à partir d’une actualité : présentée comme « vieille comme l’école obligatoire [sic[16]] », une solution employée « par le passé (…) pour lutter contre l’absentéisme[17] » pourrait resurgir « pour lutter ­contre les violences en milieu scolaire »[18]. Cette « piste des allocs » avait déjà été évoquée fin octobre en Conseil des ministres[19].

EUROCEF – site de l’association

Critiqué par les députés LRM Hugues Renson, Aurélien Taché et Guillaume Chiche, ce « projet s’est trouvé un défenseur actif : le député LR des Alpes-Maritimes »[20]. Avec le ministre consentant à recycler cette mesure, Éric Ciotti ignore la décision rendue par le CEDS le 19 mars 2013 (rendue publique le 10 juill., § 42 sur le bien-fondé de cette réclamation d’EUROCEF n° 82/2012) : dans ma thèse, page 902, je cite son paragraphe 37 ; je précise ici que l’absence de « violation de l’article 16 de la Charte [sociale européenne révisée[21]] du fait de l’abrogation de la mesure litigieuse[22] par la loi du 31 janvier 2013 » avait été discutée par deux membres du Comité[23].

Celui-ci, avant d’affirmer cette mesure non « proportionnée à l’objectif poursuivi », concédait qu’elle « poursuit un but légitime celui de réduire l’absentéisme et de faire retourner les élèves à l’école, ce qui vise à garantir le respect des droits et des libertés d’autrui, en l’occurrence des enfants soumis à l’obligation de scolarité »[24]. Il était ainsi fait référence à leurs droits (et libertés), bien qu’en mentionnant aussi cette prétendue obligation.

Cette dernière a pu être étendue de 16 à 18 ans au bénéfice des enfants « étrangers non accompagnés », selon une interprétation discutable du Défenseur des droits en novembre 2016, à partir d’une simple circulaire de la même année (v. p. 61) ; cela est rappelé en 2018 par Petros Stangos sous une autre décision provoquée par EUROCEF (n° 114/2015)[25]. Il est préférable de s’en tenir, ainsi que l’a fait le Comité, à leur « droit à l’éducation »[26].

Fin 2017, j’exprimais l’espoir que le Comité vienne transposer son raisonnement inclusif à la situation des personnes contraintes de vivre en bidonvilles (v. ma page 917) ; dans la décision du 5 décembre (Forum européen des Roms et des Gens du Voyage (FERV) c. France, n° 119/2015, rendue publique le 16 avr. 2018), les nombreux constats de violation sont en soi éloquents, mais l’affirmation du droit à l’éducation (inclusive) manque de mon point de vue de netteté.

« Validity » – site de l’ex-MDAC

Il en va différemment dans la décision sur la recevabilité et le bien-fondé du 16 octobre 2017 (Centre de Défense des Droits des Personnes Handicapées Mentales (MDAC) c. Belgique, n° 109/2014, rendue publique le 29 mars 2018) : « Le droit des enfants atteints d’une déficience intellectuelle à l’éducation inclusive » ouvre l’appréciation du Comité (§§ 61 et s. ; je souligne). Après s’être référé à l’Observation générale n° 4 du Comité (onusien) des droits des personnes handicapées[27], celui européen des droits sociaux conclut à l’unanimité à plusieurs violations de l’article 15§1 de la CSERev[28]. S’agissant de l’article 17§2, s’il refuse là aussi sa combinaison avec l’article E relatif à la non-discrimination[29], il renoue de façon bienvenue avec sa précédente décision MDAC (c. Bulgarie)[30].

En effet, le 11 septembre 2013, dans sa décision Action Européenne des Handicapés (AEH) c. France[31], le CEDS ne s’était fondé que sur l’article 15 (v. mes pp. 910 et s.) ; cela ne l’avait pas empêché de rendre déjà une intéressante décision, en particulier « en ce qui concerne l’absence de prédominance d’un caractère éducatif au sein des institutions spécialisées prenant en charge les enfants et les adolescents autistes »[32].

À une requérante indiquant à la Cour européenne « que son fils était toujours placé en IME [Institut médico-éducatif] à Rennes sans, selon elle, « bénéficier d’instruction » », celle-ci n’a récemment pas vraiment répondu sur ce point : il faut dire qu’était surtout contesté « le refus d’admettre le fils de la requérante en milieu scolaire ordinaire », dans une requête « rejetée comme étant manifestement mal fondée » ; bien que limitées, les citations par la CEDH de la décision précitée du CEDS n’en sont pas moins remarquables[33].

Inclusion Europe – site de l’association

Parmi les décisions attendues, il convient de mentionner celle sur le bien-fondé relative à la réclamation n° 141/2017 de la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et Inclusion Europe c. Belgique[34] ; concernant la Communauté non plus flamande mais française – Fédération Wallonie-Bruxelles –, elle se trouvait déjà évoquée en conclusion de mes développements sur la Charte sociale et le Comité européen des droits (pp. 920-921)[35].

[1] Il s’agit du droit « à une » (ou « à la ») « protection en cas de licenciement » (art. 24 nouveau, inspiré de la Convention n° 158 de l’OIT, datée de 1982 ; v. le Rapport explicatif de la Charte sociale européenne (révisée), 3 mai 1996, 17 p., spéc. pp. 9-10, § 86).

[2] Contra la tribune du magistrat Denis Salas, saluant pour sa part ces décisions (« La justice doit garder sa dimension démocratique », Le Monde 15 janv. 2019, p. 23).

[3] v. B. Bissuel, Le Monde.fr 14-15 déc. 2018, in fine : « La décision prononcée à Troyes (…) pose à nouveau « la question de la formation juridique des conseillers prud’homaux », affirme-t-on au ministère du travail ». Outre un communiqué de presse de Patrice Huart (du collège salarié du CPH) et Alain Colbois (pour la partie patronale), cette phrase a provoqué une tribune de « représentantes syndicales de la magistrature et des avocats » (SM et SAF), « Les juges ne sont pas des ignorants qu’il faudrait remettre dans le droit chemin », Le Monde.fr le 19 (« ni les parties au procès, qui défendent leurs droits », précisaient Laurence Roques, Judith Krivine et Katia Dubreuil ; je souligne).

[4] Réponse à la Question écrite n° 07493, JO Sénat 13 déc. 2018, p. 6446, après avoir « noté » la décision rendue publique le 23 octobre 2018 par le CoDH (v. le commentaire rédigé par six étudiantes du M2 DH de Nanterre, ADL 28 janv.), puis tenu à « préciser que les constatations du Comité des droits de l’Homme, et des autres comités en matière de protection des droits de l’Homme, ne sont pas contraignantes. Cette position a été notamment exprimée lors de l’élaboration de l’Observation générale n° 33 » (reprenant ces dernières affirmations, v. la Réponse publiée le 31 janv., p. 571) ; comparer les §§ 11 et s. de cette OG, relative aux « obligations des États parties » (CCPR/C/GC/33, 25 juin 2009), ainsi que l’une des positions antérieures du Ministère, relative à une autre institution onusienne, le Conseil des droits de l’Homme (CDH), citée au terme de mon billet du 26 août 2018. Il est enfin intéressant de rapprocher cette séquence de celle ouverte par l’annonce des noms proposés pour devenir membres du Conseil constitutionnel (Jacques Mézard, Alain Juppé et Gérard Larcher) : v. par ex. la tribune de Thomas Hochmann, Le Monde 22 févr. 2019, p. 20

[5] Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO) c. France, n° 160/2018 ; v. aussi les réclamations enregistrées les 30 et 31 janvier 2019.

[6] Pour le commentaire d’une autre décision sur le bien-fondé provoquée par le même syndicat, datée du 3 juillet 2018 et rendue publique le 26 novembre (réclamation n° 118/2015), v. Benoît Petit, RDLF 2019, chron. n° 5

[7] Plus récemment, v. celui rendu à Grenoble le 18 janvier (placegrenet.fr le 25) et à Agen le 5 février (collectif d’avocat-e-s et de juristes spécialisé-e-s en droit social Les Travaillistes le 8).

[8] Réclamation n° 106/2014, décision rendue publique le 31 janvier 2017 ; 16 p.

[9] Arrêt n° 194 annoté à la Revue de droit du travail par Cristina Alessi et Tatiana Sachs (RDT 2018, p. 802).

[10] À propos des « jeunes travailleurs (de moins de 25 ans et de moins de 18 ans) », v. le billet de Michel Miné le 13 juin 2018, commentant la décision sur le bien-fondé du 23 mars 2017 (rendue publique le 5 juill.), en « réponse à la Réclamation n° 111/2014, Confédération générale grecque du travail (GSEE) c/ Grèce ».

[11] Dans cette décision du 4 novembre 2003 (rendue publique le 8 mars 2004), le Comité reformulait les articles 15§1 et 17§1 de la CSERev pour consacrer ce droit ; le premier article vise les droits (du groupe) des personnes handicapées, tandis que le second garantit à celles enfants et adolescentes un droit (individuel) « à la protection » (v. aussi l’art. 7, en rapport avec les relations de travail).

[12] D. Israel, « Indemnités de licenciement : un troisième jugement s’oppose au barème Macron », Mediapart 7 janv. 2019

[13] Ce « en vertu des dispositions des articles L. 111-1 et L. 111-2 du code de l’éducation », selon les arrêts CE, 29 déc. 2014, M. A. et Mme C., n° 371707, cons. 1 ; CAA Versailles, 15 oct. 2015, Ministre des solidarités et de la cohésion sociale, n° 15VE00364, cons. 2 (je souligne). Antérieurement, Caroline Boyer-Capelle a étudié le rapport entre le service public et la garantie des droits et libertés (thèse Limoges, 2009, 732 p. ; RFDA 2011, pp. 181 et s., chr. X. Dupré de Boulois).

[14] Avis « rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à une école de la confiance » (29 nov. 2018, n° 396047), que le « Gouvernement a décidé de rendre public » le 5 décembre, § 27 (pour reprendre un élément du titre retenu par la Cour des comptes en mars, le projet illustre à nouveau le recours croissant aux personnels contractuels). Après les annonces par Jean-Michel Blanquer d’un « observatoire du pouvoir d’achat » des professeur-e-s (en septembre), puis de leur « rémunération » (en janvier), il a pu lui être suggéré de « créer un « observatoire des bonnes excuses » pour éviter de tirer les conclusions qui s’imposent » des comparaisons européennes de la peu révolutionnaire Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE ; v. C. B., « Les profs victimes de mauvais traitements », Le Canard enchaîné 16 janv. 2019, p. 3). Avant tout pour « compenser les 2 600 postes supprimés à la rentrée prochaine au collège et au lycée », une « deuxième heure supplémentaire obligatoire » a été décidée ; cela a suscité des critiques d’enseignant-e-s : « « Le profil type du prof qui fait des heures supplémentaires, c’est l’homme agrégé », résume Alexis Torchet, secrétaire national du SGEN-CFDT » (Violaine Morin dans Le Monde le 18, p. 13, commençant par une citation de Nicolas et Delphine, professeur-e-s des écoles en Seine-Saint-Denis). La même semaine, l’AJDA signale page 23 un arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 26 juillet 2018 : un « enseignant contractuel dans la matière des sciences de la vie et de la terre au collège-lycée de l’Immaculée Conception » était parvenu en appel « à ce que l’État soit condamné au paiement » d’heures supplémentaires que l’autorité académique n’avait pas autorisées ; il est finalement jugé qu’« il n’appartient pas à l’État de prendre en charge la rémunération des heures supplémentaires effectuées, au-delà des obligations de service, à la demande du directeur d’un établissement [sous contrat] d’enseignement privé dès lors qu’elles n’ont pas fait l’objet d’une [telle] autorisation » (n° 411870, cons. 1 et 4).

[15] C. Fortier, « Le défi de la continuité du service public de l’éducation nationale : assurer les remplacements », AJDA 2006, p. 1822, spéc. p. 1823 à propos de ces « conflits de droits » ; je mobilise cette étude pp. 172 et s.

[16] Claude Lelièvre évoque quant à lui « la loi d’obligation de scolarisation de Jules Ferry » (« Blanquer ira-t-il jusqu’à « mettre la pauvreté en prison » ? », 11 janv. 2019) ; depuis cette loi du 28 mars 1882, ce n’est que l’« instruction » qui « est obligatoire » (v. ma thèse, pp. 306 à 309 – à partir des travaux parlementaires – et 1023-1024, avec les références citées en note n° 2432) ; dans son livre intitulé Jules Ferry, La République éducatrice, Hachette, 1999, p. 59, l’historien reproduisait la citation par laquelle il introduit son billet – sans doute rédigé à partir de celui publié le 30 déc. 2009 – en la datant du 20 décembre 1880 ; dans le même sens, A. Prost, Histoire de l’enseignement en France : 1800-1967, A. Colin, 1979, p. 109, en renvoyant au Journal officiel de la Chambre des députés, p. 12620).

[17] v. D. Meuret, « L’absentéisme des élèves dans les collèges et les lycées », Les notes du conseil scientifique de la FCPE févr. 2019, n° 13, 3 p.

[18] M. Battaglia et V. Morin, « Plan violence : des sanctions financières à l’étude », Le Monde 12 janv. 2019, p. 11 (je souligne), avant de citer Benjamin Moignard (« Les quelques évaluations qui existent ont montré son inefficacité »), puis de rappeler que « l’école française sanctionne plus qu’on ne le croit » ; v. ma note de bas de page 1190, n° 3466 et, rappelant que le chercheur précité « a montré que chaque jour le nombre d’élèves exclus de leur établissement en France équivaut à un collège », P. Watrelot (entretien avec, par R. Bourgois), « L’expression « stylos rouges » est malheureuse mais la mobilisation utile », AOC 19 janv. 2019

[19] Le Canard enchaîné 7 nov. 2018, p. 2 : après une assimilation très subtile du nouveau ministre de l’Agriculture (Didier Guillaume se serait demandé « pourquoi la police n’entrerait pas dans les écoles alors qu’on y laisse entrer « n’importe qui, notamment les associations »…), Jean-Michel Blanquer aurait « proposé de simplifier les conseils de discipline » scolaire, après une tentative de réinstauration d’une mesure qui, a-t-il assuré, a « conduit à responsabiliser les parents » (comparer la note précédente) ; il aurait été réfréné, notamment, par Christophe Castaner, son homologue de l’intérieur… Sur le point souligné, objet de la CIDE, art. 28, § 2, v. mes pp. 155, 159, 764, 772-773 – en note n° 873 – 835, 918-919, 956 et, surtout, 1170-1171

[20] M. Battaglia et V. Morin, « Vives réactions au sein de la majorité contre une « vieille lubie » », Le Monde 12 janv. 2019, p. 11 ; interrogé par Alexandre Lemarié sur le pourquoi du recours à cette mesure (« suppression des allocations pour les familles d’enfants violents »), notamment, Jérôme Sainte-Marie – président de l’institut de conseils et d’études Pollingvox et politologue – estime qu’Emmanuel Macron « essaie de retrouver par tous les moyens le soutien d’une partie de l’électorat de droite, (…) de plus en plus en attente de mesures pour rétablir l’ordre [et qui constitue sa « principale réserve de voix » selon les enquêtes d’opinion. Il] l’a bien compris et a donc décidé d’incarner cette demande de fermeté. Chez lui, il y a moins une volonté de rassembler que de mettre en scène le conflit à son profit : c’est le lot de tout leader porteur d’un projet fondamentalement minoritaire ». Premier ajout au 31 déc. 2023, pour renvoyer à Lucie Tourette, « Sanctionner les parents “défaillants” : une mesure dangereuse », newsletter de La Déferlante (le 22).

[21] Article 16 – Droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique, reproduit au § 24

[22] Qui était « prévue par la loi [Ciotti] (la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010, complétée par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 portant modification au contrat de responsabilité parentale) », rappelle le § 33

[23] Comparer ce § 46 avec les Opinions dissidentes de Petros Stangos et Guiseppe Palmisano, pp. 21 et s.

[24] Ibid., §§ 42 et 34 (je souligne).

[25] Opinion séparée dissidente sous la décision sur le bien-fondé du 24 janv. 2018, rendue publique le 15 juin, pp. 42-43

[26] V. les §§ 124-125 : son « importance fondamentale » pour ces enfants a conduit le Comité à conclure, à une courte majorité (par 8 voix contre 7), « qu’il y a violation de l’article 17§2 » (mais pas de l’article E, ce qui a motivé la rédaction de l’Opinion précitée ; pour le membre grec du Comité, ce dernier aurait pu constater aussi une « violation de l’article 30 », en se référant d’ailleurs à son « appréciation sous l’angle de l’article 17§2 », l’éducation constituant « une condition essentielle pour éviter la pauvreté et l’exclusion sociale »). A propos de ces enfants, v. mon billet du 5 janvier, avec deux actualisations en 2018 ; v. aussi Luc Leroux, « A Marseille, le squat qui embarrasse le diocèse et le conseil départemental », Le Monde.fr 19 janv. 2019

[27] CEDS, 16 oct. 2017, § 72 (v. déjà le § 24) ; CoDPH, OG n° 4 sur le droit à l’éducation inclusive (article 24), CRPD/C/GC/4, 25 nov. 2016 ; v. mes pp. 794 et s., spéc. 799-800 (elle figurait dans la réclamation enregistrée début 2017 : v. mes pp. 920-921).

[28] Ibid., §§ 80 et 87

[29] Ibid., §§ 92-93 et 113-114 ; le MDAC alléguait l’existence d’une « discrimination croisée », qui expliquerait un recours plus important des familles pauvres à l’enseignement spécial.

[30] Ibid., §§ 103 et s. À propos de cette décision sur le bien-fondé du 3 juin 2008, v. mes pp. 892-893. Au § 105, « le Comité rappelle que toute éducation dispensée par les Etats doit satisfaire aux critères de dotation, d’accessibilité, d’acceptabilité et d’adaptabilité » ; c’est d’ailleurs l’organisation réclamante qui lui avait suggéré à nouveau cette référence aux « 4A » (v. évent. ma page 920 et mon portrait de Katarina Tomaševski). Parce que les « établissements d’enseignement et les programmes éducatifs ordinaires ne sont, en pratique, pas accessibles », les « enfants présentant une déficience intellectuelle ne jouissent pas d’un droit effectif à l’enseignement inclusif » (§§ 106 et 107).

[31] Réclamation n° 81/2012 (décision sur le bien-fondé rendue publique le 5 février 2014).

[32] CEDS, 11 sept. 2013, § 121, à l’unanimité (je souligne).

[33] CEDH, 24 janv. 2019, Dupin c. France, n° 2282/17, §§ 16, 33 et 21, en s’arrêtant toutefois au § 100 ; comparer l’arrêt Enver Şahin c. Turquie, rendu près d’un an auparavant (le 30 janvier 2018 ; v. mon billet du 3 avril, l’arrêt étant devenu définitif le 2 juillet) : la Cour européenne interprétait la Convention à la lumière de la Charte sociale européenne révisée, notamment, mais sans citer le CEDS.

[34] Elle a été déclarée recevable le 4 juillet 2017 (fin 2017, l’information m’avait échappé ; il y est fait référence au § 9 d’une autre décision sur la recevabilité, du 16 octobre 2018, concernant une réclamation plus générale c. France n° 168/2018, Forum européen des personnes handicapées (EDF) et Inclusion Europe). Second ajout au 31 déc. 2023, avec mon billet renvoyant en note 5 à l’une des deux décisions sur le bien-fondé, celle relative à la Belgique étant du 9 sept. 2020 (n° 141/2017, rendue publique le 3 févr. 2021).

[35] Comme indiqué dans celui du 20 novembre 2018, le présent billet reprend trois paragraphes qui s’y trouvaient inclus.

2018 : retour sur quelques anniversaires

Photo issue d’un tweet de Mathilde Larrère, le 29 avril 2018

« Commémorer les événements[1] ayant secoué la France gaulliste il y aura bientôt cinquante ans ? L’hypothèse [avait pu circuler, fin 2017,] dans l’entourage du Président »[2]. Un an plus tard, la France macroniste se trouvait confrontée aux manifestations des « gilets jaunes » ; selon les chercheurs Sebastian Roché et Fabien Jobard, le « nombre d’interpellations » et celui des blessés sont « sans précédent depuis Mai 68 »[3].

D’autres liens peuvent être établis[4]. Les 30 et 31 octobre, et pour s’en tenir à cette manifestation… scientifique, un colloque portait sur le moment 68 à Lyon en milieu scolaire, universitaire et éducatif ; l’une des contributions présentées dans le Grand amphithéâtre de l’Université Lumière Lyon 2 concernait sur ce « moment 68 »[5] à la faculté de médecine[6].

Le 10 décembre, un commentaire du décret n° 2018-838 a été publié : l’ancien recteur d’académie Bernard Toulemonde y rappelle qu’une « rupture intervient en 1968 ; le recteur perd la présidence du conseil de l’université [et] devient chancelier des universités, une fonction de contrôle administratif et juridique »[7].

Lors du colloque précité, et dans le prolongement d’un autre (en 2011[8]), Jérôme Aust est revenu sur l’« application de la loi Faure[9] à Lyon ». Il y a maintenant plus de cinquante ans, le droit « à l’instruction » était (seulement) revendiqué, comme en témoigne la photographie insérée au seuil de ce billet ; cette banderole, je l’avais déjà signalée en actualisant celui du 10 avril, jour du 170ème anniversaire de la naissance d’Hubertine Auclert.

Livre publié aux éd. du Seuil, en 2014, sous-titré Citoyenneté et représentation [en 1848]

En cette année 1848, une conception révolutionnaire de la République la veut « démocratique et sociale avec le droit au travail »[10] ; après avoir cité l’essai sur l’illusion de Clément Rosset (1939-2018), Samuel Hayat rappelle qu’« une Assemblée a bien été élue au suffrage universel le 23 avril 1848, elle a proclamé la République le 4 mai, et pourtant elle s’est trouvée, deux mois plus tard, à devoir faire face à une insurrection faite au nom de la République, c’est-à-dire au nom du régime lui-même, ou plutôt de son double. Là est toute la puissance de l’idée de République, en 1848 »[11].

Michèle Riot-Sarcey note qu’alors, « la Révolution de 1789 est à la fois proche et lointaine (…). On se souvient non pas des tensions qu’a engendrées l’évènement et dont l’essentiel est réinterprété en fonction des besoins, des nécessités ou des opinions, mais du rôle qu’ont joué les « gens du peuple » – les anonymes, comme l’écrit Lazare Carnot »[12]. Ce dernier avait participé à l’affirmation du « droit à l’instruction » en 1793, lequel se retrouve proclamé par le premier projet de Constitution en 1848 (19 juin) ; comme je le montre dans ma thèse, ce droit ne figure en revanche pas dans le Préambule de la Constitution du 4 novembre 1848 (pas plus que dans celle des 3 et 4 septembre 1791 et dans la DDHC adoptée deux ans plus tôt)[13].

Quand la République était révolutionnaire, il s’agissait « de donner une visibilité aux clivages sociaux », en les réduisant cependant à « la question de classe »[14]. C’est notamment pourquoi, quand bien même cette occasion de consécration constitutionnelle du « droit à l’instruction » n’aurait-elle pas été manquée, rien n’assurait qu’il soit reconnu de la même manière aux garçons et aux filles[15].

Eleanor Roosevelt en novembre 1949, devant l’affiche de la DUDH (version USA) © Radio France (photo issue du site franceculture.fr, listant une série d’émissions consacrées à ce 70e anniversaire du texte onusien)

« 1948. L’universalisation des droits de l’homme », tel est le titre de l’une des entrées de l’Histoire mondiale de la France, ainsi que je le rappelle dans mon portrait de René Cassin, actualisé ce jour. Dzovinar Kévonian était – avec Danièle Lochak et Emmanuel Naquet – l’invitée d’Emmanuel Laurentin et Séverine Liatard lors d’une des quatre émissions consacrées par La Fabrique de l’histoire à ce 70e anniversaire de la DUDH. Cette série se clôt en retraçant « l’ascension politique » d’Eleanor Roosevelt : à propos de cette dernière, de la ségrégation raciale – évoquée à la fin – et du droit « à l’éducation » (préinscrit à l’article 26), v. mon billet du 27 mars, in memoriam Linda Brown (et mes développements pp. 725 et s.).

Ainsi qu’a pu le faire observer Mireille Delmas-Marty « en elle-même, la déclaration n’est pas contraignante pour les États qui l’ont signée » mais, compte tenu du « nombre de dispositifs que cette déclaration a engendré, y compris toute une série de textes qui, eux, sont contraignants », le « bilan, 70 ans plus tard, (…) est impressionnant »[16].

Il s’agissait, en « ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, [de s’efforcer], par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés » ; à ce préambule fait écho celui de la Convention européenne du 4 novembre 1950, qui fait immédiatement référence à la DUDH[17]. Après une tentative de consécration sélective de son article 26, le droit « à l’instruction » s’est trouvé affirmé dans le premier protocole additionnel[18] ; à partir de ce texte de 1952, la Cour européenne l’a qualifié de « fondamental » en 1976[19].

En France, la mixité (« sexuelle ») est généralisée dans les établissements publics par trois décrets du 28 décembre de cette année-là[20]. Encourageant « une histoire « par le bas » de la mixité », Odile Roynette rappelle que pour « accéder, au cours des années 1920, aux bastions masculins de l’université, l’une en médecine et l’autre en philosophie », il a fallu à « Françoise Dolto comme Simone de Beauvoir (nées toutes deux en 1908) (…) batailler contre leur milieu d’origine, bourgeois, catholique et conservateur dans les deux cas, et notamment contre leur mère qui envisageait avec horreur la perspective d’un contact répété de leur fille avec des hommes avant le mariage »[21].

« Des principes et des hommes », titrait le supplément Idées du journal Le Monde, en page 2, le 8 décembre 2018 en publiant un entretien de Valentine Zuber avec Anne Chemin ; le même jour, le quotidien rapportait l’appel de Michelle Bachelet, la haut-commissaire de l’ONU, à « résister au recul des droits humains »[22]. Au nom d’Amnesty International, dont il est secrétaire général depuis le mois d’août, Kumi Naidoo invite à « nous attacher à [leur concrétisation] pour le plus grand nombre »[23], autrement dit pour tout·e·s.

[1] v. M. Riot-Sarcey (entretien avec, par Julie Clarini), « À quoi sert le passé ? », Le Monde Idées 30 juin 2018, p. 5, à propos « de ce qui fut appelé, par incapacité de penser la spécificité des formes de révoltes plurielles, « les événements de 1968 » ».

[2] C. Belaich, « Mai 68 : Macron ne s’interdit rien », Libération.fr 5 nov. 2017

[3] V. respectivement S. Roché, « Le dispositif policier hors norme signale la faiblesse de l’Etat », Le Monde 11 déc. 2018, p. 22 et F. Jobard (entretien avec, par M.-O. Bherer), « Face aux “gilets jaunes”, l’action répressive est considérable », Ibid. 21 déc. 2018, p. 20, en ligne, « le bilan » de ce dernier visant les « dommages » liés aux « interventions policières » ; selon Laurent Mucchielli, ce sont « probablement environ 5 000 personnes qui ont été interpellées » entre le 17 novembre et le 15 décembre (Theconversation.com 17-18 déc. 2018).

[4] V. ainsi, au détour de mon billet sur le numerus clausus.

[5] Une « expression initiée par Michelle Zancarini-Fournel », comme le rappelait l’appel à communication ; Le Moment 68, une histoire contestée, tel est le titre de son livre publié au Seuil lors du quarantième anniversaire (v. aussi J. Clarini, « Etudiants et ouvriers ont-ils fait la jonction ? », Le Monde Idées 17 mars 2018, p. 5). L’historienne a conclu le colloque, le 31 octobre.

[6] Plusieurs années avant le colloque, Bastien Doudaine avait rédigé un commentaire d’un « tract, édité et distribué par des étudiants en médecine de Lyon », publié sur le site de L’Atelier numérique de l’histoire.

[7] B. Toulemonde, « Du recteur d’hier au recteur de demain ? », AJDA 2018, p. 2393, spéc. p. 2399 (en renvoyant à la contribution de Didier Truchet au dossier publié par la même revue le 4 juin, intitulé « Mai 68 et le droit administratif », pp. 1074 et s. V. aussi, à Nanterre, le 22, « 1968 et les facultés de droit » ; ) avant de terminer sur une autre réforme – de vingt-six à treize académies ? (v. mon billet du 3 août 2018) –, laquelle n’est pas sans susciter des inquiétudes comme en témoigne cette question écrite de M. Bonhomme (JO Sénat du 13 déc. ; v. le 3 janv., à partir de la réponse ministérielle).

[8] v. B. Poucet et D. Valence (dir.), La loi Faure. Réformer l’université après 1968, PUR, 2016, pp. et 19 et 167

[9] Ma thèse cherchant à se focaliser sur le « droit à » des élèves et étudiant.e.s, cette loi contient peu de mentions : v. pp. 116, 121, 1013 – en note de bas de page n° 2370 – et 1018-1019 ; v. l’étude d’Emmanuel-Pie Guiselin (« L’Université faurienne, cinquante ans après la loi d’orientation », RFDA 2018, p. 715) et l’approche synthétique de Laure Endrizzi, « 1968-2018 : 50 ans de réforme à l’université », Édubref 22 oct. 2018

[10] S. Hayat (entretien avec, par M. Semo), « En février 1848, le peuple célébrait la République, en juin, c’était la guerre civile », Libération.fr 16 janv. 2015, rappelant qu’il s’agit de « la révolution oubliée », en référence implicite à l’ouvrage de Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey (La Découverte, 2008, rééd. 2009). Dans le pdf de la thèse de Samuel Hayat, « Au nom du peuple français ». La représentation politique en question autour de la révolution de 1848 en France (soutenue à Paris VIII en 2011, 702 p.), à l’entrée « droit à », celui « au travail » apparaît à de nombreuses reprises ; en lien avec « l’éducation » ou « l’instruction », v. pp. 183, 290 et 610-611 (comme « droits sociaux »). V. ses développements intitulés « Républicaniser le pays », pp. 278 à 283, en citant les noms de George Sand et d’« Hippolyte Carnot, ministre provisoire de l’Instruction publique et des Cultes » (pp. 129-130 de sa version publiée, 1848. Quand la République était révolutionnaire. Citoyenneté et représentation, Seuil, 2014 ; à propos de la première, v. mon portrait de Flora Tristan ; concernant le second, v. ma note de bas de page 279, n° 1712 – s’agissant de la « liberté de l’enseignement » – et, surtout, mes pp. 661 à 666, spéc. 664-665 où je tisse un lien entre sa pensée et le droit positif contemporain plutôt qu’avec celui des années 1880).

[11] S. Hayat, ouvr. préc., 2014, p. 24 ; italiques de l’auteur, qui fait observer page 13 que « les termes « Seconde République » ou « Deuxième République » sont étrangers au vocabulaire de 1848, ce genre de dénomination ne se répandant que plus tard, durant le Second Empire et surtout sous la Troisième République ».

[12] M. Riot-Sarcey, Le procès de la liberté. Une histoire souterraine du XIXe siècle en France, La Découverte, 2016, p. 102 ; à propos de Lazare Carnot, v. ma note de bas de page 635, n° 32 (page 650 pour le renvoi).

[13] V. respectivement pp. 648 et s. ; 631 et s. V. aussi à l’occasion de deux de mes conclusions, pp. 1183 et 1214

[14] S. Hayat, « Les Gilets jaunes et la question démocratique », 24 déc. 2018

[15] La fin de cette formule est reprise de mon résumé à la RDLF 2018, thèse n° 10

[16] M. Delmas-Marty (entretien avec, par R. Bourgois), « 70 ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme, ce qui manque c’est le mode d’emploi », AOC 8 déc. 2018, quelques lignes avant de remarquer qu’elle « a fonctionné en faveur des peuples colonisés » ; plus loin encore figure la phrase retenue pour titrer, la suite étant : « comment faire pour concilier l’universel et le pluriel ? ».

[17] V. ma page 955, ouvrant des développements sur l’enrichissement interprétatif réalisé par la Cour européenne (de la Convention par des sources onusiennes).

[18] V. mes pp. 801 et s.

[19] CEDH, 7 déc. 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, n° 5095/71, 5920/72 et 5926/72, § 50 ; v. ma page 827, avec la note n° 1224 ; contrairement à ce qu’affirment Jean-Pierre Camby, Tanneguy Larzul et Jean-Éric Schoettl dans le dernier AJDA de l’année, la « jurisprudence » de la Cour ne reconnaît pas « un droit fondamental des parents » (2018, n° 44, p. 2486, spéc. p. 2491, en citant ce § 50) ; affaiblissant leur plaidoyer (« Instruction obligatoire : pour un principe fondamental reconnu par les lois de la République »), les auteurs reprennent la position des défenseurs de l’instruction à domicile (v. ainsi mes pp. 828 et 853, avec les références citées). Sans pouvoir en faire la démonstration ici, j’estime pour ma part que le « droit à l’éducation » est tout à fait apte à constituer un motif de restriction suffisant des autres droits (et libertés), en ce compris parentaux.

Ajouts au 20 octobre 2020 : près de deux ans après la publication de ce billet, et une vingtaine de jours après l’annonce du principe de la scolarisation obligatoire en droit français, j’ajoute ici plusieurs références :

  • Bernard Toulemonde, cité par Marie Piquemal, « Fin de l’éducation à domicile : peu d’élèves concernés, mais un vrai débat », liberation.fr le 2 (quant à Jean-Paul Delahaye, ses références à « l’intérêt supérieur de l’enfant » et au « droit des enfants à l’instruction » apparaissent toutes les deux anachroniques ; le fondement de la loi Ferry était la liberté de conscience, raison pour laquelle elle fait l’objet de développements spécifiques dans la première partie de ma thèse, comme je l’explique page 59 de ma thèse (2017). V. le texte d’André D. Robert et Jean-Yves Seguy (2015), cité dans mon billet du 29 novembre, spéc. les §§ 22 et 62, en conclusion – avec toutefois une référence ambiguë au terme « droit », au paragraphe suivant ; v. évent. mes pp. 639-640) ;
  • celles de mon billet du 26 mars, en précisant qu’il aurait pu/dû comprendre un renvoi à des citations de François Luchaire, via mes notes de bas de page 1031 et 1100, n° 2481 et 2896 ;
  • enfin et surtout à l’arrêt Wunderlich c. Allemagnen° 18925/15 (rendu par la CEDH le 10 janv. 2019, définitif au 24 juin ; v. en français le Communiqué de presse du Greffier, ne liant pas la Cour, 3 p.). Dans le pdf de ma thèse (2017), entrer le nom de l’affaire conduit à quelques résultats, not. des citations des Observations écrites soumises à la Cour par le directeur de l’ONG European Centre for Law and Justice, Grégor Puppinck (elles sont évoquées dans l’arrêt, aux §§ 5 et 41 in fine).
Capture d’écran de « Rob Clarke and the Wunderlich family », ADF International 4 janv. 2019 (en avril, ladite famille avait demandé un renvoi en Grande-Chambre, en vain ; l’organisation terminait son billet en citant un soutien de longue date : Mike Donnelly, de la Home School Legal Defense Association (HSLDA) – une association chrétienne basée aux États-Unis, présidée par Mike Smith)
  • Je pensais avoir déjà signalé cet arrêt ; le faire si tardivement permet de citer largement un article à propos de « l’ECLJ, qui bénéficie également d’un statut d’ONG accréditée aux Nations unies (ONU) », et « n’est qu’une filiale européenne d’un groupe américain dont elle reprend le nom : l’American Center for Law and Justice (ACLJ) ». Il s’agit d’« une structure créée en 1990 par l’un des chefs de file du conservatisme chrétien américain, Pat Robertson », depuis lors « aux mains d’une autre famille tout aussi influente : les Sekulow », qui avaient « déjà fondé en 1988 une autre ONG, Christian Advocates Serving Evangelism (CASE) » ; « Outre la succursale européenne, il existe une branche « slave » (Slavic Center for Law and Justice), destinée à agir en Europe de l’Est, qui noue des liens étroits avec les conservateurs hongrois et soutient le président russe Vladimir Poutine dans sa lutte contre la « propagande homosexuelle ». L’ACLJ est également présente et active en Afrique. Sa filiale locale, l’African Center for Law and Justice, est ainsi intervenue très activement au Zimbabwe au début des années 2000 pour que l’homosexualité y demeure un crime » (Samuel Laurent, « Des proches de Donald Trump au secours de La Manif pour tous », Le Monde 4 mars 2020, p. 15 ; dans le même quotidien, v. aussi le 24 févr., pp. 14-15 : dans leur papier titré « Europe de l’Est. La guerre du genre est déclarée », Jean-Baptiste Chastand, Anne-Françoise Hivert et Jakub Iwaniuk s’arrêtaient notamment sur « l’institut Ordo Iuris, spécialisé dans la promotion des « valeurs catholiques » par le droit, qui est à la manœuvre [en Pologne, en particulier contre l’avortement] » ; « Cette organisation, membre du réseau européen de catholiques radicaux Agenda Europe », est également mentionnée dans l’affaire préc., l’arrêt citant cette tierce-intervention).
  • Peu de temps après l’arrêt de la Cour, le Tribunal fédéral suisse s’est positionné concernant Bâle-Ville (22 août 2019, 2C_1005/2018) : selon un décryptage paru dans la presse, cette « décision précise que le droit fondamental au respect de la vie privée et familiale (article 13 de la Constitution fédérale) ne confère pas (…) un droit à suivre des cours privés à domicile. Certes, cette disposition, qui trouve son pendant dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, article 8), englobe aussi le droit des parents [d’]éduquer leurs enfants. Mais la Cour européenne des droits de l’homme également estime dans sa jurisprudence qu’aucun droit à l’enseignement privé à domicile ne peut être déduit de l’article 8 de la CEDH [j’ajoute qu’il ne peut l’être non plus du « droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques », prévu par la seconde phrase du premier protocole additionnel – ratifié par la France, mais non la Suisse]. Constatant qu’aucun traité international n’accorde un tel droit, le Tribunal fédéral ajoute qu’il n’y a pas lieu d’accorder des droits plus étendus en vertu de la Constitution fédérale. Il en découle que même des réglementations cantonales très restrictives en matière de « homeschooling » ne violent pas le droit au respect de la vie privée et familiale » (« L’école à domicile n’est pas un droit constitutionnel », lematin.ch 16 sept. 2019).

[20] Et non « à partir » de (juillet) 1975 avec la loi dite Haby, comme l’affirme à trois reprises Odile Roynette dans un article récent – par ailleurs stimulant, lui aussi –, « La mixité : une révolution en danger ? », L’Histoire janv. 2019, n° 455, p. 13 ; v. mon billet du 24 avr. sur (le droit à) « l’éducation à la sexualité » et, plus spécialement à propos la contribution juridique que je signale dans mon résumé de thèse préc. – dans le prolongement des travaux centrés sur l’histoire de la mixité (« sexuelle ») –, mes pp. 74-75, 92 à 98 (697 à 703 et 706-707 à propos de Paul Robin), 792-793 et, surtout, 987 à 1001, où je cite la loi du 10 juillet 1989, dite Jospin : elle est à l’origine de l’article L. 121-1, qui prévoyait initialement – lors de la codification, en 2000 – que les « écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur (…) contribuent à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes ». Cette « obligation légale », qui aura bientôt trente ans, est rappelée par la vice-présidente de Mnémosyne, réagissant aux programmes d’Histoire envisagés pour la rentrée 2019 : elle « n’a pas été consultée par le Conseil supérieur des programmes ­[CSP], ni aucune autre association travaillant sur l’égalité hommes-femmes » (Cécile Beghin (entretien avec, par Jean-Baptiste de Montvalon), « Les femmes ne font-elles jamais l’histoire ? », Le Monde Idées 15 déc. 2018, p. 5 ; à partir de Marie Skłodowska-Curie, v. mon billet du 4 février).

[21] O. Roynette, art. préc. (je souligne).

[22] Citée par Marie Bourreau (à New York) et Rémy Ourdan, « Triste anniversaire pour les droits humains », Le Monde 8 déc. 2018, p. 2

[23] K. Naidoo, « Pas de liberté politique sans égalité sociale », Le Monde diplomatique déc. 2018, pp. 1 et 10-11 (avec aussi un texte de Claire Brisset, « Un long cheminement vers la dignité »).

Les laïcités-séparation

Illustration empruntée à la députée Isabelle Rauch, le 9 déc. 2020 (v. la citation sous le portrait également ajouté à la fin du présent billet, le 23 févr. 2021)

« Avant la loi de séparation des églises et de l’État, le culte était un service public qui fut considéré autrefois comme le plus important ». Trois ans après cette affirmation de Gaston Jèze1Gaston Jèze, note sous CE, 21 mars 1930, Société agricole et industrielle du Sud-Algérien ; RDP 1931, p. 763, spéc. p. 767, Marcel Waline annotait un arrêt de la Cour de Paris : l’incompétence de l’autorité judiciaire était confirmée, au motif qu’« il est sans intérêt que depuis la loi du 9 déc. 1905 le culte ait perdu le caractère de service public, (…) l’affectation à l’usage direct du public suffisant à justifier la domanialité publique »2Paris, 13 mai 1933, Ville d’Avallon ; D. 1934, II, 101.

L’annotateur soulignait le caractère catholique de « la catégorie de beaucoup la plus nombreuse [des] édifices affectés, avant 1905, aux cultes ». L’affaire lui servait de prétexte pour défendre une « idée traditionnelle, mais sage (une idée traditionnelle n’est pas forcément fausse) », à propos des biens relevant du domaine public3Marcel Waline, note préc., p. 103.

(LGDJ/Lextenso éd., 2015)

Il relevait d’ailleurs la reprise de l’argumentation du commissaire du Gouvernement Corneille, dans ses conclusions sur un arrêt célèbre, Commune de Monségur4CE, 10 juin 1921, Commune de Monségur ; D. 1922, III, 26, reproduites dans l’ouvrage ci-contre, n° 66, pp. 663 et s. Un « exercice de gymnastique » atypique avait entraîné des conséquences dramatiques pour un enfant ; le recours formé en son nom allait être rejeté par le Conseil d’État.

En ce 9 décembre où il sera question de la séparation, il est intéressant de (re)lire Corneille évoquer « les lois de séparation, notamment l’article 5 de la loi du 2 janvier 1907, qui, après avoir remis aux communes la propriété des églises, déclare qu’à défaut d’associations cultuelles, elles restent à la disposition de la communauté des fidèles, sauf désaffectation prononcée dans les formes et dans les conditions expressément prévues par la loi »5Concl. préc., p. 664. Jean Baubérot complète : ces « lois de séparation au pluriel » (dont celle du 13 avril 1908) « avantagent le catholicisme par rapport aux autres cultes qui se sont conformés à la loi de 1905 »6Jean Baubérot, « La laïcité », in V. Duclert et C. Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Flammarion, 2ème éd., 2007, p. 202, spéc. pp. 206-207.

Revenant sur le « conflit des laïcités séparatistes lors de l’ajout à l’article 4 », en 1905 (je les évoquais dans ce portrait), l’auteur reproche à un autre historien d’« évacuer l’enjeu du dissensus »7Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises. Le modèle français de laïcité n’existe pas, éd. MSH, 2015, pp. 61 et s., spéc. 64, en citant Jean-Paul Scot, « L’État chez lui, l’Église chez elle ». Comprendre la loi de 1905, Seuil, 2005, p. 240.

En titrant « L’État chez lui, l’Église chez elle », Jean-Paul Scot reprend – en l’inversant – une formule de Victor Hugo ; il y a là une entrée possible dans ma thèse, conduisant notamment à ce discours de 1850, et j’ai découvert récemment un arrêt qui m’a fait penser à la formule qu’il a choisie pour titrer son ouvrage : saisi par des pasteurs, le Conseil d’État a pu juger, à propos d’une « salle constitu[ant] un édifice servant à l’exercice du culte [protestant] », qu’une délibération du conseil municipal décidant de « diviser cette salle en deux parties » portait atteinte à « l’art. 13 de la loi » de 1905 ; il parvenait à cette conclusion après avoir noté qu’« en vertu d’un usage constant [depuis 1845], le service ordinaire du culte y est célébré le dimanche et les services extraordinaires n’y ont lieu qu’après quatre heures du soir [sic], sans, d’ailleurs, que cette affectation ait causé une gêne pour le service public de l’enseignement »8CE, 15 juill. 1938, Association cultuelle d’Allondans-Dung et Consistoire de Montbéliard, Rec. 673, spéc. p. 674. Plus anecdoctique, cette illustration de 1938 laisse aussi percevoir qu’il n’y a pas une, mais des laïcités-séparation : non seulement la plupart des « édifices des cultes » restent des propriétés publiques après la loi de « séparation » (v. son titre III, art. 12 et s.), mais elle peut s’opérer en fonction du temps sans exiger celle des espaces affectés.

Merci à Marc et Marie-Christine pour l’envoi de cette photographie, il y a deux mois, après leur passage sur la place des Républicains espagnols de Cahors ; je ne connaissais pas cette citation de Jaurès (il faudrait en retrouver l’origine), qui peut être rapprochée de celle qui figure en note de bas de page n° 37 du Livret de méthodologie (v. aussi ma thèse pp. 324-325)

Dans la période récente, Vincent Valentin a développé l’idée d’un « évidement progressif du principe », notamment marqué par « une sorte de validation jurisprudentielle » cinq ans plus tôt (avec cinq décisions du même jour, le 19 juillet 20119Vincent Valentin, « Remarques sur les mutations de la laïcité. Mythes et dérives de la « séparation » », RDLF 2016, chron. n° 14. Cette année-là, Pierre-Henri Prélot s’attachait « à démontrer qu’en dépit des idées communément reçues, [la loi n° 2010-1192 (relative au « voile intégral »)] s’inscrit en contradiction profonde avec la loi de 1905 »10Pierre-Henri Prélot, Société, Droit & Religion n° 2, Dossier thématique : L’étude des signes religieux dans l’espace public, CNRS, 2011, p. 25. C’est notamment en renvoyant à cette analyse que je qualifie de « néo-gallicane » (ma thèse, p. 367) une proposition manifestation encore d’actualité : celle d’une formation républicaine des imams.

Plus largement, à la veille des 70 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, une modification de la loi de 1905 est envisagée11V. ce communiqué commun de plusieurs organisations de défense de la laïcité, le 30 nov. ; il n’est pas possible d’exclure qu’elle vise spécialement une religion : il y aurait celle du lien à « réparer » (Emmanuel Macron le 9 avr.) et celle qu’il faudrait contrôler12V. cette tribune de Sabine Choquet, « Est-ce le rôle de l’Etat de distinguer le bon du mauvais islam ? », Le Monde le 29, p. 28 ; à propos de la jurisprudence qu’elle rappelle, v. mon (long) billet du 15 mai ; une version de la tribune de Patrick Weil a été mise en ligne le lendemain : pour les références à l’Algérie, comparer celles de ma thèse, signalées à partir de celui du 15 oct., au besoin en allant s’inspirer « de la cacherout – ensemble des règles alimentaires du judaïsme – contrôlée par le Consistoire israélite », alors que « ce modèle a été mis en place en d’autres temps, sous le règne de Napoléon Bonaparte, avant les lois de séparation »13Rachid Benzine, Le Monde le 7 mars, p. 20 et 12 sept., p. 21 ; v. aussi le 15 août, p. 23, Raberh Achi évoquant un « projet de Napoléon III de créer en 1865 un « consistoire musulman » en Algérie »..

L’année dernière, une revendication de laïcité-séparation avait été faite à Strasbourg, pendant que des crèches de Noël étaient installées au siège de la Région Auvergne-Rhône-Alpes (v. mes billets des 9 juill. et 25 févr., tous deux actualisés ce 9 déc.).

Si les affaires citées au seuil de ce billet témoignent de ce qu’elle rencontrait des limites dès sa consécration, l’idée de séparation n’était pas, dans l’entre-deux-guerres, remise en cause comme elle le sera plus tard en matière d’enseignement. Je renvoie sur ce point à mon introduction (pp. 19 à 22) et, surtout, à mes développements sur la consécration, par la loi Debré en 1959, de l’affaiblissement de la laïcité-séparation (pp. 572 et s.). J’ai notamment mobilisé les écrits de François Méjan (évoqué avec son père Louis14Et un autre juriste ayant contribué à la rédaction de la loi de 1905, Paul Grünebaum-Ballin ; v. mon billet du 28 juill. sur Jean Zay. ; Lucie-Violette Méjan, sa sœur, a réalisé à la même période sa thèse sur l’œuvre de leur père, dernier Directeur de l’Administration autonome des Cultes 15Préfacée par Gabriel Le Bras et publiée aux PUF, en 1959, elle est recensée ici, et ..

Un élément d’actualité est fourni par Elsa Forey16Elsa Forey, « Relations entre les cultes et les pouvoirs publics : le législateur prêche la confiance. Réflexions sur la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance », AJDA 2018, p. 2141 ; publiée le mois dernier, son étude mobilise les travaux préparatoires de la loi n° 2018-727 par laquelle le législateur est « revenu sur la loi n° 2016-1691 » d’il y a exactement deux ans (dite « loi Sapin 2 »), plus précisément son article 25. L’une des interrogations finales de l’autrice est formulée ainsi : « Quid des démarches engagées par les associations chargées de l’enseignement privé confessionnel (très majoritairement catholique) auprès des pouvoirs publics ? Seront-elles considérées (…) comme des associations « à objet cultuel », dispensées de déclarer leurs activités auprès des pouvoirs publics ? Une députée le suggère sans être contredite par le ministre ou le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale (AN, séance du 26 juin 2018) » 17Art. préc., pp. 2146-2147.

(publié aux éd. du Seuil, 2011)

Pour conclure, il est intéressant d’envisager les Laïcités sans frontières – qu’elles soient spatiales, ou temporelles –, pour reprendre le titre de l’ouvrage ci-contre. En 2011, Jean Baubérot et Micheline Milot rappelaient, page 9, qu’Aristide Briand citait en son temps « les États-Unis, avec le Canada, le Mexique ou le Brésil, comme des pays où « l’État est réellement neutre et laïque » (Chapitre IV de son rapport à la Chambre des députés) » (4 mars 1905, p. 14918V. aussi pp. 179 et s., à partir d’une « récente étude de M. Louis Gullaine », publiée le 10 janvier 1905 à la Revue politique et parlementaire.. Fin 2018, deux dynamiques plus ou moins enthousiasmantes peuvent être évoquées : à rebours de celle signalée par cet extrait du Courrier des Balkans19« Grèce : vers la séparation de l’Église et de l’État ? », 26 nov. 2018, celle du Brésil20V. le troisième temps de mon billet du 5.

Ajout au 30 septembre 2019, pour signaler ce billet de Jean Baubérot (le 25), annonçant la parution du premier tome d’une …Histoire politique des Séparations des Églises et de l’État (1902-1908), éd. MSH ; le pluriel est justifié par une citation de Georges Clemenceau, dans L’Aurore du 18 septembre 1904 : « La séparation selon M. Ribot n’est pas du tout la séparation selon M. Combes, laquelle diffère absolument de la séparation selon M. Briand, pour ne pas parler d’un certain nombre d’autres »…

Portrait réalisé par Pierre Mornet, pour illustrer la tribune de Jean Baubérot, « Monsieur le président, ne passez pas de Ricœur à Sarkozy ! », nouvelobs.com 28 nov. 2020 ; la première illustration renvoie à un texte faisant référence aux « territoires les plus relégués de notre République » ; cinq jours auparavant, v. aussi la réaction de Ludovic Mendes, également député LREM de la Moselle (retweeté par @EnMarche57, ce 4 déc. ; v. encore Antoine Balandra, « Loi séparatismes : pourquoi le concordat d’Alsace-Moselle ne sera pas remis en cause », francebleu.fr 15 févr. 2021, en comparant avec mes observations – publiées le lendemain – sous TA Guyane Ord., 30 oct. 2020 ; AJCT 2021, pp. 104-105, in fine).

Plus d’un an plus tard, j’avais basculé certaines parenthèses en notes, dans la foulée de la publication de mon billet du 29 novembre 2020 ; le 23 février 2021, j’ai ajouté les première et dernière illustrations en le complétant21Note ajoutée le 9 mars 2021, en décalant les précédentes pour intercaler la numéro 18, à l’occasion de ce billet : v. Augustine Passilly, « Renforcement de la laïcité : un projet de loi controversé », 16-17 déc. 2020, avec le précédent, pour citer – ici aussi – Jean Baubérot (entretien avec, par Claire Legros), « Le gouvernement affirme renforcer la laïcité, alors qu’il porte atteinte à la séparation des religions et de l’État », Le Monde 15 déc. 2020, p. 30 (annoncé à la Une, ce mardi-là).

S’agissant des « 250 aumôniers de prison musulmans », l’historien invite « à s’inspirer du travail de l’armée, où les aumôniers militaires musulmans comme leurs homologues catholiques, protestants et juifs sont intégrés à l’institution en tant qu’officiers et doivent connaître l’histoire et les règles républicaines, notamment celles concernant la laïcité. Un tel dispositif n’est pas une atteinte à la laïcité » (comparer mon billet du 30 avril 2020, en note n° 51 ; v. aussi celui du 30 mars 2018, déplorant – dans le prolongement de la page 1135 de ma thèse – le peu d’activités éducatives proposées en détention – lesquelles sont d’ailleurs actuellement suspendues, ici et là) ; « En régime de séparation, les rapports entre la République et les religions sont surtout juridiques. Il serait plus logique que ce soit le ministère de la justice [et non plus celui de l’intérieur] qui gère les cultes ».

Notes

1 Gaston Jèze, note sous CE, 21 mars 1930, Société agricole et industrielle du Sud-Algérien ; RDP 1931, p. 763, spéc. p. 767
2 Paris, 13 mai 1933, Ville d’Avallon ; D. 1934, II, 101
3 Marcel Waline, note préc., p. 103
4 CE, 10 juin 1921, Commune de Monségur ; D. 1922, III, 26
5 Concl. préc., p. 664
6 Jean Baubérot, « La laïcité », in V. Duclert et C. Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Flammarion, 2ème éd., 2007, p. 202, spéc. pp. 206-207
7 Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises. Le modèle français de laïcité n’existe pas, éd. MSH, 2015, pp. 61 et s., spéc. 64, en citant Jean-Paul Scot, « L’État chez lui, l’Église chez elle ». Comprendre la loi de 1905, Seuil, 2005, p. 240
8 CE, 15 juill. 1938, Association cultuelle d’Allondans-Dung et Consistoire de Montbéliard, Rec. 673, spéc. p. 674
9 Vincent Valentin, « Remarques sur les mutations de la laïcité. Mythes et dérives de la « séparation » », RDLF 2016, chron. n° 14
10 Pierre-Henri Prélot, Société, Droit & Religion n° 2, Dossier thématique : L’étude des signes religieux dans l’espace public, CNRS, 2011, p. 25
11 V. ce communiqué commun de plusieurs organisations de défense de la laïcité, le 30 nov.
12 V. cette tribune de Sabine Choquet, « Est-ce le rôle de l’Etat de distinguer le bon du mauvais islam ? », Le Monde le 29, p. 28 ; à propos de la jurisprudence qu’elle rappelle, v. mon (long) billet du 15 mai ; une version de la tribune de Patrick Weil a été mise en ligne le lendemain : pour les références à l’Algérie, comparer celles de ma thèse, signalées à partir de celui du 15 oct.
13 Rachid Benzine, Le Monde le 7 mars, p. 20 et 12 sept., p. 21 ; v. aussi le 15 août, p. 23, Raberh Achi évoquant un « projet de Napoléon III de créer en 1865 un « consistoire musulman » en Algérie ».
14 Et un autre juriste ayant contribué à la rédaction de la loi de 1905, Paul Grünebaum-Ballin ; v. mon billet du 28 juill. sur Jean Zay.
15 Préfacée par Gabriel Le Bras et publiée aux PUF, en 1959, elle est recensée ici, et .
16 Elsa Forey, « Relations entre les cultes et les pouvoirs publics : le législateur prêche la confiance. Réflexions sur la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance », AJDA 2018, p. 2141
17 Art. préc., pp. 2146-2147
18 V. aussi pp. 179 et s., à partir d’une « récente étude de M. Louis Gullaine », publiée le 10 janvier 1905 à la Revue politique et parlementaire.
19 « Grèce : vers la séparation de l’Église et de l’État ? », 26 nov. 2018
20 V. le troisième temps de mon billet du 5
21 Note ajoutée le 9 mars 2021, en décalant les précédentes pour intercaler la numéro 18, à l’occasion de ce billet : v. Augustine Passilly, « Renforcement de la laïcité : un projet de loi controversé », 16-17 déc. 2020

Journée des droits de l’enfant

Support de communication de l’UNESCO

« Le droit à l’éducation, c’est aussi le droit à un personnel enseignant qualifié ». Tel était le thème d’un rappel conjoint adressé « à la communauté internationale », le 5 octobre ; ce jour-là, « depuis 1994, la Journée mondiale des enseignant(e)s commémore la signature de la Recommandation OIT/UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de 1966 ».

Le message est-il bien reçu partout, en France ? En Seine-Saint-Denis, par exemple, il est permis d’en douter (plus largement, v. l’« appel au secours » lancé depuis le tribunal de Bobigny, « La grande misère de la protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis », Le Monde 6 nov. 2018, p. 22 : « des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables » ; en ligne sur le site de Laurent Mucchielli). Le 15 novembre, il a été répété que la question de l’absentéisme enseignant « constitue une priorité majeure du ministère de l’éducation nationale puisqu’elle touche à la continuité et à la qualité du service public » ; dans cette réaffirmation volontariste (« notamment de pallier les absences prévisibles, comme celles liées aux stages de formation continue »), l’absence de référence au droit à l’éducation peut être relevée.

Ce droit, c’est d’abord celui des enfants. Il voit sa réalisation contrariée quand de « violentes intempéries » frappent des territoires, en ce compris leurs établissements scolaires, comme ce fût le cas dans « 126 communes du département de l’Aude » à la mi-octobre (v. les témoignages des partenaires de l’association Solidarité Laïque, le 23) ; si elles « ont, pour une fois, épargné la vallée de la Corneilla », la continuité des services périscolaires s’y trouve quant à elle menacée par « la baisse drastique du nombre de contrats aidés », « ces emplois dont on ne peut [en l’état] pas se passer » (Elise Barthet, Le Monde Économie & Entreprise le 29). « En un an », leur nombre « est passé de 474 000 à 280 000 », une mesure brutale décidée peu de temps avant que l’île de Saint-Martin ne soit dévastée par l’ouragan Irma (v. ma thèse, pp. 115-116, les actualités de ce billet et, plus largement et récemment, cette autre réponse du ministère, le 15 nov., à propos des aides administratives à la direction d’école).

Dix jours avant une « nouvelle campagne de l’UNESCO » à propos du droit à l’éducation, Audrey Azoulay et alii rappelaient déjà qu’il figure dans un texte fêtant ses 70 ans, la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH ; pp. 727 et s.). Dans l’« enfer sur terre » qu’est devenu le Yémen – selon une formule du Fonds de l’ONU pour l’enfance (Unicef ; v. Le Monde.fr avec AFP 6-7 nov.) –, où nul.le n’est à l’abri des armes prétendument « fournies [par la France à l’Arabie Saoudite] pour se défendre » – mais qui, à la « connaissance » de la ministre des Armées, « ne sont pas utilisées au Yémen contre les populations civiles » (Florence Parly, citée par Le Canard enchaîné 31 oct., pp. 3 et 8) –, la réalisation du droit à l’éducation est moins facile à imaginer que son absence ; c’est sans doute un « malentendu », là aussi, qui conduit à avoir de plus en plus de raisons de penser que le Gouvernement consacre davantage d’efforts à l’exportation d’armements.

PUR, 2015, 210 p. (actes d’un colloque pluridisciplinaire à Angers, les 10 et 11 oct. 2014)

Dans mon précédent billet, j’évoquais le Comité des droits de l’enfant à partir d’un ouvrage encourageant, il y a trois ans, leur histoire transnationale (v. ci-contre) ; une autre contribution est citée en note de bas de page 1116 (n° 3010), et deux autres encore dans ceux consacrés à la Convention qui a institué cet autre organe onusien, la CIDE (pp. 758 et s., 770 et s. pour le Comité).

Autrice de l’une d’elles, Vanessa Guillemot-Treffainguy a soutenu à Bordeaux – il y a pratiquement un an, le 1er décembre – une thèse intitulée La protection de l’enfant contre ses parents…. Il y a trente-quatre ans, celle de Claire Neirinck était publiée (v. la mienne en note de bas de page 1027, n° 2457) ; dans la conclusion de ma première partie, j’ai illustré par d’autres références la mention du « droit d’éducation » des parents (pp. 621 à 624 ; v. sa thèse, La protection de la personne de l’enfant contre ses parents, LGDJ, 1984, pp. 123, 230 à 233 et 372-373). Les versions pdf permettent un test rapide par mots-clés : la comparaison des résultats fait apparaître un rééquilibrage quasi-parfait avec le « droit à l’éducation » (des enfants), mais qui s’effondre à la lecture des formulations qui l’accompagnent ; rien de surprenant à cela compte tenu de la délimitation temporelle de cette thèse (…(1804-1958), 2017, 680 p. ; v. les pages de la mienne précitées, ou mon résumé à la RDLF 2018, thèse n° 10).

Préinscrit à l’article 26 de la DUDH, le « droit de l’enfant à l’éducation » a été consacré par l’article 28 de la CIDE, il y a maintenant vingt-neuf ans ; quelques mois plus tôt, en cette année 1989, ce droit était enfin inscrit comme tel dans une loi française (pp. 1001 et s. ; il l’avait été auparavant comme « droit à une formation scolaire », en 1975 : ce droit à figure toujours à l’art. L. 111-2, récemment cité en ouverture d’une tribune publiée sur Libération.fr le 5 nov., plaidant pour un « programme de sciences économiques et sociales éduquant à la démocratie et à la citoyenneté », au contraire de celui qui vient d’être arrêté pour les classes de première).

Pourtant, l’éducation n’est encore souvent pas pensée comme un droit, même par qui la défend le plus largement (v. ainsi Ibid. 7 nov. : Sandra Laugier, philosophe, et Albert Ogien, sociologue, reviennent sur l’« arrivée au pouvoir d’adversaires résolus de la démocratie comme forme de vie, (…) qui brûlent de mettre fin au pluralisme, au droit à l’avortement, à l’éducation pour tou.te.s, aux droits des homosexuels et trans, à l’égalité politique des femmes » ; je souligne. Concernant les « discriminations spécifiques » que subissent les élèves filles, v. l’« enquête publiée jeudi 8 » par Unicef France, Le Monde.fr avec AFP le 8 ; s’agissant de la « tenue correcte » exigée d’elles en particulier – ce que souligne l’étude d’Edith Maruéjouls et Serge Paugam –, v. mon billet du 24 avr., juste avant l’actualisation du 12 mai, en ajoutant ici que, depuis 2015, le premier jeudi du mois de novembre a lieu la « journée nationale de lutte contre toutes les formes de harcèlement »… entre élèves).

« Le 20 novembre, jour anniversaire de l’adoption par l’Organisation des Nations unies de la Convention internationale des droits de l’enfant, est reconnu Journée nationale des droits de l’enfant » depuis la loi n° 96-296 du 9 avril 1996 ; le 23 octobre dernier, la Cour administrative d’appel de Lyon a refusé la référence qui avait été faite à ce texte onusien en première instance (le maire avait reçu en 2015 le soutien de Nicolas Sarkozy : à partir de la réaction de Jean Baubérot, v. mes pp. 343-344 et, plus largement, mon billet sur le nécessaire dépassement de la référence à la « liberté de conscience ») ; l’irrégularité sanctionnée au considérant 6 sera peut-être discutée, mais devrait en tout état de cause encourager les avocat·e·s à citer la CIDE dans leurs requêtes [1]. A la suite de cette affaire, je consacre quelques développements aux jours fériés religieux ; dans un État laïque de droits, leur remplacement par des journées internationales comme celle de ceux de tous les enfants pourrait être envisagé.

Le risque serait toutefois d’alimenter les critiques des détracteurs d’une prétendue religion de ces droits ; pour un exemple de 2017 qui aurait pu être intégré à ma conclusion générale (pp. 1227-1228), v. l’un des articles cités au (billet du) renvoi précédent : Jean-Éric Schoettl va jusqu’à mentionner la « véritable nouvelle religion officielle que sont devenus les droits fondamentaux » ; à réagir en jouant avec les mots, elle m’apparaît bien moins consacrée en France – en particulier dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (v. pp. 1118 et s., spéc. 1122, ou mon résumé de thèse préc., juste avant la présentation de son dernier titre) – que La Religion de la laïcité, pour s’en tenir au titre du dernier livre de Joan Wallach Scott (traduit de l’anglais (États-Unis) par Joëlle Marelli, publié chez Flammarion et présenté par ex. par Cécile Daumas, Libération.fr 19 sept. 2018).

Parmi « ces enfants pour qui la promesse [de leurs droits] n’est pas tenue », en France, des catégories se distinguent : outre celui du 6 juin, v. mes deux premiers billets relatifs aux personnes mineures non accompagnées et à celles en situation de handicap (datés du 5 janvier ; pour alléger le présent billet, j’ai repris le 25 février 2019 les trois paragraphes initialement placés ici, pour contribuer à faire connaître le Comité européen des droits sociaux et la Charte sociale révisée, promue par lui comme « le traité le plus important en Europe pour les droits fondamentaux des enfants » : v. mes pp. 902 et s.).

S’agissant de ces dernières, Béatrice Kammerer a rédigé un article publié cette année sous le titre : « Handicap, la scolarisation à tout prix ? ». Outre Christine Philip, de l’INSHEA (v. ma thèse pp. 1048 à 1050, ainsi qu’en note de bas de page 1059 et 1064), se trouve citée Anne Gombert ; pour cette chercheuse en psychologie cognitive au centre Psyclé de l’université d’Aix-Marseille, « si l’enseignant n’est pas a minima formé, c’est une forme de maltraitance institutionnelle » (Sciences Humaines avr. 2018, n° 302, p. 18, spéc. pp. 19 et 22 ; je souligne).

Depuis le 25 octobre, « le collectif Justice pour les jeunes isolés étrangers (Jujie) [a publié sur son blog de nombreux témoignages] sur la maltraitance institutionnelle dont ces enfants sont victimes ainsi que chaque lundi un dessin et un texte destinés à lutter contre les idées reçues au sujet des [Mineurs Isolés Etrangers (Mineurs Non Accompagnés selon la terminologie officielle)] » (concernant leurs parcours, v. aussi Alizée Vincent, « Le destin des jeunes migrants », Sciences humaines.com nov. 2018 ; s’agissant des difficultés rencontrées après le dix-huitième anniversaire, v. le II. A. de Delphine Burriez, « Mineurs isolés situés sur le territoire : une atteinte au droit de solliciter l’asile en France », RDLF 2018, chron. n° 21, et mon billet du 25 mars 2019[2]).

Le 5 octobre, une décision intéressante a été rendue par le TA de Nancy (n° 1802680), à propos d’un enfant de treize ans venu d’Albanie ; s’il n’est pas le plus important d’un point de vue concret, je me limiterai ici à l’un de ses apports : reprenant des formulations antérieures – v. ma thèse, pp. 1116-1117 –, cette ordonnance procède dans son considérant 5 à une simplification du discours du droit défendue page 1118, au terme de ces développements consacrés au référé-liberté.

Posté le 14 nov. 2017 par Lala

La veille de cette journée (inter)nationale, trois annonces étaient faites : la publication d’un rapport du Défenseur des droits sur ceux « des enfants de la naissance à six ans », la création d’un poste de délégué interministériel à l’enfance et… une augmentation des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur, le Premier ministre ayant confirmé que les étudiant.e.s dit.e.s « hors Union européenne » vont « dès la rentrée prochaine payer beaucoup plus cher » (Camille Stromboni, Le Monde 20 nov., p. 10 ; deux pages plus loin, Jean-Baptiste Jacquin cite le courrier adressé à Edouard Philippe par « l’organe de gouvernance de la CNCDH » : au-delà du rappel des « qualités requises pour présider cette institution », le journaliste note qu’il est insisté sur sa mission « auprès de l’ONU ») ; à défaut d’être au rendez-vous, l’ouverture peut servir à conclure : le droit à l’éducation, c’est aussi celui des adultes.

[1] Ajouts au 28 février 2019, complétés le 23 octobre, après avoir déplacé dans le billet de ce jour la présentation plus générale de cet arrêt rendu il y a tout juste un an.

Le 25 octobre 2002, faisant semblant de ne pas voir ce qui avait animé la commune d’Orange – pour établir un régime différencié (chrétien) –, le Conseil d’État préférait sanctionner une requête « abusive », après n’avoir répondu qu’implicitement – et négativement – à l’invocation du droit à l’éducation ; c’était rater l’occasion de relayer l’obligation internationale de faciliter l’exercice de ce droit (v. ma page 1180), qui n’avait cependant – semble-t-il – été invoqué qu’à partir de l’article 3 § 1 de la CIDE (Mme X., n° 251161). En 2014, redevenu député, le maire Jacques Bompard interpellait le ministère de l’Éducation, en assurant qu’il y aurait « exclusion de plus en plus fréquente de la viande de porc et de ses dérivés dans les menus des cantines scolaires françaises » ; le 18 mars, les services de Vincent Peillon tenaient à rassurer ce membre fondateur du Front national (FN).

Le 27 juillet 2017, le tribunal administratif d’Orléans avait rejeté la demande adressée par un couple à la directrice de « la halte-garderie collective « Trott’Lapins », proposée par la commune » de Saint-Cyr-en-Val (Loiret), « tendant à ce que leurs enfants puissent bénéficier de repas végétariens » ; le 19 octobre 2018, la Cour administrative d’appel de Nantes rejetait leur recours, en refusant notamment d’y voir une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par l’article précité (M. et Mme E., n° 17NT03030, cons. 1 et 7) ; celle de Lyon se prononçait différemment, quatre jours plus tard, tout en supprimant le fondement onusien retenu par le TA de Dijon, le 28 août 2017 (CAA Lyon, 23 oct. 2018, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 17LY03323, cons. 6 ; v. mon billet).

Pour Baptiste Bonnet, « sur ce point, la juridiction a manqué d’audace et aurait été bien inspirée de tenter de faire infléchir une jurisprudence datée (…) et de plus en plus incompréhensible au vu de l’état des rapports de systèmes. Cette affaire aurait été la bonne occasion pour soulever d’office un moyen tiré de la violation du droit international, le fondement d’un moyen d’ordre public comme celui-là étant aisé à trouver dans l’autorité du droit international telle qu’expressément consacrée par la Constitution du 4 octobre 1958 » (AJDA 2019, p. 117, spéc. p. 120). La jurisprudence à laquelle il est fait allusion remonte à un arrêt SA Morgane du Conseil d’État, rendu le 11 janvier 1991 en Section aux conclusions contraires de Marie-Dominique Hagelsteen : v. la thèse d’Émilie Akoun, soutenue à Grenoble le 2 décembre 2013 (mise à jour le 4 avril 2015), Les moyens d’ordre public en contentieux administratif, Mare & Martin, 2017, pp. 124-125, 176 à 182 et 329 (v. aussi pp. 155 et 241). Maryse Deguergue termine sa « Préface » en s’interrogeant, plus généralement : la « liberté du juge est-elle bien utilisée, c’est-à-dire mise au service des justiciables ? » (p. 13, spéc. p. 16).

[2] Légère modification au 25 mars 2019, pour intégrer au billet de ce jour des références initialement signalées ici.

17 octobre 1961

Dans deux jours, ce sera à la fois la Journée mondiale du refus de la misère (« créée en 1987 par Joseph Wresinski », comme le rappelait l’année dernière la CNCDH) et, au plan national, la commémoration du 17 octobre 1961 : ce jour-là, à Paris, « des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression » (communiqué de l’Élysée du 17 oct. 2012, la reconnaissance de « ces faits » constituant une des promesses de campagne du candidat François Hollande).

Capture d’écran d’une brève vidéo réalisée par Le Monde Afrique, à partir de la nécrologie de « Pierre Audin, fils de Maurice Audin (…) », lemonde.fr 29 mai 2023 : « Depuis 2018, M. Macron a également reconnu la responsabilité de l’armée française dans la mort de l’avocat nationaliste Ali Boumendjel durant la bataille d’Alger », notamment (v. respectivement les notes 8 et 11, complétées à l’occasion de cet ajout d’illustration en avril 2024, quelques jours après celui de la dernière du présent billet)

Le 13 septembre dernier, le président Emmanuel Macron reconnaissait « au nom de la République » la responsabilité de cette dernière dans l’assassinat, en 1957, du thésard en mathématiques Maurice Audin, militant communiste et anticolonialiste ; cette déclaration officielle est venue établir un lien clair avec la torture, qui « appartenait à l’arsenal disponible pour les militaires chargés de mener une guerre aux formes inédites, dans une population qu’ils connaissaient mal », en prenant « acte de ce que la recherche historique a établi depuis longtemps maintenant » (Raphaëlle Branche [1]).

L’information avait fait les gros titres, en marginalisant à la Une du « quotidien de référence » l’autre annonce de la veille, celle du plan pauvreté (à propos duquel v. mes billets du 15, ici et , ainsi que la première édition du Rapport sur la pauvreté en France, édité aujourd’hui par l’Observatoire des inégalités). L’historienne précitée était invitée Du Grain à moudre le 24, avec le professeur Iannis Roder et la romancière et metteuse en scène Alice Zeniter ; la question posée par Hervé Gardette : « Faut-il revoir l’enseignement de la guerre d’Algérie ? ».

« enseignement du passé colonial » : une « progressive problématisation et politisation » (Laurence De Cock, 2018)

Le 18, Olivier Le Cour Grandmaison annonçait à l’APS que le « collectif pour la reconnaissance des massacres du 17 octobre à Paris et sa banlieue se réunira[it], comme tous les ans, sur le Pont Saint-Michel pour « exiger la reconnaissance de ce crime comme crime d’État et l’ouverture de toutes les archives » » (à l’initiative de l’association « 17 octobre contre l’oubli », v. l’ouvrage sous sa direction, sous-titré Un crime d’État à Paris, La Dispute, 2001 [2] ; Yves Royer y traite de « L’Algérie dans nos manuels », pp. 113 et s.).

La République française « n’a produit en tout et pour tout que quatre lignes de communiqué présidentiel », manquant de précision, déplorait l’année dernière un autre historien ; Fabrice Riceputi affirmait alors : « Au lycée, rien n’interdit aux enseignants d’évoquer cet événement, mais rien dans les programmes ne les oblige, ni ne les encourage à le faire. (…) Notre époque est à une régression politico-mémorielle : le désir de roman historique national édifiant, charriant tous les négationnismes, est l’une des modalités de « l’extrême-droitisation » de la société française » [3].

place Edmond Arnaud (quartier Très-Cloîtres)

A l’occasion d’un colloque organisé à Lyon en juin 2006 (Pour une histoire critique et citoyenne au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire : le cas de l’histoire franco-algérienne), Gilles Boyer et Véronique Stacchetti mentionnaient au titre des « pratiques pédagogiques originales (…) l’étude du roman de Leïla Sebbar La Seine était rouge » (Actes Sud, 2009), dans un collège de l’académie de Lyon ([4]).

Dans cette contribution, il est renvoyé en note n° 1 à la thèse de Françoise Lantheaume (EHESS, 2002), qui a dirigé celle de Laurence De Cock (Université Lumière Lyon 2, 2016 : l’entrée « 17 octobre » conduit à un certain nombre de résultats ; v. aussi le chapitre 3 sur l’« éducation aux droits de l’homme » encouragée par l’UNESCO, pp. 161 et s.). Elle en a tiré un livre publié aux PUL en août, sous le titre Dans la classe de l’homme blanc. L’enseignement du fait colonial en France des années 1980 à nos jours (le sous-titre employé ci-dessus est tiré des extraits de son introduction, publiés par Theconversation.com le 27).

Dans une tribune publiée la veille des Rendez-vous de l’histoire de Blois 2013 ([5]), elle notait que « l’analyse des programmes ne présume pas forcément de la réalité des enseignements et de ce que savent aujourd’hui les élèves » ; et d’évoquer « une enquête lancée par l’université Lyon-II et soutenue par l’Institut français de l’éducation (IFE-ENS de Lyon) », alors « en cours de traitement ». Dans l’ouvrage qui en est issu, Églantine Wuillot souligne « le peu de place pour les conflits qui entrent difficilement dans [le cadre républicain, avec ses principes de justice, de liberté et d’égalité] (les guerres coloniales, par exemple) » ([6]).

A propos de l’enseignement du fait colonial, Laurence De Cock a cherché à comprendre « comment on a pu arriver à ce que soit possible de dire, en même temps, « il n’y en a pas », ou « il y en a trop » ». Une « large partie » de son livre est consacrée « à la question de l’enseignement de la guerre d’Algérie et sa mémoire, (…) proportionnel[le] à la place que cela a occupé dans les débats publics » ces dernières décennies (entretien avec Amélie Quentel, Lesinrocks.com 3 sept. 2018, avec cette clarification : « non, on n’en parle pas trop, et oui, on en parle »).

L’« une des surprises de [s]a thèse a été de constater que le fait colonial est abordé de façon beaucoup plus décomplexée et engagée dans les années 1970 et 1980 qu’aujourd’hui. Les manuels de terminale Nathan de 1983 par exemple parlent des responsabilités de l’armée française dans la torture pendant la guerre d’Algérie » (entretien avec François Jarraud, Le Café Pédagogique 7 sept.). Durant cette période, « cette mémoire ne posait pas tant de problème. Elle n’est pas débattue socialement [et] devient problématique lorsque la guerre d’Algérie devient un enjeu lié à l’immigration » ([7]).

Depuis lors, la « présence désormais permanente des enfants de l’immigration coloniale et post-coloniale dans les classes » est l’objet d’un traitement politique qui conduit « à faire de la mémoire coloniale un sujet politiquement sensible », en particulier « lorsque la question rejaillit dans l’espace public à propos de la torture en 2000 » ([8]). Dans l’entretien pour Les inrocks, elle revient sur sa « manière de penser l’articulation entre le racisme contemporain et la mémoire coloniale », en croisant la « question des discriminations (…) avec d’autres critères, de classe, de genre ».

Accompagnant la publication du livre de Marcel et Paulette Péju, Gilles Manceron remarque : « Lors de la manifestation du 17 octobre, beaucoup d’observateurs ont été étonnés par le nombre de femmes qui y participaient, souvent habillées des mêmes vêtements que les Françaises, et par le caractère mixte des cortèges. Dans ceux, souvent méconnus, du 20 octobre et des jours qui ont suivi, (…) elles ont massivement participé, sans presque aucun appui ni encadrement masculins du fait de la désorganisation de la structure clandestine du FLN » (La triple occultation d’un massacre, La Découverte, 2011, p. 180).

Il renvoie notamment au dernier chapitre de cet ouvrage – terminé en 1962 –, Le 17 octobre des Algériens, pp. 73 à 80, lequel commence ainsi : « Le vendredi 20 octobre, à leur tour, 90 % des femmes algériennes de la région parisienne répondirent à l’appel du FLN : « N’envoyez pas vos enfants à l’école aujourd’hui ; allez manifester contre le couvre-feu et l’arrestation de milliers d’Algériens » ».

Gilles Manceron détaille quant à lui « la négation et la dénaturation immédiates des faits de la part de l’État français, prolongées par son désir de les cacher ; la volonté de la gauche institutionnelle que la mémoire de la manifestation de Charonne contre l’OAS en février 1962 recouvre celle de ce drame ; et le souhait des premiers gouvernants de l’Algérie indépendante qu’on ne parle plus d’une mobilisation organisée par des responsables du FLN qui étaient, pour la plupart, devenus des opposants » (pp. 111-112 [9]).

documentaire (2011) de Yasmina Adi

D’autres supports ont permis de faire connaître cette histoire : entre autres, un texte du rappeur Médine (Zaouiche) en 2006, entré dans les manuels des éditions Nathan en 2012 (v. Jérémie Léger, konbini.com janv. 2018) ; le documentaire ci-contre et, l’année dernière, ce court métrage de Mohamed Ketfi (Jhon Rachid).

Un billet (30 juill., actualisé aujourd’hui) m’a déjà permis d’aborder la tension entre histoire et mémoire(s). Certaines pages de ma thèse concernent directement l’Algérie coloniale (p. 185 à propos des élèves juifs ; pp. 369-372, 546 et 548 à propos de la référence aux libertés), d’autres dressent des parallèles avec celle d’aujourd’hui (pp. 460 et 481). Après l’affirmation européenne du « droit à l’instruction » en 1952, l’une des raisons officielles à la ratification tardive de la Convention concernait l’enseignement (privé) – au nom de sa « laïcité » –, l’officieuse tenant aux atteintes aux droits garantis par ce texte commises durant cette guerre (pp. 816 et s., spéc. 818), que d’aucuns appellent encore aujourd’hui « la pénible question algérienne » ([10]).

Au terme de son histoire populaire, Michelle Zancarini-Fournel note qu’est probablement sous-estimée, notamment, « la réactivation – voire la réinvention – de mémoires familiales pour les descendant.e.s des familles ayant immigré ». Avant d’en venir au 17 octobre 1961, elle traite de l’affaire Audin (1957), juste après avoir mentionné « la protestation du professeur de droit gaulliste René Capitant » à propos d’Ali Boumendjel (Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, La Découverte, 2016, pp 911 et 761).

« suicide » d’Ali Boumendjel (1957) : René Capitant suspend ses cours

A partir du livre d’une autre historienne, Malika Rahal, Hassane Zerrouky rappelait en 2010 (l’Humanité 2 nov.) que le « jeune avocat, membre d’un collectif de défense des militants du FLN et militant du Mouvement mondial de la paix, (…) a été basculé du sixième étage d’un immeuble abritant un centre de torture, situé à El Biar sur les hauteurs d’Alger, là où justement ont été détenus et torturés le journaliste Henri Alleg et le mathématicien Maurice Audin ».

Et d’ajouter : « Non convaincu du « suicide » de son ancien étudiant, [l’ancien ministre de l’Éducation nationale [11]] décide de « suspendre ses cours » en guise de protestation et au nom de « l’honneur de la France », et envoie une copie de la lettre adressée à ses supérieurs à plusieurs journaux ».

Photo de la manifestation © Roger-Viollet

Michelle Zancarini-Fournel aborde cinq pages plus loin le 17 octobre 1961 à Paris, en précisant que l’« une des attaques les plus sanglantes contre les manifestants a lieu sur les Grands Boulevards, devant le cinéma Le Rex » (ouvr. préc., p. 766).

« C’est seulement à partir de la loi [n° 61-1439 du 26 décembre] que l’État se préoccupe vraiment d’organiser le rapatriement » ; « l’exode des Français d’Algérie s’accentue [après les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962]. Contrairement aux idées reçues, la plupart d’entre eux appartiennent aux classes populaires » (pp. 768-769). Avant de noter que les « formes ultérieures de la rétention administrative des étrangers en France sont les héritières directes [du système d’internement] des populations coloniales, étrangères et migrantes », l’historienne s’intéresse alors aux termes employés pour désigner les harkis, en renvoyant au livre de son homologue américain Todd Shepard [12].

Ce dernier précise que « les références officielles concernant les Algériens juridiquement catégorisés comme [« musulmans »] ne s’appliquaient pas nécessairement à des pratiquants de l’islam » ([13]) ; il explique ultérieurement avoir « beaucoup travaillé sur les questions de la torture, notamment » sa justification en « taxant ceux qui critiquaient la France de pédérastes » ([14]).

En notes de bas de pages 6 et 16 de l’ouvrage posthume de Marcel et Paulette Péju, il est indiqué d’une part qu’elle est décédée en 1979 et lui en 2005, après l’évocation de la préface de Pierre Vidal-Naquet à la réédition de Paulette Péju, Ratonnades à Paris, précédé de Les Harkis à Paris (La Découverte, 2000) ; d’autre part, Gilles Manceron cite un entretien avec Marcel Péju pour la revue de la Ligue des Droits de l’Homme (Hommes et Libertés sept.-nov. 2001, n° 116, p. 20), intitulé « Du 17 octobre 1961 à la question des harkis ».

« camp de Bias » (1964-1975) : la faute de l’État dans la scolarisation des enfants des harkis

Dans ma thèse, au terme de mon premier titre sur la référence au service public pour saisir le bienfait éducation, je cite page 188 la « première décision de justice reconnaissant les fautes commises par l’État à l’égard des harkis », selon Hafida Belrhali-Bernard ; professeure à l’UGA, l’annotatrice discutait l’idée selon laquelle la « réparation aurait déjà eu lieu » ; plus loin, avant de faire référence à « d’autres contextes » en citant l’arrêt Laruelle – v. mon premier billet –, elle montrait comment « les préjudices de l’histoire brouillent les grilles d’analyse sur les mécanismes indemnitaires » (AJDA 2015, p. 114, spéc. pp. 117 et 120).

Photo d’Abdelkader Tamazount (au premier rang, 2ème en partant de la gauche) au camp de Bias : « C’était en 1975 durant les événements qui nous ont permis d’être enfin libres par la suite » ; « On nous a privés de nos droits les plus élémentaires au-delà de la dignité humaine » (cité par Joëlle Faure, ladepeche.fr 6 oct. 2018 ; illustration ajoutée en même temps que mon billet du 9 avril 2024, réagissant à la condamnation de la France par la CEDH pour ce motif).

« La haute juridiction » vient de relever « une double erreur de droit » de la part de la cour administrative d’appel de Versailles (Marie-Christine de Montecler, obs. sous CE, 3 oct. 2018, n° 410611 ; AJDA 2018, p. 1872 [15]). C’est toutefois en prenant appui sur les décisions des juges du fond qu’une indemnisation (chiffrée à 15 000 euros) est – cette fois – décidée. En plus de venir confirmer discrètement une clarification quant à l’intervention du « Comité harkis et vérité » ([16]), le Conseil d’État se réfère aux « conditions de droit commun » en matière de « scolarisation des enfants » : l’État a commis une faute caractérisée notamment par la méconnaissance de ces règles à propos des personnes dans la situation du requérant ; né au camp « Joffre » de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), ce « fils d’un ancien supplétif de l’armée française en Algérie » avait été, à l’âge d’un an, « transféré en 1964 au camp de Bias (Lot-et-Garonne), où il a vécu jusqu’en 1975 » (cons. 7 et 1).

Ajouts au 20 octobre 2018, en guise de conclusion trois jours après le 17, avec cette tribune du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (co-signée par sa présidente Natacha Coquery avec Michèle Riot-Sarcey), alors que « cette répression n’est toujours pas reconnue comme un crime d’État par la France » (Brut). V. aussi ce thread Twitter – commencé par Mathilde Larrère, terminé par Laurence De Cock sur les aspects mémoriels (ici et ) –, cet article en avril 2016/2017 : « Quand Gabriel Garcia Marquez était un algérien dans le Paris de Papon » ; enfin cette citation : « Je me souviens de son cartable et de ses livres. J’étais émerveillé à l’époque par ses gros livres et ses gros dictionnaires » (Djoudi Bedar, cité par Hana Ferroudj, « Fatima Bedar, fille de tirailleur algérien, « noyée » le 17 octobre 1961 », Bondy blog 17 oct. 2013).

Ajout au 12 novembre 2018, pour signaler la chronique publiée ce jour sous l’arrêt du 3 octobre précité, en réagissant à un extrait : « tout en se gardant de tout anachronisme et en se préservant d’analogies hasardeuses, comme le relevait A. Bretonneau dans ses conclusions [17] », Charline Nicolas et Yannick Faure citent deux décisions antérieures du Conseil d’État, concernant les personnes migrantes (AJDA 2018, p. 2187, spéc. p. 2190) ; si, pour la période allant jusqu’en 1975 évoquée supra, l’affirmation du droit à l’éducation aurait été anachronique – sauf à mobiliser le droit international –, en 2015 et 2017, c’est l’absence de toute mention de ce droit à qui surprend (v. ma thèse pp. 1115-1116 et 1224 ; la chronique alors citée l’est aussi au terme de mon tout premier billet).

Ajouts au 17 novembre 2018, avec cinq textes réagissant à l’annonce du décès de Brigitte Lainé, le 2 : de Sonia Combe le 7, de Mathilde Larrère le 11, de Fabrice Riceputi le 12 (à partir de son ouvrage précité), de Clémence Jost le 13 et de Chloé Leprince le 16 (le parcours de l’archiviste est aussi évoqué le même jour dans l’émission La Fabrique de l’histoire) ; à travers son courage se trouve soulignée l’importance de la conservation de la mémoire, laquelle passe par celle des archives, ainsi que par la possibilité de les consulter. Il est aussi fait référence à un jugement donnant l’occasion d’aborder la question de l’(in)exécution des décisions de justice, « l’administration ayant uniquement proposé à Mme Lain[é] d’assurer la responsabilité du secteur des archives privées, au sein du nouveau service des archives territoriales et privées, ce qui ne correspond[ait] pas aux fonctions qu’elle exerçait auparavant, sans établir un intérêt du service qui s’opposerait à l’exécution du jugement du 20 mars 2003 [qui lui avait déjà donné raison ; il était alors remarqué qu’« une sanction disciplinaire déguisée » avait été identifiée] » (TA Paris, 4 mars 2004, n° 0315668/5, avec injonction au maire de Paris).

[1] Raphaëlle Branche (entretien avec, par Christine Rousseau), « Il ne sera plus possible de nier le caractère systématique de la torture en Algérie », Le Monde 14 sept. 2018, p. 20

[2] Les « Réflexions » s’ouvrent par un texte de Jean-Luc Einaudi – décédé en 2014, auteur de La Bataille de Paris (Seuil, 1991) et d’Octobre 1961. Un massacre à Paris (Fayard, 2001), rééd. 2011 –, concluant qu’il s’opposera « résolument aux tentatives cherchant à opposer victimes juives et algériennes » de Maurice Papon (in Olivier Le Cour Grandmaison (dir.), Le 17 octobre 1961. Un crime d’État à Paris, La Dispute, 2001, p. 58).

[3] Fabrice Riceputi – auteur de La bataille d’Einaudi. Comment la mémoire du 17 octobre 1961 revint à la République, Le passager clandestin, 2015 –, « La bataille pour la reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 continue », Le Monde.fr 17 oct. 2017

[4] Gilles Boyer et Véronique Stacchetti, « Enseigner la guerre d’Algérie à l’école : dépasser les enjeux de mémoires ? », in Frédéric Abécassis et alii (dir.), La France et l’Algérie : leçons d’histoire : De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial, ENS Éd., 2007, p. 241 ; lors du même colloque, v. le « Bilan du 17 octobre 1961 à Paris » des historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master, résumant leur livre comme l’explique Guy Pervillé dans un billet du 18 janv. 2016

[5] Laurence De Cock, « Enseignement : des conflits sans histoire », Le Monde.fr 12 oct. 2013

[6] Églantine Wuillot, « La guerre : opérateur de l’histoire de France », in Françoise Lantheaume et Jocelyn Létourneau (dir.), Le récit du commun. L’histoire nationale racontée par les élèves, PUL, 2016, p. 83, spéc. p. 92

[7] Laurence De Cock, citée par Nicolas Dutent et Pierre Chaillan ; propos choisis de la table ronde animée par Rosa Moussaoui, avec Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, « Quel enseignement du fait colonial ? », l’Humanité 21 sept., p. 11

[8] Laurence De Cock, « Pourquoi les programmes d’histoire déchaînent-ils tant de passions ? », AOC 9 oct. ; sur le même site le 10, Karima Lazali, « L’ombre de la République – à propos de la reconnaissance du crime d’État sur Maurice Audin » : commentant ce « tournant mémoriel », l’autrice défend l’idée que « la colonialité est la part monarchique de la République » (de Laurence De Cock encore, « L’histoire de l’immigration disparaît des programmes de lycée ? », billet d’aujourd’hui). Ajout en avril 2024 du récit documentaire d’Odile Conseil, suivi d’un entretien de Fabrice Drouelle avec l’historienne Sylvie Thénault, pour le podcast Affaires sensibles (« Le cas Maurice Audin et la torture en Algérie », radiofrance.fr 18 sept. 2023).

[9] Sur le premier facteur identifié par Gilles Manceron – le rôle de l’État –, v. aussi son billet du 16 octobre 2017, à partir des « notes laissées par le porte-parole du général de Gaulle, Louis Terrenoire, (…) publiées dans un ouvrage émouvant de sa fille, Marie-Odile ».

[10] Philippe Ratte, De Gaulle et la République, Odile Jacob, 2018, p. 117, cité par Damien Augias, « La Ve République : une naissance aux forceps ? », nonfiction.fr 4 oct. 2018 ; recension croisée de ce livre avec celui de Grey Anderson (traduit par Éric Hazan), La guerre civile en France 1958-1962. Du coup d’État gaulliste à la fin de l’OAS, La Fabrique.

[11] L’entrée « René Capitant » conduit à une dizaine d’entrées dans ma thèse, mais mes lectures ne m’avaient jamais amené jusqu’à la rédaction de ce billet à l’élément ici rapporté ; fils d’un autre juriste célèbre, Henri Capitant, il est lui aussi né en Isère : le premier à Grenoble en 1865, le second à La Tronche en 1901. Ajout en avril 2024 d’une reconnaissance qui « fait partie des gestes d’apaisement recommandés par l’historien Benjamin Stora dans son rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie » (remis au président de la République le 20 janvier 2021), lequel avait « soulevé de vives critiques, aussi bien en France qu’en Algérie, notamment pour ne pas avoir préconisé des « excuses » de Paris pour la colonisation » (« Emmanuel Macron reconnaît que l’avocat Ali Boumendjel a été « torturé et assassiné » par l’armée française en Algérie », lemonde.fr (avec AFP) le 3 mars).

[12] Todd Shepard (traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude Servan-Schreiber), 1962. Comment l’indépendance algérienne a transformé la France, Payot, 2008 (2006), pp. 298-315 ; ces pages prennent place dans les développements consacrés au « refoulement des musulmans » ; outre ce chapitre IX, v. les premier et cinquième qui s’intitulent « Citoyens français musulmans d’Algérie : une histoire éphémère », pp. 35 et s. « Qui sera algérien ? Qui sera français ? », pp. 181 et s.

[13] Ibid., p. 23 (en introduction).

[14] Todd Shepard, entretien avec Sarah Al-Matary – à l’occasion du colloque « La guerre d’Algérie, le sexe et l’effroi » –, La Vie des idées 19 déc. 2014

[15] Marie-Christine de Montecler, obs. intitulées « L’État est responsable des conditions « indignes » d’accueil des harkis », reprises sur Dalloz-actualite.fr, en citant in fine le considérant 12. Concernant la toute dernière phrase, comparer CE Sect., 11 janv. 1978, Vve Audin, n° 99435 : cette fois, l’exception de déchéance quadriennale avait été opposée à la demande indemnitaire formulée le 22 mars 1968, soit antérieurement à la loi n° 68-1250 du 31 décembre ; le Conseil d’État la rejette, tout en déclarant la juridiction administrative incompétente pour ce « cas d’atteinte à la liberté individuelle », en juin 1957 ; la suite de la procédure n’est pas mentionnée dans la page Wikipédia consacrée à l’intéressé, qui ne renvoie qu’à une seule décision : Crim., 22 déc. 1966, n° 66-93052, déclarant l’action publique éteinte sur le fondement de la loi n° 66-396 du 17 juin 1966 « portant amnistie d’infractions contre la sûreté de l’État ou commises en relation avec les événements d’Algérie ».

[16] V. le considérant 2 de cet arrêt n° 410611, comme de celui d’appel, n° 14VE02837, et comparer avec le début de la note précitée ; Hafida Belrhali a aussi attiré mon attention sur ce point lorsque j’annotais un autre arrêt de la même CAA de Versailles, à propos duquel v. cette annonce in fine.

[17] Les conclusions d’Aurélie Bretonneau ont été publiées dans la dernière livraison de l’année de la la Revue française de droit administratif (v. RFDA 2018, p. 1131, spéc. p. 1132).

Les notes de bas de page de ce billet ont été ajoutées le 2 novembre 2019 ; elles ne font que reprendre des éléments initialement laissés entre parenthèses.

Fermeture de la maternité de Die : une approche par les droits

Carte extraite du site de France 3 en région Auvergne-Rhône-Alpes

Plusieurs billets de ce site renvoient à celui de l’Association LYOnnaise de Droit Administratif (ALYODA) ; vient d’y être publiée ma note sous une ordonnance rendue par le tribunal administratif (TA) de Grenoble le 28 décembre 2017, Collectif de défense de l’hôpital de Die et autres, n° 1706777 ; dirigée contre un communiqué, la requête a été rejetée et, trois jours plus tard, la maternité a fermé.

Un nouveau recours a été formé (v. le communiqué du Collectif, en date du 8 juin). L’ordonnance et mon commentaire sont accessibles au bas de ce billet (j’y évoque celle rendue cet été par le TA de Limoges à propos d’une autre maternité ; envoyé spécial au Blanc, dans l’Indre, François Béguin lui consacre cet article, publié cet après-midi sur Le Monde.fr).

Pour le réaliser, je suis notamment parti du mémoire de Simon Pantel (Les agences régionales de santé, Lyon III, 2010, 55 p.). J’ai actualisé sa bibliographie sur ces ARS, qui renvoyait notamment à l’article de Cécile Castaing, « Les agences régionales de santé : outil d’une gestion rénovée ou simple relais du pouvoir central ? », AJDA 2009, p. 2212

La chercheuse a dirigé depuis deux ouvrages aux éditions Hospitalières (La territorialisation des politiques de santé, 2012, 197 p. ; La démocratie sanitaire. Mythe ou réalité ?, 2014, 110 p. ; ils résultent des actes de journées d’étude organisées par le Centre d’étude et de recherche sur le droit administratif et la réforme de l’Etat de l’université de Bordeaux, respectivement les 22 novembre 2011 et 16 avril 2013). Dans le premier, Frédéric Pierru revenait sur l’accouchement « au forceps institutionnel » des ARS (p. 77) et Marie-Laure Moquet-Anger traitait de la « réalité » (p. 173) de la démocratie sanitaire ; appelée à rédiger le rapport de synthèse du second, elle rappelait que des droits (individuels) « préexistent aux droits collectifs reconnus par la loi Kouchner aux usagers du système de santé » (p. 105, spéc. p. 106).

A partir du Rapport de synthèse des États généraux réalisé par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), Camille Bourdaire-Mignot et Tatiana Gründler notaient récemment l’attachement manifesté à la relation de soin, « laquelle s’est progressivement rééquilibrée à mesure que les droits des patients et des usagers du système de santé ont été reconnus, favorisant l’émergence d’une démocratie sanitaire » (« Feuilleton bioéthique de l’été : le bilan des réflexions citoyennes », La Revue des Droits de l’Homme ADL 24 sept. 2018, § 3). Les ressources du droit supranational permettent d’envisager le renforcement via ce concept des droits.

Panneau photographique place Jules Plan. © Sylvain Frappat pour Le Monde

La « santé » n’est envisagée par le texte de la CEDH (1950) que comme un motif de restriction des droits qu’il garantit (alors que le « droit au respect de la vie [est] rappelé notamment par l’article 2 » : CE, Sect., 16 nov. 2011, Ville de Paris et a., n° 353172). Dans une contribution rédigée le 22 octobre 2015, Frédéric Sudre a pu évoquer « un droit « caché », non encore révélé par le juge » européen (« Le droit à la protection de la santé, droit « caché » de la Convention européenne des droits de l’homme », in Etat du droit, état des droits. Mélanges en l’honneur du Professeur Dominique Turpin, LGDJ/Lextenso, 2017, p. 645, spéc. p. 647).

Je cite dans mon commentaire un arrêt rendu en Grande Chambre le 15 novembre 2016, ainsi que d’autres textes de droit : la faiblesse conventionnelle ne contraint pas à se rabattre sur des textes associatifs, comme la Charte européenne des droits des patients ; à propos de l’absence d’effet direct qui peut être opposée par les tribunaux, je renvoie à ma thèse pp. 1184-1185 (dans l’une de mes conclusions ; v. aussi, dans celle du titre, p. 1219, en citant le Conseil des droits de l’Homme – à ne pas confondre avec le Comité chargé de l’application du PIDCP). Dans l’AJDA du 6 août dernier, page 1591, une ordonnance du 27 juillet se trouve mentionnée ; elle confirme que le Conseil d’Etat devient plus ouvert pour protéger le droit à la protection de la santé en référé-liberté (n° 422241, cons. 4 et 6 ; à Die, un référé-suspension avait été formé).

Se trouve encore évoqué l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 ; un Rapport d’information récent de Mme Annick BILLON, fait le 17 juillet 2018 au nom de la délégation aux droits des femmes (n° 670, 2017-2018), rappelle qu’il « se réfère aux droits sociaux liés à la maternité » (souligné dans le texte). Dans l’entretien avec Marie-Hélène Lahaye que je cite auparavant, la juriste – qui a lancé en 2013 le blog Marie accouche là – affirme que l’information « devrait être transmise (…) dès l’adolescence. Cela fait partie des droits sexuels et reproductifs essentiels ».

La CNCDH est venue rappeler cette nécessité dans son Avis sur les violences de genre et les droits sexuels et reproductifs dans les outre-mer (21 nov. 2017, §§ 5, 50 et 58, avec la Recommandation 4) ; il « devrait aussi inspirer les acteurs de terrain en métropole » (Johan Dechepy, obs. in REGINE). Egalement signalé, le décret du 29 décembre 2017 « portant définition de la stratégie nationale de santé pour la période 2018-2022 » engage à promouvoir l’éducation à la sexualité (v. l’annexe, p. 10 ; v. aussi ce billet).

A l’approche des journées nationales du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), dont l’une des conférences en dit long sur l’écoute des patientes par une partie d’entre eux (« Ces prétendues violences obstétricales : les enjeux juridiques », remarqué par Zineb Dryef, « Pilule amère pour les gynécos », M Le Magazine du Monde 22 sept. 2018, p. 35, spéc. p. 40), je renvoie à ma conclusion (avec les références citées).

Photo d’Aurélia, réalisée par Livia Saavedra

Quelques jours après un « plan santé »… « à moyens constants » (Pierre-André Juven, AOC 3 oct. 2018), l’Association des petites villes de France avait évoqué un « rendez-vous manqué » pour la lutte contre la désertification médicale » (Marie-Christine de Montecler, « Système de santé : le gouvernement veut décloisonner », AJDA 2018, p. 1748 ; phrase non reprise dans la version en ligne, le 26 septembre).

Autres éléments d’actualité non intégrés à la version publiée :

Concernant les urgences hospitalières, extrait d’un article publié au milieu de l’été : « Après avoir dû fermer la nuit en juillet, les urgences de Saint-Vallier (Drôme) vont suspendre leur activité pendant trois semaines en août, faute de médecins urgentistes pour en assurer le fonctionnement, a annoncé la direction de l’hôpital, vendredi 27 juillet. Un phénomène qui touche chaque été des « petits » services d’urgences [et constitue] souvent le prélude à une fermeture définitive et possiblement à une transformation en centres de soins non programmés (CNSP), aux attributions et aux horaires plus réduits que les urgences. (…) En Auvergne-Rhône-Alpes, [j]usqu’à treize services d’urgence pourraient être transformés en CSNP d’ici cinq ans. « On ne ferme rien, on réadapte le système en fonction des besoins de la population », dit au Monde Jean-Yves Grall, le directeur de l’ARS » (François Béguin, « La lente transformation des urgences hospitalières », Le Monde 31 juill. 2018, p. 8, avant de préciser qu’il avait, « il y a trois ans », défini un seuil de « 10 000 passages par an (…) dans un rapport remis à la ministre de la santé, Marisol Touraine, [mais qu’il] assure vouloir faire du « sur-mesure » dans [cette] région »).

S’agissant de la maternité au Centre hospitalier de Guingamp, dans un communiqué publié le 22 mai 2018 (2 p.), l’ARS Bretagne a informé que son directeur général « a décidé de ne pas renouveler l’autorisation et d’engager la mise en œuvre d’une nouvelle organisation de la prise en charge des futures mamans et des nouveau-nés à compter du 1er février prochain ». Cela avait permis d’envisager un recours, annoncé comme pouvant être formé par l’avocat de « la maternité de Carhaix en 2008, Me Philippe Herrmann » (Ouest-France.fr 28 mai 2018 ; quelques jours plus tard, la fermeture de celle de Bernay [Eure] était confirmée pour octobre et un « bras de fer avec l’ARS » était en cours à Vierzon [Cher] : v. Francebleu.fr 4 juin et Le Figaro.fr avec AFP le 15) ; le 22 juin, les élus ont appris que le président de la République aurait lui-même « suspendu » la décision, suite à sa visite dans les Côtes d’Armor.

Le commentaire comprend l’ordonnance qui se trouve évoquée, rendue il y a dix ans ; elle vaut à l’avocat cité une certaine renommée ; le maire d’Oloron-Sainte-Marie a ainsi recouru à ses services « pour mener la bataille contre la fermeture de la maternité » (Francebleu.fr 19 oct. 2017), cette fois sans succès. Il semble avoir préféré ne pas contester le communiqué de presse annonçant la fermeture. A Die, la requête était dirigée contre ce document et le juge des référés a estimé qu’il n’y avait pas de « décision administrative » susceptible de recours (« La fermeture des services de maternité et de chirurgie du centre hospitalier de Die n’est pas une (bonne) décision », Rev.jurisp. ALYODA 2018, n° 3).

L’accompagnement des enfants en situation de handicap

Il y a dix jours, Le Monde titrait : « L’école peine à s’adapter aux enfants handicapés » (20 sept. 2018, p. 12). Violaine Morin notait alors que « comme à chaque rentrée, les associations ont alerté sur les enfants qui n’ont pu rejoindre l’école, faute d’accompagnants. Impossible de connaître leur nombre exact, qui évolue chaque jour ».

Consécutivement à des annonces faites deux mois plus tôt (v. Audrey Paillasse, « Le gouvernement souhaite améliorer l’accueil des élèves handicapés », Ibid. 20 juill. 2018, p. 10), le décret n° 2018-666 était venu le 27 juillet modifier celui n° 2014-724 du 27 juin 2014 pour assouplir les conditions de recrutement (v. le billet de Pierre Baligand, en août) ; un mois plus tard, le ministre se félicitait de la création de « 3 584 emplois d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) » (lettre du 31 août 2018).

Sans aborder ici le problème plus général du recours croissant aux personnels contractuels (pour reprendre un élément du titre retenu par la Cour des comptes en mars ; v. aussi les observations de Gérard Longuet, le 30 mai), je voudrais revenir sur la question des activités périscolaires : elle faisait l’objet d’une réponse ministérielle le 8 février ; elle a surtout donné lieu à une prise de position de la Cour administrative d’appel de Nantes le 15 mai (Ministre de l’Education nationale, n° 16NT02951 ; AJDA 2018, p. 1546, chr. A. Durup de Baleine).

Dans son recours, enregistré le 25 août 2016, le ministre avançait – selon la Cour – que les « activités périscolaires ne sauraient donc être regardées comme une composante nécessaire à la scolarisation des enfants et au droit à l’éducation posé par les articles L. 111-1 et 112-1 du code de l’éducation ».

Au visa de ce Code, du CASF et du CJA, la Cour reprend le considérant de principe de l’arrêt Laruelle (v. mon premier billet) et le complète : l’effectivité du droit à l’éducation implique que « la prise en charge par l’Etat du financement des emplois des accompagnants des élèves en situation de handicap [ne soit] pas limitée aux interventions pendant le temps scolaire » ; « alors même que l’organisation et le financement [des activités périscolaires] ne seraient pas de sa compétence », l’Etat est tenu « d’assurer la continuité » de ce financement « dès lors que [leur accès] apparait comme une composante nécessaire à la scolarisation de l’enfant et que ces activités sont préconisées à ce titre par la [Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH)] » (cons. 4).

Ainsi s’était prononcée celle d’Ille-et-Vilaine, selon le tribunal administratif qui avait annulé la décision renvoyant à la mairie de Bruz (TA Rennes, 30 juin 2016, M. Fabrice Brahime, n° 1600150, mis en ligne sur le forum d’ASPERANSA, cons. 4). Il avait toutefois rejeté la demande d’injonction formée par le père de Sama (cons. 6-7, parce qu’elle s’étendait à « l’accueil en halte-garderie ») ; près de deux ans plus tard, soucieuse de l’exécution de son arrêt, la Cour accueille son appel incident (cons. 7).

Rapporteur public dans cette affaire, Antoine Durup de Baleine écrit dans la Chronique de jurisprudence des cours administratives d’appel (publiée le 30 juillet à l’AJDA) : si l’arrêt évoque des « préconisations », la « décision de la CDAPH est une « vraie » décision. Elle n’est pas un point de vue ou un avis que l’administration va s’attacher à mettre en œuvre dans la limite des moyens disponibles » ; plus loin, entre parenthèses, il rappelle qu’elle peut être contestée « dans les conditions prévues à l’art. L. 241-9 du CASF mais, au cas d’espèce et comme le plus souvent, personne ne l’avait fait » (AJDA 2018, pp. 1546 et 1548, où il termine en indiquant que la « CDAPH ne doit pas oublier d’indiquer la quotité horaire », avant de signaler deux autres arrêts de la CAA Nantes le 25 juin 2018, Ministre de l’Education nationale, nos 17NT02962 et 17NT02963, eux aussi rendus sur ses conclusions).

Pour qu’il puisse ordonner la mise en œuvre de sa décision, en cas de refus de mise en œuvre, tout juste faut-il que le juge administratif soit compétent (v. ce billet, à propos d’une école privée), ce qui n’était pas douteux ici. D’ailleurs, « la solution tant du tribunal que de la cour était largement engagée par deux décisions rendues par le Conseil d’Etat le 20 avril 2011 » (p. 1547 ; v. aussi ma thèse, pp. 1129 et 1204).

Le Premier conseiller aurait pu citer le Défenseur des droits (Rapport annuel consacré au Droit fondamental à l’éducation, nov. 2016, pp. 40-42). Signalant également le jugement attaqué, Jean Vinçot indiquait dans un billet du 10 mai 2017 que la position du Conseil d’Etat « est fréquemment ignorée dans les discussions sur le sujet » (et de critiquer la circulaire du 3, en renvoyant au commentaire de l’association « Toupi »). Le 9 août 2018, il remarquait que les arrêts précités du 25 juin concernaient la commune de Plabennec, qui avaient déjà obtenu gain de cause – mais en référé – en 2011.

Il ressort de la chronique que la rédaction de la Cour « (que l’on trouve de manière assez similaire dans le jugement du TA de Rennes) est en réalité assez étroitement inspirée par un passage des conclusions (inédites) du rapporteur public, Rémi Keller, sous les deux décisions du Conseil d’Etat du 20 avril 2011 » ; pour le juge administratif, parce que « le temps et les activités périscolaires sont une compétence partagée entre l’Etat et les communes ou intercommunalités », ce dernier peut être contraint à les financer (AJDA 2018, pp. 1547 et 1548).

Avant le rendu de cet arrêt, début mai, « la communication sur le quatrième plan Autisme » était critiquée dans une tribune collective intitulée « Face aux politiques publiques, le malaise grandissant des associations » (Le Monde Économie & Entreprise 5 mai 2018) ; un autre article revenait sur les actions en responsabilité qui permettent à des parents de recevoir une indemnisation, mais pas d’obtenir la scolarisation de leur enfant (S. Ca., « C’est quoi l’autisme ? », Le Monde Science & Médecine 9 mai 2018, en citant l’avocate Sophie Janois ; à propos de l’importance de citer le droit à l’éducation dans les requêtes, v. ma thèse, spéc. p. 1052). Quinze ans après la décision Autisme Europe contre France, rendue en 2003 par le Comité européen des droits sociaux (et réitérée de façon ambivalente, dix ans plus tard : v. pp. 883, 910 et s.), l’heure est toujours à la mobilisation (v. ainsi ce billet de Jean Vinçot, le 21 septembre, pour l’association Autisme Limousin).

Citant l’avis n° 102 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE 2007, mobilisé page 1049), son ancien président (de 2012 à 2016) affirmait récemment : « Il faut du courage aux associations, aux familles et aux bénévoles pour combattre sans cesse, et si souvent en vain, afin qu’enfants et adultes puissent accéder à leurs droits fondamentaux » (Jean Claude Ameisen (entretien avec, par Catherine Vincent), « Permettre à chacun d’accéder à la liberté », Le Monde Idées 28 juill. 2018) ; et de s’appuyer sur une certaine Convention onusienne (venue inspirer, à propos d’un étudiant turc, un arrêt – devenu définitif le 2 juillet – de la Cour européenne).

Ajouts au 15 octobre 2018, avec cet article de Maud Le Rest, quelques jours après le « coup de gueule de François Ruffin » (Allodocteurs.fr) : le « Collectif AESH-AVS unis pour un vrai métier » tient à rappeler les « temps partiels imposés », alors que le ministre Jean-Michel Blanquer « se base sur des temps plein » ; la journaliste ne précise à aucun moment que le député parlait « des femmes » (en prenant soin d’écrire « accompagnant.es », là où la proposition de loi d’Aurélien Pradié reposait sur une vision limitée de « l’inclusion » par des « aidants »), ce qui est « sociologiquement vérifié dans l’énorme majorité des cas » (Antoine Durup de Baleine, chr. préc., p. 1546).

L’hypothèse n’est pas farfelue d’un lien entre l’invisibilisation de la situation professionnelle de certaines femmes et sa dévalorisation (à propos des ATSEM, v. ma page 102). Cette « grande majorité » est rappelée ce jour par Mathilde Goanec et Manuel Jardinaud (Mediapart ; de ce point de vue du genre et des élèves, v. p. 799 et en note de bas de page 1041, n° 2539) ; les journalistes remarquent aussi que la secrétaire d’État Sophie Cluzel n’avait « pas réagi sur « l’inutilité » de la proposition de loi de la majorité sur l’usage du téléphone portable », en citant plus loin et notamment Clémence Vaugelade :  la chargée de plaidoyer à l’UNAPEI s’inquiète d’une « politique à moyens constants » (v. respectivement ici et , à propos du « plan santé »).

« Plan pauvreté » : un peu d’histoire des idées

À l’occasion du « Plan pauvreté », Le Monde Idées publie ce jour une mise en perspective socio-historique de Serge Paugam (entretien avec, par Anne Chemin), « Assistances publiques » : il est notamment rappelé que la « doctrine du solidarisme peut être considérée, encore aujourd’hui, comme le soubassement idéologique de l’Etat social français ». En 1945-1946 s’opère « une rupture culturelle en introduisant la notion de “droits sociaux” » (« adossé[s] à la société salariale »). Serge Paugam termine en relevant que de nombreux discours tendent à inverser la dette que la IIIe République avait proclamée : « on a parfois l’impression, aujourd’hui, que ce sont les pauvres qui ont une dette à l’égard de la nation ».

La doctrine solidariste est évoquée dans le tout premier chapitre de ma thèse, dans des développements consacrés au devoir de l’Etat en matière d’enseignement (pp. 130-131). Son principal inspirateur, Léon Bourgeois, a été président à la fois de la Ligue de l’enseignement et de la commission de 1904 sur les classes spéciales (p. 1038). Je le cite également dans l’une de mes conclusions – en note de bas de page 1214 (n° 3613) -, lorsque je reviens sur la corrélation entre les obligations et les droits, déniée en leur temps par des auteurs aussi éminents que Duguit, Hauriou ou Esmein.

La RFDA a publié dans son numéro 3 de cette année un dossier consacré à Léon Aucoc (10 sept. 1828-15 déc. 1910 ; il est cité via Hauriou en note de bas de page 142, n° 837) ; il s’agit des actes du « Printemps de la jeune recherche », qui ouvrait le colloque organisé à l’Université de Rennes I par l’Association française pour la recherche en droit administratif (AFDA), le 7 juin 2017. Dans sa contribution intitulée « Léon Aucoc, une vision actuelle du service public » (RFDA 2018, pp. 577 et s.), Quentin Barnabé souligne « sa vision d’un État libéral (…), celle qui laisse la main à l’initiative privée ». Il le fait juste après avoir noté que l’approche du conseiller d’État se séparait de « la théorie du « solidarisme » ».

Mathieu Garnesson indique quant à lui que « Léon Aucoc participa activement à la création de l’École libre des sciences politiques, fondée par Émile Boutmy en 1872. Dans l’entreprise de diffusion des idées libérales, la création de cette école eut un rôle particulier. En effet, il n’existait à l’époque aucune institution destinée à la formation des fonctionnaires de façon générale. La dernière expérience en date fut la très éphémère École nationale d’administration de 1848, qui ne reçut qu’une seule promotion, dont Léon Aucoc fit d’ailleurs partie » (« Léon Aucoc, le Conseil d’État et le capitalisme « à la française » » (pp. 587 et s.). A propos de l’ancêtre de Sciences Po, v. ma note de bas de page 276 (n° 1690) ; il y a là l’une des citations de Jean Zay.

Ajouts au 25 et 30 septembre, modifiés le 12 novembre 2018, d’une part avec cet article de Serge Paugam réagissant au discours prononcé par le président le 13 (« Macron et les pauvres : une version néo-libérale du solidarisme », AOC 18 sept. ; pour des citations d’autres articles publiés sur le site d’Analyse Opinion Critique – lancé au début de cette année –, v. not. in fine ici et , avec des développements sur le « néolibéralisme »). Le sociologue reconnaît quelques points forts, et notamment « que la philosophie de ce plan admet sans réserve que la nation tout entière a une dette à l’égard des pauvres » ; toutefois, vite « cette filiation solidariste s’arrête [c]ar les choix idéologiques d’Emmanuel Macron confortent une vision individualiste du social ». Ainsi, « [p]our prévenir la pauvreté des enfants, (…) il faut penser aussi à leurs parents », ce qu’implique nécessairement l’idée d’une « chambre à soi ».

D’autre part avec cet extrait au terme d’un entretien avec Anne Chemin de Patrick Savidan (publié dans Le Monde Idées le 10, sous le titre : « Nous sommes tous égalitaristes », en signalant la parution le 17 octobre du Dictionnaire des inégalités et de la justice sociale, aux PUF) : « depuis les années 1980, l’histoire de nos démocraties montre que quand on développe l’approche minimaliste au nom de l’individualisme, on renforce les « solidarités électives » qui mettent à mal l’universalité des droits » (dans le même sens, v. la thèse de droit social de Floriane Maisonnasse, L’articulation entre la solidarité familiale et la solidarité collective, LGDJ, 2016, p. 24 : cette dernière « repose sur une justice égalitaire et redistributive, tandis que la solidarité familiale est reproductrice des inégalités ») ; à partir de ce constat, le philosophe invite à « sortir de cette alternative et réinventer la composante solidariste de notre Etat social en nous appuyant sur les urgences sociales et environnementales ».

Ajout au 28 décembre 2018 : en lien avec ce qui précède et selon Tiphaine Jouniaux, porte-parole du Snasen-UNSA, syndicat des assistants sociaux, les parents pauvres « préfèrent s’appuyer sur les solidarités familiale, communautaire ou amicale, et attendent l’« urgence », pour appeler à l’aide » (Mattea Battaglia, « L’école au défi de la pauvreté de ses élèves », Le Monde le 27, p. 8).

« Une chambre à soi »

Le 15 juillet, au stade Loujniki de Moscou, le photographe de Vladimir Poutine avait préféré à Veronika Nikoulchina et Kylian Mbappé une « image très peu protocolaire » du président français ; une dizaine de jours plus tôt, ce dernier avait décidé « le report du plan pauvreté » (Cédric Pietralunga, « Quand Macron exulte avec les joueurs », Le Monde 17 juillet 2018, p. 16). « Contrairement aux baisses d’impôts des plus aisés, la pauvreté peut attendre », remarquait Louis Maurin (« De quoi les pauvres ont-ils besoin ? », Observatoire des inégalités 10 juill. 2018, avec l’encadré ; et d’aborder la situation des élèves dont les « parents sont pauvres », en renvoyant à son billet du 14 juin 2018).

Six mois plus tôt avait lieu l’Examen périodique universel du rapport de la France à l’ONU. Autrice d’une contribution écrite, l’association ATD Quart Monde relevait dans un texte mis en ligne le 23 janvier : « Plusieurs pays, à l’instar de la Hongrie, comme le Portugal, le Timor Oriental, le Congo, la Moldavie, la Slovaquie, l’Azerbaïdjan, le Serbie, le Honduras, demandent à la France de prendre des mesures pour promouvoir une véritable culture d’égalité et de tolérance en particulier à travers le droit à l’éducation, quelle que soit l’origine sociale » (je souligne). Il y a dix jours, Marie Charrel citait sa présidente Claire Hédon, avant de noter :  « Sa crainte : que le gouvernement se contente de mesures éparpillées, à l’efficacité d’ensemble limitée. « Les actions ciblées sur les enfants n’ont de sens que si, dans le même temps, on s’attaque à la précarité et aux difficultés de logement des parents », prévient Nicolas Duvoux, sociologue à l’université Paris-VIII » (« Les enfants, victimes des déterminismes sociaux », Le Monde Économie & Entreprise 5 sept. 2018).

Ce dernier, membre de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), a aussi indiqué : « La pauvreté touche aujourd’hui de manière disproportionnée les enfants (19,9 %), les jeunes adultes (25,2 % des 18-24 ans) et les familles monoparentales (34,9 %) » ; elles « paient le prix fort de l’instabilité croissante de la vie professionnelle et familiale, notamment les femmes les moins diplômées issues de milieux populaires » (« Pauvreté : de quoi et de qui parle-t-on ? », Ibid. le 10). Commentant le plan, il note qu’« on fait un pas non négligeable dans le sens de la lutte contre la pauvreté, mais si on remet cette stratégie dans la perspective des choix de politiques sociales et économiques du quinquennat, la dimension égalitaire, voire égalitariste, n’est pas présente » (Nicolas Duvoux (entretien avec, par Cécile Bouanchaud), « On retrouve chez Macron cette tendance à demander beaucoup à ceux qui ont peu », Le Monde.fr le 13). Et de relever, dans le discours d’Emmanuel Macron, la « dimension de sanctions et d’obligations ».

Cela vaut aussi concernant l’enfance, avec une approche en termes d’obligations, d’instruction « dès 3 ans » ou de « de se former jusqu’à 18 ans » (sur ce point, v. ma thèse pp. 1028 et s.). Une volonté de « résorber les bidonvilles » est affirmée (entrer dans le pdf le terme mis en gras conduit à une vingtaine de résultats ; dans sa tribune intitulée « Au secours, Monsieur Macron, la pauvreté ne peut plus attendre », Le Monde 11 avr. 2018, p. 23, Etienne Pinte y voyait une des questions exigeant des « gestes forts pour sortir de la précarité ») ; également annoncée, une « distribution gratuite de petits déjeuners dans les écoles des zones défavorisées » (« Les quatre axes du « plan pauvreté » de Macron : petite enfance, emploi, aides sociales et logement », Le Monde.fr les 12-13).

Dans son Rapport IGEN de mai 2015 (Grande pauvreté et réussite scolaire. Le choix de la solidarité pour la réussite de tous, 224 p.), Jean-Paul Delahaye prenait l’exemple de la Guyane, où « des élèves peuvent être amenés à réaliser des trajets importants pour se rendre à l’école, souvent sans avoir pris de petit déjeuner » (p. 40 ; je souligne. La mise en place d’une « politique de « collation pour tous », dans le premier degré », venait de commencer dans cette académie). Il « s’étonne surtout de l’absence des mots « mixité sociale » dans les annonces » (cité par Sylvain Mouillard, Marie Piquemal et Anaïs Moran, « Un plan pour s’attaquer au berceau de la pauvreté », Libération.fr 13 sept. 2018). Dans mon billet sur la carte scolaire, l’extrait de son rapport auquel je renvoyais s’insère dans ses développements sur la « mixité sociale et scolaire » (pp. 91 et s.).

L’association Droit au logement (DAL) « déplore « qu’il n’y ait rien de neuf » [sur la question] » (Isabelle Rey-Lefebvre, « Plan pauvreté : des associations saluent des avancées, mais s’inquiètent des crédits et de la mise en œuvre », Le Monde.fr 14-15 sept. ; v. aussi, du président du Samusocial Eric Pliez (entretien avec, par Isabelle Rey-Lefebvre), « Le logement et les grands exclus sont les oubliés du plan pauvreté », Ibid. le 15).

« Disposer d’une chambre à soi a longtemps été un luxe, avant de se banaliser sous les Trente Glorieuses. « C’est aujourd’hui cette démocratisation de l’intimité, cette conquête immense et minuscule, qui est menacée », alert[ait il y a plusieurs mois le rapport de la Fondation Abbé-Pierre, L’état du mal-logement en France, 2018] », selon la recension de Florine Galéron (Sciences Humaines.com avr. 2018 ; je souligne). Le 29 août, des extraits du livret pédagogique dirigé par Nina Schmidt, Les inégalités expliquées aux jeunes (éd. de l’Observatoire des inégalités, avr. 2018), étaient mis en ligne : « Ne pas avoir d’espace à soi pour faire ses devoirs, cela se ressent sur les résultats à l’école » ; à la portée des enfants, le rappel de cette évidence devrait l’être aussi des adultes.

Il y a près de quarante ans, le directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) introduisait l’ouvrage publié par cette organisation, sous la direction de Gaston Mialaret, Le droit de l’enfant à l’éducation (1979, 266 p.). Invitant à considérer « ses aspects économiques et sociaux », Amadou-Mahtar M’Bow déclarait : « Dans une large mesure, les obstacles auxquels se heurte l’exercice du droit de l’enfant à l’éducation se ramènent en effet bien souvent à la pauvreté » (p. 9, spéc. p. 13 ; je souligne ce passage, cité en introduction de ma thèse, en note de bas de page 47, n° 200). Cinquante ans plus tôt, une femme de lettres anglaise écrivait déjà : « La liberté intellectuelle dépend des choses matérielles (…). Voilà pourquoi j’ai tant insisté sur l’argent et sur une chambre à soi » (Virginia Woolf (traduit par Clara Malraux), Une chambre à soi, Poche, 2001 (1929), p. 162).

Ajout au 18 septembre 2018, avec cette tribune publiée hier sur Libération.fr, intitulée « Rentrée scolaire : de trop nombreux enfants à la porte de l’école » ; un extrait contient des estimations, dans lequel j’intègre des liens vers de précédents billets pour appuyer ce texte collectif : « 80 % des enfants vivant en bidonvilles et en squats ne sont pas scolarisés, mais c’est aussi le cas d’enfants vivant en habitat précaire, en hébergement d’urgence, ou encore accueillis temporairement avec leur famille chez des proches. De nombreux jeunes sans représentants légaux sur le territoire sont également exclus de l’école durant des mois, notamment quand leur minorité est contestée. Des milliers de jeunes handicapés se retrouvent également sans aucune solution de scolarisation. Le problème est décuplé dans les départements d’outre-mer : certaines estimations évoquent 5 000 enfants à Mayotte et 10 000 enfants en Guyane privés d’école » (outre l’extrait cité supra à propos de la Guyane, cette entrée conduit à plusieurs résultats dans ma thèse : v. par ex. les pp. 117, 754 et 1124-1125, où je cite l’Avis publié l’été dernier par la CNCDH ; sa présidente, Christine Lazerges, est la première signataire de la tribune précitée).

Ajout au 30 septembre 2018 : dans le numéro en cours de la revue Après-demain (2018/3, n° 47, NF), ce texte de l’ex-ministre et actuelle députée George Pau-Langevin, « Droit à l’instruction Outre-mer : une démarche inaboutie ». A propos de la Guyane, elle indique que le « Pacte d’accord conclu suite aux troubles urbains de 2017 a prévu la construction de 500 classes pour le premier degré, de dix collèges, de cinq lycées durant les prochaines années » ; plus loin, elle note qu’« il est malaisé de savoir si tous les enfants en âge d’être scolarisés le sont réellement », avant de s’inquiéter de leur sort dans « l’ouest guyanais où ils font de longs trajets et à Mayotte, où ils n’ont souvent guère à manger ».

Vers une remise en cause du numerus clausus ?

Dans la dernière édition de leur Que sais-je ? sur La santé publique, publiée en novembre dernier, Aquilino Morelle et Didier Tabuteau notaient que « les pouvoirs publics ont régulé l’offre en diminuant drastiquement le numerus clausus pour l’accès aux études médicales, au point de faire craindre une « pénurie » médicale dans les années 2020 » (PUF, 3ème éd., 2017, p. 86).

Le 13 février, à l’hôpital Simone-Veil d’Eaubonne, Edouard Philippe et Agnès Buzyn avaient promis « une réflexion sans tabou sur le numerus clausus » (selon Marie-Christine de Montecler, « La stratégie de transformation du système de santé du Gouvernement », AJDA 2018, p. 304 ; v. aussi Camille Stromboni, « Une concertation va être lancée pour réformer les études de médecine », Le Monde.fr 26 févr. 2018, mis à jour le 28, avec l’annonce par la ministre d’une « loi en 2019 »). Entretemps, Olivier Véran proposait « de remplacer le numerus clausus parce qu’on pourrait appeler un numerus apertus » (Francetvinfo.fr 11 janv. 2018).

« Le gouvernement souhaite mettre fin au numerus clausus ainsi qu’au concours en fin de première année, tel qu’il existe actuellement, révèle franceinfo mercredi 5 septembre » (Solenne Le Hen).

L’expression numerus clausus conduit à la page 953 de ma thèse, où je cite une phrase de Nicolas Hervieu, en 2013, qui demeure d’actualité ; trois ans plus tôt, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendait, en Grande Chambre, son arrêt Bressol et Chaverot (contre Gouvernement de la Communauté française [de Belgique]) ; l’auteur commentait quant à lui l’arrêt Tarantino et autres contre Italie, rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH ; pour l’analyse de ces prises de position des juridictions européennes, pertinentes pour aborder d’un point de vue juridique la question du numerus clausus, v. respectivement pp. 946 et s. et 972 et s.).

Pour finir sur un regard de droit étranger, Philippe Mesmer informait cet été que l’« université de médecine de Tokyo limite l’accès des femmes » (titre dans Le Monde p. 4) : TMU « a discrètement fixé un numerus clausus à leur admission dans ses amphithéâtres. Depuis 2011, l’établissement privé fait tout pour éviter d’avoir plus de 30 % d’étudiantes reçues à son examen d’entrée. En 2018, le taux de réussite fut de 8,8 % pour les garçons et de 2,9 % pour les filles. Révélée jeudi 2 août par le quotidien Yomiuri, l’affaire a incité une centaine de femmes à se rassembler, vendredi, devant la TMU pour appeler à la fin des discriminations » ; « la propension des femmes à se marier et à avoir des enfants », pour reprendre la formule du correspondant du quotidien, serait la cause de cette décision « [qualifiée] de « tout simplement inacceptable » » par le ministre de l’éducation, Yoshimasa Hayashi, sans qu’il remette pour autant en cause le « droit » des établissements d’en restreindre l’accès, en l’occurrence aux femmes aspirant à y étudier (v. ma conclusion générale, pp. 1225-1226).

Ajouts au 19 septembre 2018, modifiés le 22

Au lendemain de la présentation du plan Santé, précédée la veille par un entretien de la ministre Agnès Buzyn (Le Parisien.fr 17 sept. 2018), Le Monde titre page 9 : « Le numerus clausus remplacé par de nouvelles procédures sélectives ». L’article de Camille Stromboni est accompagné d’un entretien avec Marc-Olivier Déplaude, pour qui le « système a volé en éclats avec la forte augmentation du nombre de médecins venant d’autres pays de l’Union européenne, et qui ont les mêmes droits que les médecins formés en France en matière d’installation et de conventionnement. Par conséquent, le numerus clausus comme instrument de maîtrise des dépenses de santé ne fonctionne plus ». Il est l’auteur de La Hantise du nombre. Une histoire des numerus clausus de médecine (Les Belles Lettres, 2015, 408 p. ; cette enquête socio-historique est issue d’une thèse en science politique, soutenue à Paris I en 2007). Dans son dernier chapitre (« L’autre numerus clausus », pp. 311 et s.), des développements sont consacrés à cette « irruption des « médecins étrangers » sur la scène publique » (pp. 332 et s.).

Page 946 de ma thèse, je rappelle que la (Communauté française de) Belgique avait, en 2006, réformé son système en réaction à « l’afflux des étudiants français », dont l’une des principales causes résidait précisément dans le numerus clausus ; l’Etat belge mettait en avant le droit à l’éducation, ignoré dans les débats en France sur la question.

Page 69 du livre précité se trouve évoqué le refus exprimé par un fonctionnaire de l’Education nationale, devant un groupe de travail du Commissariat général du Plan au début des années 1960 (pp. 46-47) ; il serait intéressant de pouvoir consulter l’archive signalée, ce refus initial du numerus clausus étant présenté par Marc-Olivier Déplaude comme fondé sur le « droit, pour tout bachelier, de s’inscrire à l’université » (p. 69 ; la loi, en France, ne reconnaissait pas ce droit, ou cette liberté ; elle a d’ailleurs disparu comme telle le 8 mars 2018). Page 78, il note que « ce n’est pas le moindre des paradoxes que les évènements de mai-juin 1968 et les réformes qu’ils ont suscitées aient favorisé, trois années plus tard, l’adoption d’une telle mesure » (par une loi considérée comme nécessaire par le Conseil d’Etat, consulté par le Gouvernement : v. pp. 129-130). La remarque suscite l’intérêt, plus de cinquante ans après.

Ajout au 8 octobre 2018 : selon Manon Francois, Bérénice Gaudin, Camille Jaegle et Églantine Roland, la Cour Constitutionnelle fédérale allemande a déclaré, le 19 décembre 2017, l’inconstitutionnalité de « la sélection effectuée pour le cursus de médecine (…), au nom de la liberté professionnelle et du principe d’égalité » (La Revue des Droits de l’Homme ADL 2 oct. 2018, §§ 37 et s.). Les étudiantes du Master Bilingue droit de l’Europe rendent compte auparavant d’une décision du 12 juin 2018 (§§ 6 à 9), admettant l’« interdiction du droit de grève des professeurs allemands » : « Elle poursuit, selon la Cour, un but légitime, à savoir le droit à l’éducation » ; il permettrait donc de fonder une restriction, mais ne serait pas directement convoqué pour justifier la remise en cause du numerus clausus, dans la continuité de sa position du 18 juillet 1972 (v. ma note de bas de page 1148, n° 3206).

Aout au 5 janvier 2019 (en signalant le deuxième paragraphe de ce billet) : le 27 décembre dernier, le deuxième alinéa du IV de l’article 83 de la loi n° 2006-1640 prévoyait toujours que certains praticiens diplômés hors Union européenne ne « peuvent continuer à exercer leurs fonctions [que] jusqu’au 31 décembre 2018 » ; la loi n° 2018-1245 est venue, au dernier moment, prolonger ce délai jusqu’en 2020.

Rentrée scolaire : reprendre le(s) rythme(s)

« L’appel à “la Riposte” de Philippe Meirieu » ; tel est le titre d’un article de L’Obs (site web) 29 août 2018, publiant les « bonnes feuilles » de ce livre en forme de pamphlet (sous-titré pour en finir avec les miroirs aux alouettes, aux éditions Autrement), « peut-être bien » le dernier.

Une quinzaine d’occurrences apparaissent dans ma thèse à propos de cette figure des sciences de l’éducation ; en introduction d’un entretien avec lui, titré « Blanquer mène une politique de l’éducation sans mémoire ni boussole », le journaliste de L’Obs Gurvan Le Guellec note qu’il s’agit d’un auteur « que personne n’a vraiment lu, mais que tout le monde aime détester ».

Le professeur émérite fait observer que des parents d’élèves de primaire peuvent « simultanément applaudir au “rétablissement” de la dictée quotidienne et plébisciter la semaine de quatre jours qui, aboutit, de fait, à en diminuer le nombre ! Et cette incohérence n’est rien au regard de celle d’un ministre qui dit s’appuyer sur “les résultats des recherches scientifiques” et ouvre massivement les vannes à la même semaine de quatre jours que, précisément, l’immense majorité des scientifiques s’accorde à juger néfaste pour la qualité du travail de l’enfant » (sur cette « [c]ontradiction entre l’affirmation, réitérée au fil des pages, du recours aux sciences pour éclairer les décisions éducatives, et la place prépondérante qu’il accorde, dans les faits, à un pan particulier de la recherche, les neurosciences », v. déjà Mattea Battaglia et Luc Cédelle, « Jean-Michel Blanquer, son plaidoyer sur sa méthode », Le Monde 4 juill. 2018, p. 23, à propos du dernier livre publié par le ministre ; v. aussi ma page 116).

Plus loin, Philippe Meirieu prend « parti résolument pour l’autonomie des établissements, mais sans la confondre avec l’indépendance [et] dans un “service public” qui reste une véritable institution d’Etat », avant d’exposer comment ; dans l’entretien qui accompagne ces extraits, après avoir insisté sur ce « projet d’un véritable service public qui rassemble tous les enfants de France », il conclut sur leur « éducabilité », essentielle à ses yeux bien qu’elle soit « peut-être une cause perdue » : à propos de ces références que je souligne, v. mon précédent billet).

Ajout au 12 septembre 2018, avec la recension de Mattea Battaglia, « Une défense de la pédagogie », Le Monde, p. 22 : ce dernier terme renvoie pour Philippe Meirieu à une « transaction émancipatrice » qui, relève la journaliste, « ne fait pas d’autre pari que celui de l’éducabilité (…) ». Et de rappeler quelques-unes des sources d’inspiration du pédagogue, parmi lesquelles Janusz Korczak ; ce dernier constitue une référence de l’émergence des droits de l’enfant (v. ma thèse page 761).

Contre le décrochage scolaire, une défense de l’« éducabilité », au nom du service public

A l’approche de la rentrée scolaire, l’une des séries d’été du journal Le Monde se clôt par un entretien avec le journaliste Luc Cédelle de Nathalie Broux (« Le service public d’éducation doit répondre à ses propres manquements », 25 août 2018, p. 21 : « ou à son incapacité à garder en son sein certains élèves atypiques ou fragiles », selon la formule in extenso de l’enseignante).

La professeure de français est impliquée dans les « Micro­lycées, ces structures vouées à remettre sur les rails les élèves « décrocheurs » » ; ayant « contribué à la création du Microlycée 93, qui est né à La Courneuve en 2009 et qui, depuis, s’est implanté au sein du lycée Germaine-Tillion, au Bourget », elle « enseigne à la fois dans ce lycée général et technologique « classique », au sein duquel cependant sont menées de nombreuses innovations, et au Microlycée. Celui-ci accueille 55 élèves « raccrocheurs » de 16 à 25 ans, en classe de 1re ou de terminale, littéraire ou économique et sociale. Ils ont été déscolarisés pendant une période ­allant de six mois minimum à quelques ­années, et sont volontaires pour passer ou repasser le baccalauréat ».

« Dans mon horizon de pensée et celui de mes collègues des Microlycées, le principe humaniste de l’éducabilité de tous est un absolu », explique-t-elle, avant d’ajouter plus loin : « nous prenons appui sur le courage dont ils font preuve en osant reprendre des études. Ce sont eux qui accomplissent la principale partie du chemin. Nous voulons, en les accompagnant, honorer au mieux les principes de l’école publique et, dans un effet de miroir, la réhabiliter à leurs yeux. Nos établissements sont un peu aux frontières du système, mais nous restons dans ce que le service public a de plus essentiel » (à propos du premier terme souligné, outre les pp. 204-205 de ma note à la RDP 2010, n° 1 – évoquée ici –, v. la page 1040 de ma thèse ; et comme rappelé dans plusieurs billets précédents (v. par ex. , ainsi que ce portrait), mon premier titre est consacré à la référence au « service public », la première des « alternatives au droit à l’éducation » étudiées en première partie.

Le décrochage est une question que j’aurais aimé approfondir (v. néanmoins, à cette entrée, quelques mentions pertinentes ; d’autres renvoient à celui des… crucifix) ; j’espère avoir un jour l’occasion de le faire. Elle est notamment évoquée par une institution quasi-juridictionnelle du Conseil de l’Europe, le Comité européen des droits sociaux (CEDS), dans certaines de ses prises de position (pp. 916 et 1189-1190).

Carte scolaire et droit à l’éducation

Il y a quelques mois, cette note de Lorenzo Barrault-Stella a fait l’objet d’une diffusion en ligne : « La carte scolaire, une politique entretenant les inégalités », Les notes du conseil scientifique de la FCPE avr. 2018, n° 10, 4 p. Des extraits peuvent être reliés à plusieurs développements de ma thèse (l’entrée « Barrault » permet de voir comment j’ai mobilisé ses travaux, en particulier la version publiée de sa thèse de science politique soutenue à Paris I, le 2 décembre 2011).

Il rappelle que « la carte scolaire est d’abord un dispositif d’action publique, (…) [initialement institué] dans une perspective gestionnaire de planification et d’aménagement du territoire ». Toujours en première page, il relève la concomitance avec « l’abandon de la séparation filles/garçons au profit de ce que l’on nomme à l’époque la « mixité » sexuelle dans les classes ». Ensuite, il affirme que le dispositif « est présenté comme la concrétisation d’un droit à une scolarisation de proximité », ce tout en étant « peu débattu publiquement au début des années 1960 » (p. 2 ; je souligne). Ce faisant, il semble procéder à une relecture anachronique, très fréquente, anticipant – ici seulement de quelques années – la « reformulation du droit interne à partir de 1975 », objet du troisième chapitre de ma seconde partie (pp. 985 et s.).

Page 1204, la piste d’un prolongement de la réflexion sur les politiques publiques prétendant faire plus de place au « libre choix » de l’école n’est qu’évoquée, compte tenu du « cadrage dominant » familialiste souligné dans la suite du propos de Lorenzo Barrault-Stella (v. aussi Jean-Paul Delahaye, Grande pauvreté et réussite scolaire. Le choix de la solidarité pour la réussite de tous, Rapport IGEN, mai 2015, 224 p., spéc. pp. 94 et s., avec les références citées) ; elle peut être explorée à partir du « chèque éducation ».

Actualité contentieuse, dans le contexte français : mi-avril, il ressortait d’un article de presse que « le tribunal administratif de Rouen a rejeté le référé déposé par la Ville de Val-de-Reuil et des parents d’élèves du collège Pierre-Mendès-France » ; était en cause « le choix du Département [sic] de fermer le collège rolivalois – dans le cadre de la nouvelle carte scolaire –, dès la fin de l’année scolaire, en juin ». Le maire PS de la ville, Marc-Antoine Jamet, indiquait que « la cassation du référé » avait été sollicitée (Paris-Normandie.fr 17-18). Ce 16 avril, le président du tribunal avait plus précisément rendu deux ordonnances et le Conseil d’Etat s’est prononcé le 18 juillet (AJDA du 30, p. 1516, obs. Jean-Marc Pastor : « Fermeture d’un collège : litige autour d’une compétence partagée Etat-département » ; reprises sur Dalloz-actualite.fr).

Il annule la première pour « erreur de droit », sans pour autant donner raison aux requérants : s’ils pouvaient contester la délibération du conseil départemental de l’Eure du 11 décembre 2017, en ce qu’il était légalement compétent pour définir les « secteurs de recrutement de l’ensemble des collèges sur le territoire de la communauté d’agglomération Seine-Eure », les moyens développés ne sont pas, « en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la délibération attaquée » (CE Ord., 18 juill. 2018, Cne de Val-de-Reuil et a., n° 420043, cons. 3-4 et 7-8).

A propos de la seconde ordonnance, les pourvois sont directement rejetés. Par un arrêté du 12 puis du 14 décembre, le préfet a prononcé « la fermeture de l’établissement public d’enseignement Pierre Mendès France de Val-de-Reuil » (sollicitée par courrier du conseil départemental en conséquence de sa délibération précitée). La condition relative au doute sérieux n’est là non plus pas satisfaite, notamment à propos du « moyen tiré de ce que la décision du préfet de l’Eure [serait] entachée d’erreur manifeste d’appréciation » ; « le juge des référés a porté sur les faits une appréciation souveraine qui, eu égard à la couverture des besoins éducatifs dans le département, n’est pas entachée de dénaturation » (Ibid., n° 420047, cons. 3 et 8).

Signalé au bas de la décision, l’apport essentiel vient de la transposition par le Conseil d’Etat d’une position arrêtée le 2 décembre 1994 (v. ma thèse page 110, spéc. les notes 628 et 629) ; elle consiste à affirmer que « la fermeture d’un collège ne peut intervenir que dans le cadre d’une procédure [distincte de celle de sectorisation] permettant de recueillir l’accord du département », après avoir rappelé que « le législateur a entendu partager la compétence pour l’organisation du service public de l’enseignement du second degré entre l’Etat, d’une part, et, s’agissant des collèges, le département, d’autre part » (cons. 5 et 2). Alors que la décision en cause aura nécessairement des effets sur la réalisation du droit à l’éducation des ex-élèves de cet ancien collège, il convient de remarquer qu’il n’en est pas fait mention ; la référence alternative mobilisée – le service public – reste largement déterminée par les collectivités publiques (v. mon dernier chapitre, pp. 1187 et s.).

Foulard et enfance : la position des institutions onusiennes

En « onze pages », le 10 août, le Comité des droits de l’Homme (CoDH) a constaté une double violation par la France du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) dans l’affaire dite Baby-Loup ; telle est l’information rapportée par Marie Lemonnier dans L’Obs (site web) 24 août 2018, qui « s’est procuré le texte de la décision et a recueilli la réaction de Fatima Afif ».

Il convient d’abord de souligner la stratégie de ses conseils, Claire Waquet et Michel Henry, exposée comme suit par cet avocat : « Nous avons choisi de saisir le comité des droits de l’homme de l’ONU moins directement efficace mais plus constant dans ses décisions que la Cour européenne des droits de l’homme, qui a tendance à laisser une large marge d’appréciation aux Etats » (il en va de même de la Cour de justice de l’Union européenne) ; il « ne s’est pas dérobé et répond de façon très méthodique à tous les arguments échangés. Cette décision répond à une conception dévoyée et autoritaire de la laïcité, qui se pare de principes démocratiques pour en réalité viser non pas l’expression religieuse en général mais les musulmans et spécifiquement les femmes musulmanes ».

En attendant de pouvoir consulter la décision, quelques citations peuvent ensuite être reproduites à partir de cet article de presse : l’Etat français « n’explique pas dans quelles mesures le port du foulard serait incompatible avec la stabilité sociale et l’accueil promus au sein de la crèche », alors qu’il « ne saurait en soi être considéré comme constitutif d’un acte de prosélytisme ». Le Comité conclut, d’une part, que « la restriction établie par le règlement intérieur de la crèche et sa mise en œuvre constituent une restriction portant atteinte à la liberté de religion de l’auteure en violation de l’article 18 du pacte ». Est constatée d’autre part « une discrimination inter-sectionnelle basée sur le genre et la religion, en violation de l’article 26 du pacte » (tiret dans le texte, selon la version consultée ; pour d’autres citations, « Crèche Baby-Loup : l’ONU critique la France pour le licenciement d’une salariée voilée », Le Monde.fr 25-26).

Des observations rapides enfin (à propos des passages ci-dessus soulignés, v. ma thèse pp. 470 et s., ainsi que ce billet in fine) : cette décision confirme l’intérêt d’envisager les laïcités au pluriel (v. mon introduction, pp. 19 et s.), pour montrer que l’une d’elles « joue contre les droits » (Stéphanie Hennette Vauchez et Vincent Valentin, L’affaire Baby Loup et la nouvelle laïcité, LGDJ Lextenso, 2014, p. 24 ; italiques dans le texte, à rapprocher d’une déclaration de François Baroin, à qui l’on doit la paternité de l’expression que je souligne : v. ma thèse p. 435, avec les références citées). Dans cet ouvrage de 115 pages, il est fait allusion à une précédente décision du CoDH, 1er nov. 2012, Bikramjit Singh c. France (constatations rendues publiques le 4 févr. 2013, présentées pp. 455-456). Le Comité est l’organe de surveillance du respect du PIDCP, l’un des pactes onusiens de 1966 (pp. 744-745). Il peut se prononcer en urgence, comme il vient de le faire à propos de Lula, qui « doit pouvoir se présenter à l’élection présidentielle » brésilienne (Le Monde.fr 17 août 2018). Une semaine plus tôt, il se serait référé dans sa décision – selon Marie Lemonnier – à ses Observations finales à propos du cinquième rapport périodique de la France, datées du 17 août 2015.

L’été suivant, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CoEDEF) avait publié les siennes, dans lesquelles il prenait position contre le prolongement législatif des arrêts rendus dans l’affaire Baby Loup (CEDAW/C/FRA/CO/7-8, 25 juill. 2016, § 34). Ces observations ont été commentées par Diane Roman, in REGINE, chronique « Droit et genre » de janv. 2016 à déc. 2016, D. 2017, p. 935 ; tout comme à propos des sorties scolaires, l’argument tiré de la liberté de conscience des enfants a été avancé pour justifier la restriction de celle des adultes (sur ce point, v. mes pp. 405 à 410, avec la jurisprudence judiciaire sus-évoquée).

Dans les paragraphes qui précèdent, le CoEDEF émettait notamment le constat – qui reste d’actualité – d’une absence d’« évaluation récente et exhaustive de la loi n° 2004-228 interdisant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », en particulier concernant « ses éventuels effets limitant ou déniant le droit des filles à l’éducation » (sur ce point, v. mes pp. 959 à 964).

Il arrive aux juridictions (européennes) d’enrichir leur raisonnement en se référant à la position des comités (onusiens) ; il est possible de les qualifier de « quasi-juridictions », ce qui les distingue d’autres institutions des Nations Unies comme les rapporteures spéciales sur la liberté de religion ou le droit à l’éducation, ou encore le Conseil des droits de l’Homme (CDH). Ce dernier a lui aussi pris position pour défendre les droits de « toutes les filles » (Rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, A/HRC/35/11, 5 avr. 2017, 18 p., §§ 30-31). Officiellement, comme l’a rappelé le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères le 26 juillet 2018, la « France est très attachée au CDH, qui constitue un cadre irremplaçable pour défendre l’universalité des droits de l’Homme et le multilatéralisme ». Elle devrait donc, pour être cohérente – et crédible, au plan international –, cesser d’ignorer les prises de position onusiennes.

Ajouts au 5 septembre 2018 : signalée ce jour par Stéphanie Hennette Vauchez, cette version non éditée de la décision, mise en ligne sur le site du Défenseur des droits. Je renvoie surtout à son commentaire « Pour une lecture dialogique du droit international des droits humains. Remarques sur les constatations du Comité des droits de l’Homme dans l’affaire Baby Loup, et quelques réactions qu’elles ont suscitées », La Revue des droits de l’Homme ADL (CREDOF), spéc. les §§ 21-22 sur « la notion de discrimination intersectionnelle » ; dans l’ouvrage cité en note n° 46 figure un texte de Kimberlé Crenshaw (traduit de l’anglais par Aurélie Cailleaud), intitulé « Les “voyages de l’intersectionnalité” », p. 29 (il est aussi possible de visionner en ligne son intervention lors du TEDWomen en octobre 2016).

Au § 12, Stéphanie Hennette Vauchez traite du « but légitime » invoqué : le Gouvernement insistait sur la « vulnérabilité particulière des enfants », liée à leur liberté de conscience (§ 4.7 ; v. mes pp. 397 et s.) ; le Comité analyse cet argument aux §§ 8.2, 8.7 et 8.8 (c’est là que prend place la première citation de sa décision reproduite supra).

En notes n° 29 et 31, elle cite trois décisions du Défenseur des droits, en 2013 (le 5 mars, n° MLD-2013-7) et en 2016 (les 30 mai, n° MLD-2016-112 et 16 décembre, n° MLD-MSP 2016-299) ; ne figurant pas dans ma bibliographie – parce que je l’avais cherchée en vain pour la première, et qu’elles m’avaient échappé pour les deux autres –, elles auraient mérité d’être insérées dans le titre de ma thèse consacré aux libertés publiques comme alternatives au droit à l’éducation (v. pp. 461 à 470).

Ajout au 15 septembre 2018 : dans un entretien avec Françoise Champeaux (Semaine Sociale Lamy 13 sept. 2018, n° 1828), l’avocate Claire Waquet envisage de rechercher l’engagement de la responsabilité de l’Etat s’il refusait d’indemniser Fatima Afif (conformément au § 10 de la décision du CoDH).

Ajout au au 9 octobre 2018, modifié le 5 novembre, pour signaler mon billet à propos du Brésil (sur le sort réservé à la prise de position onusienne favorable à Lula).

Note à l’AJDA (responsabilité – gaz de schiste)

Dans L’actualité juridique. Droit administratif de cette semaine (n° 28) est publiée ma note sous CAA Versailles, 21 déc. 2017, Société Schuepbach Energy Llc, n° 16VE01097 ; AJDA 2018, p. 1625, intitulée « Engagement limité de la responsabilité sans faute du fait de la loi interdisant la fracturation hydraulique » (gaz de schiste).

« DROIT A LA PROPRIÉTÉ. ARTICLE 1 DU PROTOCOLE 1 DE LA CEDH » (fbls.net/P1-1, avec l’illustration ici reprise). Ma thèse porte sur le droit reconnu, notamment, par l’article 2 (v. les contrastes soulignés pp. 813 et 815). Il y a quelques jours – le 1er août –, le protocole n° 16 est entré en vigueur.

Ce commentaire figure dans la chronique responsabilité de la revue, dont la direction est assurée par Anne Jacquemet-Gauché. Au-delà des questions s’y rattachant directement, je consacre quelques développements au « droit au respect des biens » protégé par le premier protocole (mars 1952) à la Convention européenne (novembre 1950). Dans son arrêt, la Cour administrative d’appel de Versailles se réfère au mode de contrôle usuel des atteintes aux droits garantis à ce niveau européen[1].

Les enjeux environnementaux de l’affaire sont abordés au terme de ma note (pp. 1630-1631). En plus de signaler l’article d’Alain Deneault, publié ce mois-ci dans Le Monde diplomatique[2], j’ajoute quelques lignes ici à partir du projet de loi constitutionnelle actuellement bloqué, en renvoyant d’abord aux réactions de Didier Maus et Paul Cassia, publiées les 21 et 22 juin. Pour appuyer quant à lui ce projet, le président de la commission environnement du Club des juristes a pu curieusement affirmer que, dans son contrôle de « l’interdiction de la fracturation hydraulique, [le Conseil constitutionnel aurait] plutôt fait prévaloir la liberté d’entreprendre »[3]. La veille, le député LRM du Maine-et-Loire usait du même argument à propos de ce qu’est devenue la loi n° 2017-1839 sur les hydrocarbures[4]. Dans un entretien, Matthieu Orphelin ira jusqu’à affirmer n’avoir trouvé « aucun principe à opposer », ce « en dépit » de la loi constitutionnelle n° 2005-205 comme d’une volonté d’être « plus ambitieux dans cette avancée, notamment en mettant fin aux permis de recherche déjà accordés »[5]. Si le propos laisse sceptique, il n’en demeure pas moins que la liberté d’entreprendre a pu fonder certaines censures[6]. Le débat reste donc ouvert sur l’intérêt d’une telle révision[7].

Dans l’un des commentaires de la décision du 11 octobre 2013, et après avoir cité Philippe Billet, Olga Mamoudy se demandait « si, en l’espèce, le contrôle de la loi au regard de la liberté d’entreprendre ne recoupe pas, en partie au moins, le contrôle qu’aurait pu effectuer le Conseil constitutionnel au regard de l’article 6 de la Charte [de l’environnement] » (LPA 19 déc. 2013, n° 253, pp. 12 et s.). Au considérant 19, le Conseil constitutionnel s’était borné à en reproduire les termes avant d’affirmer « que cette disposition n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ». Il en déduisait que « sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité ».

Illustration reprise du site de Marc-Antoine Granger, enseignementsmagranger

Dans ma publication, je reviens brièvement sur les principes de prévention et de précaution, inscrits aux articles 3 et 5 ; ils fondent aussi, selon l’article 191 § 2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sa politique « dans le domaine de l’environnement » ; le Conseil d’État comme la Cour de Justice – très récemment – ont pu le rappeler dans l’affaire Confédération paysanne et a., dite « Mutagenèse », où l’applicabilité de ce droit de l’UE n’était pas douteuse[8].

Fin 2013, l’annotatrice précitée se montrait aussi critique concernant le « régime de l’intervention volontaire » : seules les associations France Nature Environnement et Greenpeace France avaient été considérées comme justifiant d’un « intérêt spécial » s’agissant de l’examen de la QPC précitée (cons. 2). Sept demandes avaient été rejetées, dont une présentée par le député européen José Bové (v. les visas). « Habitant le territoire du permis de Nant », il semble par contre être parvenu à intervenir – avec succès – « dans la procédure au soutien des décisions d’abrogation ». C’est en tout cas ce qui ressort d’un billet qu’il a mis en ligne le 23 décembre 2015, au lendemain du jugement n° 1202504 et 1202507 en confirmant la légalité. En contentieux administratif de la responsabilité, l’arrêt du 21 décembre 2017 permet de revenir sur cette question de procédure[9].

Actualités transatlantiques au 19 août 2018

Fin 2018, dans le supplément Le Monde Économie & Entreprise du jeudi 6 décembre, Nabil Wakim note page 2 que « la route entre Midland et Odessa, dans l’ouest du Texas, et ses vagues de pick-up qui transportent les travailleurs de l’or noir, est encore en train de déstabiliser le marché mondial » ; les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) « ne parviennent pas à s’extraire du piège du pétrole de schiste : s’ils réduisent la production pour faire monter les prix, ils se renflouent, mais laissent la place aux Américains, trop heureux d’accroître leurs volumes et d’exporter. S’ils laissent les prix chuter, ils mettent en péril leurs économies, fortement « pétro-dépendantes » » (v. aussi l’entretien publié page suivante ; après avoir insisté sur « l’émergence du pétrole de schiste », l’économiste turc Fatih Birol – directeur de l’Agence internationale de l’énergie – conclut sur « la part des énergies fossiles dans la consommation globale d’énergie », laquelle est toujours de 81 %, le même chiffre qu’« il y a trente ans »).

Photo de Peter Powell/Reuters (leparisien.fr ; theguardian.com)

En septembre, Éric Albert écrivait : « Après une bataille de sept ans contre les populations locales et les écologistes, la première fracturation hydraulique du pays depuis 2011 doit intervenir avant la fin du mois de septembre, à Preston, dans le nord-ouest de l’Angleterre » ; les « efforts gouvernementaux ont attiré un petit groupe d’entreprises [dont] Egdon Resources, dans lequel Total possède une participation (…). Le groupe français Engie, qui avait pris des participations dans plusieurs projets, a, de son côté, décidé de les revendre » (Ibid.. 13 sept.). Trois mois plus tard, si la « fracturation hydraulique lancée mi-octobre a été suspendue en raison de secousses telluriques répétées », la « bataille est cependant loin d’être finie » ; le journaliste indique en effet que le gouvernement britannique « rêve de répliquer la révolution énergétique des États-Unis » (Le Monde 14 déc., p. 10).

[1] Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait quant à lui repris une formule issue de la jurisprudence européenne, en rappelant l’importance d’« un rapport raisonnable de proportionnalité » (11 mars 2016, n° 1206490-1303134 ; Droit de l’environnement juill.-août 2016, n° 247, p. 265, obs. H. Bras, disponible en ligne, cons. 5 du jugement ; v. par ex. CEDH, 18 nov. 2010, Consorts Richet et Le Ber c. France, n° 18990/07 et 23905/07, § 114).

[2] Alain Deneault, « Total, un gouvernement bis. Les conflits de loyauté de la plus grande entreprise française », Le Monde diplomatique août 2018, p. 21, rappelant son engagement « dans la production de gaz de schiste au Texas et dans l’Ohio ».

[3] Yann Aguila (entretien avec, par Simon Roger), « Inscrire le climat dans la Constitution « aura un impact réel » », Le Monde 23 juin 2018, p. 9 ; contra CC, 11 oct. 2013, Société Schuepbach Energy LLC [Interdiction de la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures – Abrogation des permis de recherches], n° 2013-346 QPC, cons. 12

[4] Matthieu Orphelin, cité in « Nicolas Hulot veut inscrire le climat et la défense de l’environnement à l’article 1 de la Constitution », Le Monde 22 juin 2018, p. 8, avec une version en ligne.

[5] Matthieu Orphelin, cité in Le Point.fr 26 juin 2018, n° 201806

[6] V. par ex. CC, 24 mai 2013, Syndicat français de l’industrie cimentière et autre [Quantité minimale de matériaux en bois dans certaines constructions nouvelles], n° 2013-317 QPC, cons. 10, avec ce « billet d’humeur » de Xavier Dupré de Boulois, « La QPC comme supermarché des droits fondamentaux ou les dérives du contentieux objectif des droits », RDLF 13 janv. 2014, chron. n° 2 ; plus récemment, Stéphanie Hennette Vauchez, « « …les droits et libertés que la constitution garantit » : quiproquo sur la QPC ? », La Revue des Droits de l’Homme 11 juill. 2016, n° 10, spéc. la note n° 34

[7] Pour Amélie Canonne et Nicolas Haeringer, membres de l’ONG 350.org, la démission du ministre d’Etat « provoquerait peut-être un sursaut » (titre de leur tribune), mais pas cette révision, « dont la portée reste principalement symbolique » : v. Le Monde 3 juill. 2018, p. 21 ; contra « Oui à l’écologie dans la Constitution », Ibid., par un collectif d’universitaires, insistant sur la constitutionnalisation du principe de non-régression ; regrettant sa disparition en cours de discussion, Marie-Anne Cohendet, « Environnement et Constitution, le poids des mots », Le Monde Idées 7 juill. 2018 ; et de citer les Constitutions étrangères pertinentes, avant d’énoncer au titre des obstacles à la constitutionnalisation, « au niveau fédéral », « l’influence de certains groupes, pétroliers par exemple ».

V. aussi le texte qu’elle a cosigné avec les signataires de l’Appel pour une Constitution écologique (« Climat dans la Constitution : il est temps de rendre justice », 11 juill. 2018), et plus généralement l’appel « Inscrire le bien commun dans la Constitution», Le Monde Économie & Entreprise 30 mai 2018 : « Etonnante déformation de ces droits nés pour émanciper le sujet, devenus, par l’interprétation qui leur est donnée, des moyens offerts aux plus puissants de s’opposer au bien commun et à l’exercice de leurs libertés par les plus humbles ! ». Contra « Du « bien commun »… au Comité de salut public », Ibid. 16 juin 2018).

[8] V. CE, 3 oct. 2016, Confédération paysanne et a., n° 388649, cons. 18 à 20 ; AJDA 2017, pp. 288 et s., note F. Tarlet et G. Léonard, rappelant le précédent sur ce point du 1er août 2013, Association générale des producteurs de maïs [AGPM], n° 358103, cons. 22 ; CJUE G. C., 25 juill. 2018, aff. C‑528/16 ; AJDA p. 1523, obs. J.-M. Pastor, §§ 83-84 et 53

« Premiere manifestation nationale à Villeneuve de Berg près d’Aubenas en Ardèche le 26 février 2011 des opposants aux recherches de gaz de schiste venus de toutes les régions concernées en France. © Georges BARTOLI / Fedephoto »  (illustration reprise du billet de José Bové, mis en ligne le 23 décembre 2015)

[9] Ajout au 28 février 2019 : v. l’infographie de la Confédération paysanne, 5 p.

Actualisations le 21 mai 2020, en signalant CAA Versailles, 4 déc. 2019, Société Schuepbach Energy Llc, n° 16VE01097, art. 2 : « L’État versera à la société Schuepbach Energy Llc la somme de 994 195,98 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande préalable, ces intérêts étant capitalisés pour produite eux-mêmes intérêts à compter du 7 mars 2014 » ; CE, 7 févr. 2020, Confédération paysanne et a., n° 388649, dans le prolongement de l’arrêt du 25 juillet 2018 préc.

Les illustrations et notes de bas de page précédentes ont été ajoutées ce jeudi 21 mai ; ces dernières ne font que reprendre des éléments initialement laissés entre parenthèses.

Le droit à « l’éducation aux droits et aux devoirs liés à l’usage de l’internet »

La loi du 3 août 2018, « relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire », peut faire l’objet de quelques observations rapides. Répondant à une « promesse de campagne du candidat Macron » (Violaine Morin, « Bientôt une loi pour interdire le portable à l’école », Le Monde 30 mai 2018, p. 11), l’annonce du texte avait suscité une tribune de Fabrice Melleray (« Le législateur et le collégien », AJDA 2018, p. 593). Rappelant que l’article L. 511-5 du Code de l’éducation trouve son origine dans la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 « portant engagement national pour l’environnement », il s’interrogeait sur l’effet pratique de la reprise de cette interdiction. Il concluait sur le contraste à voir le Parlement, « largement exclu de la réforme du code du travail et de la réforme ferroviaire », cependant « saisi de questions qui relèvent très largement de l’ordre intérieur d’établissements publics ».

L’Assemblée nationale a estimé cet encadrement renforcé « indissociable de l’éducation des élèves à un usage responsable du numérique », pour citer la rapporteure Cathy Racon-Bouzon (Rapport enregistré le 29 mai, p. 14). La députée rappelait « l’éducation aux médias et à l’information (EMI) introduite dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture par la loi du 8 juillet 2013 de refondation de l’école de la République » (v. infra). L’extension aux lycées résulte quant à elle de la proposition de Stéphane Piednoir, au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat (Rapport déposé le 4 juill.).

Lors de la codification en 2000, l’article L. 312-9 se limitait à affirmer : « Tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique » ; étoffée par l’article 16 de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 (« favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet »), avant que celle n° 2013-595 du 8 juillet 2013, dite Peillon, ne vienne par son article 38 mentionner « une sensibilisation aux droits et aux devoirs liés à l’usage de l’internet et des réseaux, dont la protection de la vie privée et le respect de la propriété intellectuelle ».

L’article 2 de loi n° 2018-698 substitue au terme souligné celui d’« éducation » et complète la formule citée comme suit : « , de la liberté d’opinion et de la dignité de la personne humaine. Elle contribue au développement de l’esprit critique et à l’apprentissage de la citoyenneté numérique ». Au terme de cette reformulation se trouve consacrée l’expression éducation aux droits qui sert de titre à ce site, dans le prolongement de la conclusion de ma seconde partie (thèse, pp. 1221 à 1224).

Le jour de ma soutenance, le Conseil de la Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait un colloque intitulé « Fake news, armes de désinformation massive ? » ; le signalant, la RTC Télé-Liège 11 déc. 2017 souligne « l’importance de l’éducation aux médias ». Modifié par l’article 53 de la loi Peillon, l’article L. 332-5 prévoit : « La formation dispensée à tous les élèves des collèges comprend obligatoirement une initiation économique et sociale et une initiation technologique ainsi qu’une éducation aux médias et à l’information » (ÉMI). Rattaché au « Réseau de création et d’accompagnement pédagogiques » dit « Canopé », le CLEMI indique sur son site que cette éducation – non présentée comme un droit à – « permet aux élèves d’apprendre à lire, à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique, à se forger une opinion, compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie » (à partir des recherches récentes, v. à ce propos Claire Ravez, « Regards sur la citoyenneté à l’école », Dossier de veille de l’IFÉ juin 2018, n° 125, 40 p., spéc. pp. 10 pour l’ÉMI et 18-19 pour les « liens entre école et droit(s) »).

Dans le cadre du projet de révision constitutionnelle actuellement bloqué, des parlementaires ont pu manifester le souhait de « voir apparaître dans la charte [du numérique] un « droit à l’éducation et à la formation au numérique » » (Manon Rescan et Martin Untersinger, « Comment des parlementaires veulent inscrire la neutralité du Net dans la Constitution », Le Monde.fr 22 juin). Cette idée pourrait augurer la reformulation de l’alinéa 13 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (fréquente dans les discours sur le droit, elle n’a toujours pas eu lieu dans la jurisprudence constitutionnelle : v. respectivement pp. 644 et s. et 1092 et s.). Dans une tribune publiée le 9 juillet, Wanda Mastor invitait à ne pas introduire « dans la Constitution ce qui s’y trouve déjà » (« Nouveaux coups de canif dans la Constitution », AJDA 2018, p. 1353) ; ce ne serait pas le cas, là (concernant la volonté de constitutionnaliser la défense de l’environnement à l’article 1er, v. ici).

Ajouts au 7 septembre 2018 :

« Le smartphone à l’école, vice ou vertu ? ». Le Monde 28 août, page 19, publie les tribunes de Loys Bonod, « Il faut préserver les élèves de ces objets qui nous possèdent » et André Giordan, « Il est temps d’utiliser le portable en classe » ; pour le premier, professeur de français en lycée, « la nouvelle loi, adoptée le 30 juillet, comme la précédente [datant de juillet 2010], se défausse entièrement sur les établissements. Les collèges interdisaient localement les téléphones portables dans les cours de récréation ? Ils les autoriseront localement, dans la cour de récréation ou ailleurs ». Le second, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Genève, estime que « l’objectif de l’institution scolaire devrait être de conduire les élèves à un usage serein et pertinent de cet objet emblématique de la société présente et à venir », et la « maîtrise de l’information est un objectif important pour la formation à la citoyenneté »…

En ligne ce vendredi 7 septembre, Violaine Morin, « Les lycéens préfèrent le bénévolat à la politique », Le Monde.fr, rendant compte de l’étude « Bénévolat, projets citoyens, élections, vie du lycée… : les lycéens veulent-ils encore s’engager ? » publiée par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) : « les connaissances civiques des lycéens semblent être en deçà de l’investissement dans l’éducation à la citoyenneté. Avec douze années d’enseignement spécifique (les cours d’éducation morale et civique commencent dès l’école primaire), la France est en effet le pays européen qui propose dans ce domaine l’enseignement spécifique le plus long ».

Soulignant notamment les différences de genre révélées par l’étude, ainsi qu’un engagement plus important au plan associatif pour les élèves de l’enseignement privé, Kim Hullot-Guiot, « Citoyenneté : les lycéens veulent être utiles mais boudent les formes traditionnelles d’engagement », Libération.fr

Ajout au 27 septembre, complété le 31 décembre 2018, avec la publication au BOEN de cette circulaire n° 2018-114 du 26 : le ministère ne se sent manifestement pas tenu par l’indissociabilité soulignée durant les travaux parlementaires de la loi (v. supra), cela n’étant pas démenti par sa réponse publiée au JO Sénat le 27 décembre, page 6774 ; le terme droit(s) ne fait même pas l’objet d’une seule mention…

Passer de vingt-six à treize académies pour « transformer le service public de l’éducation » ?

Le Premier ministre et le ministre de l’Éducation nationale « comptent réformer le système éducatif en s’inspirant des recommandations formulées par le Comité action publique 2022. Une refonte qui passe notamment par une évolution de la formation des enseignants » (Faïza Zerouala, « Jean-Michel Blanquer veut (encore) changer la formation des enseignants », Mediapart 2 août 2018). Ce jeudi, ils ont manifesté leur volonté de « transformer le service public de l’éducation » (v. Isabelle Rey-Lefebvre, « Education : le gouvernement lance son chantier de réorganisation », Le Monde 3 août 2018, p. 10), également exprimée lors d’un entretien conjoint : Édouard Philippe et Jean-Michel Blanquer (entretien avec, par Patrice Moyon et Philippe Boissonnat), « Le gouvernement veut changer la vie des profs », Ouest-France 2 août 2018, p. 3

Le Premier ministre a ainsi déclaré : « Notre politique se fera à moyens contraints, mais nous investissons dans l’éducation et la formation, et cherchons à faire de profondes transformations, pas de petites économies » ; interrogé sur l’annonce d’une division par deux du nombre d’académies, le ministre de l’Éducation nationale a quant à lui affirmé : « Nous voulons éviter les effets de métropolisation excessive. Les sièges de rectorat ne seront pas forcément dans la capitale régionale. Comme, par exemple, avec Caen en Normandie alors que la capitale est à Rouen. Les recteurs devront faire des propositions en janvier. Nous voulons à la fois des recteurs stratèges à l’échelle des régions et des instances départementales confortées dans leurs missions opérationnelles de soutien aux établissements. Cela renforcera notre objectif de gestion de proximité et d’attention au monde rural ».

Le premier titre de ma thèse est consacré à la référence au « service public », la première des « alternatives au droit à l’éducation » étudiées en première partie. La toute première section de ma thèse se termine la force des académies, « apparue au moment de l’« Acte III » de la décentralisation : les nouvelles régions n’ont pas vraiment affecté les anciens rectorats » (p. 117). Si la réforme annoncée est menée à son terme, il conviendra d’en analyser les effets, notamment sur les inégalités territoriales (abordées cinq pages auparavant ; v. aussi ce billet).

Ajouts au 7 août 2018 : dans Le Monde du jour, page 21, le secrétaire général du SNPI-FSU (Syndicat national des personnels d’inspection) publie une tribune intitulée « Il ne suffira pas d’être « inventif » pour améliorer l’école ». Critique de la « stratégie communicationnelle » du gouvernement, Paul Devin craint « que la nouvelle organisation académique produise une administration plus distante et moins consciente de la réalité concrète de l’action éducative ».

Selon un billet du 31 juillet, « les élèves de Saint-Martin se sont retrouvés autour d’un événement sportif convivial organisé par Solidarité Laïque et l’USEP des Îles du Nord », parrainé par le « Délégué interministériel à l’égalité des chances des français d’Outre-mer, Jean-Marc Mormeck, ex champion de boxe ». Rappelant la mobilisation associative qui accompagna la réaction des pouvoirs publics suite à l’ouragan Irma (v. pp. 115-116), le texte indique que « les établissements scolaires sont [redevenus] accessibles pour la plupart ». L’accessibilité est l’un des éléments mis en avant par Katarina Tomaševski, la première rapporteure spéciale sur le droit à l’éducation.

Ajout au 25 septembre 2018, avec l’article de Rémi Barroux dans Le Monde, page 12 : « A Saint-Martin, Irma perturbe la rentrée scolaire » : un an après l’ouragan, « la reprise des cours ne s’est pas déroulée normalement » ; « Réparez nos écoles », tel était l’une des revendications lors d’une « manifestation de quelque 150 personnes », le 19, selon le journaliste.

Ajouts au 5 octobre 2018, avec deux annonces ministérielles le 3 : d’une mission sur « la politique territoriale de l’éducation nationale », d’abord ; d’un décret ensuite, qui constitue « en tout cas un moyen supplémentaire pour l’Etat d’intervenir dans les nominations et de « normaliser » un peu plus une administration de l’éducation nationale au fonctionnement historiquement à part » (Mattea Battaglia et Camille Stromboni, « Le gouvernement change les règles de nomination des recteurs », Le Monde.fr le 4).

Ajout au 15 octobre 2018, avec cet extrait de l’article accompagnant la Une du journal Le Monde samedi 13 (« Ecole : le contenu du projet de loi Blanquer »), signé Mattea Battaglia et Camille Stromboni, « Une loi pour dessiner ” l’avenir de l’école ” », p. 10 : devant être présenté ce lundi au Conseil supérieur de l’éducation, le projet contiendrait 24 articles : je reviendrai ultérieurement sur « l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire de 6 à 3 ans, qui est la raison d’être initiale » affichée du recours à la loi ; « l’article 18 porte sur les dispositions nécessaires pour redéfinir le périmètre des académies elles seront 13, contre 30 aujourd’hui, à l’horizon 2020, le gouvernement pouvant le faire « par ordonnance » ».

Génocides : éducation (droit à l’), « recherche historique » et « démarche critique »

Il y a deux ans, donnant la réplique à Sherlock Holmes qualifiant la loi « mémorielle » du 29 janvier 2001 de « droit mou », le Dr Watson (Dominique Chagnollaud de Sabouret) s’interrogeait : « Même quand elle a pour effet, par exemple, de modifier à terme les programmes scolaires ? » (« L’étrange affaire des communiqués », AJDA 2016, p. 1559, spéc. pp. 1564-1565). « Les lois mémorielles ont leur place dans les programmes scolaires » ; ainsi se trouve résumé l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 4 juillet dernier (Association pour la neutralité de l’enseignement de l’histoire turque dans les programmes scolaires (ANEHTPS), n° 392400 ; AJDA 2018, p. 1365, obs. J.-M. Pastor ; reprises sur Dalloz-actualite.fr).

Dans une étude publiée il y a quelques années, Erwann Kerviche faisait observer que « “la” loi mémorielle » est une « créature doctrinale », dont les « critères de définition apparaissent si fragiles qu’un démantèlement de cette catégorie artificielle semble nécessaire » (« La Constitution, le chercheur et la mémoire », RDP 2009, p. 1051).

© Coll. Gilles Boëtsch : chromolithographies publicitaires éditées par la Chocolaterie d’Aiguebelle, Monastère de la Trappe (Drôme), et par la société des Tapioca de l’Étoile, illustrant les massacres de l’époque hamidienne, vers 1896, MuCEM

Pour s’en tenir aux termes de la juridiction, l’association requérante contestait le refus d’abroger les dispositions de l’annexe III de l’arrêté du 9 novembre 2015 « en tant qu’elles comportent l’enseignement, au titre du programme d’histoire, des faits qu’elles qualifient de « génocide des Arméniens » » (cons. 3).

L’arrêt est rendu au visa de deux décisions de non-renvoi rendues sur les requêtes de la même association, selon lesquelles les dispositions de l’article 1er de la loi du 29 janvier 2001 – prévoyant que la « France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 » – « sont dépourvues de portée normative » (CE, 19 oct. 2015, n° 392400 ; Constitutions 2016, p. 588, chr. L. Domingo et 13 janv. 2017, n° 404850 ; entretemps, Dominique Chagnollaud avait produit pour l’ANEHTPS des observations devant le Conseil constitutionnel : v. sa décision du 8 janv. 2016, M. Vincent R. [Délit de contestation de l’existence de certains crimes contre l’humanité], n° 2015-512 QPC ; D. 2016, pp. 76, obs. P. Wachsmann, 521, note J.-B. Perrier et E. Raschel, et 92, point de vue D. Chagnollaud de Sabouret).

Le Conseil d’État considère cette fois « que, d’une part, la seule utilisation de ces termes, dont il ressort des pièces du dossier qu’ils se bornent à reprendre une formulation courante, notamment de la part d’historiens, et d’ailleurs reprise par la loi n° 2001-70 (…) n’est pas, par elle-même, de nature à porter atteinte [aux libertés d’expression, de conscience et d’opinion des élèves, ainsi qu’à la neutralité du service public de l’éducation] ». Il ajoute surtout « que, d’autre part, l’objet même du programme d’histoire, tel que le fixe l’arrêté litigieux, est de faire enseigner aux élèves l’état des savoirs tel qu’il résulte de la recherche historique, laquelle repose sur une démarche critique, fondée sur la liberté de soumettre à débat toute connaissance ; que, par suite, la prescription d’un tel enseignement par l’arrêté attaqué est, en elle-même, insusceptible de porter atteinte aux libertés d’expression, de conscience et d’opinion des élèves, ou de méconnaître la neutralité du service public de l’éducation » (cons. 6).

Il est possible de faire le lien avec l’un des éléments mis en avant par Katarina Tomaševski pour envisager le droit à l’éducation comme modèle, à savoir l’acceptabilité de ce bienfait ; tout comme à propos de la Marseillaise (v. pp. 1193-1194 ; v. aussi ce billet récent de l’historien de l’éducation Claude Lelièvre le 25 juin), le Conseil d’État aurait pu faire référence à ce droit pour conforter sa décision.

discours prononcé le 3 décembre 1896 par un jeune député du Tarn sous le titre Il faut sauver les Arméniens (réédité en 2007, il l’aurait été aussi en 2016 – par les éditions Les mille et une nuits)

Cet arrêt est enfin l’occasion de renvoyer à la recension de plusieurs ouvrages, « un siècle après le génocide », par Vicken Cheterian, Le Monde diplomatique oct. 2015, p. 24 (aussi à celui ci-contre). Récemment, v. Antoine Flandrin, « Génocides : la recherche française comble son retard », Le Monde Idées 31 mars 2018 : « pendant longtemps, la France s’est tenue à l’écart des genocide studies, ce courant de recherches interdisciplinaires né aux États-Unis et en Israël dans les années 1970-1980 », et ce « aussi parce que l’État a longtemps occulté son rôle dans les différents génocides, notamment la Shoah » ; sont rappelées l’« œuvre pionnière », en 1995, d’Yves Ternon, L’État criminel. Les Génocides au XXe siècle et « les travaux comparatifs et pluridisciplinaires de Jacques Sémelin ou de Bernard Bruneteau ».

Ajouts au 31 août 2018

« Europe de l’Est. Coup de gomme sur l’histoire », Le Monde Idées 11 août 2018 : ce dossier comprend un entretien avec Hamit Bozarslan (par Gaïdz Minassian), « En Turquie, l’histoire est essentiellement un mouvement de dissidence intellectuelle » ; au-delà du cas des « milliers d’enseignants [qui] figurent parmi les 130 000 fonctionnaires licenciés », depuis l’été 2015, il est rappelé qu’en 2017, « le Parlement a modifié son règlement intérieur pour sanctionner l’usage de mots jugés « dangereux » par les députés, dont « génocide arménien » et « Kurdistan » ».

Sur le site de Libération, le 30, Johanna Luyssen rappelle le « massacre des Héréros et des Namas entre 1904 et 1908 – le premier génocide du XXe siècle » (« Pourquoi l’Allemagne est encore embarrassée par son passé colonial en Namibie »). Le Monde des Livres signale, dans son édition du lendemain, le livre du chercheur Florent Piton, Le Génocide des Tutsi au Rwanda ; dans sa recension, Macha Séry note que ceux qui « minimisent le rôle de l’État français avant, pendant et après le génocide [d’avril à juillet 1994] (…) disposent toujours de puissants relais dans la presse et sur la Toile », alors que ce « rôle [est] aujourd’hui bien documenté ».

« Un an après les massacres et l’exil » dans le district de Cox’s Bazar (Bangladesh), l’envoyé spécial Bruno Philip a quant à lui publié une série d’articles à propos des personnes qui y ont trouvé refuge ; il indique par ailleurs que « les enquêteurs de l’ONU ont publié un rapport et demandé que la justice internationale poursuive le chef de l’armée birmane et cinq autres hauts gradés pour « génocide », « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » à l’encontre des musulmans rohingya » (« Une mission de l’ONU met en cause le chef de l’armée birmane », Le Monde 28 août 2018, p. 5).

Ajout modifié le 25 janvier 2020, pour préciser qu’alors que « la Cour pénale internationale se trouve saisie d’accusations visant l’« intention génocidaire » de l’armée » (« Chine, Inde, Birmanie : silence sur les musulmans persécutés », Le Monde.fr 18 janv. 2020 éditorial), la Cour internationale de justice vient, saisie par la Gambie, d’ordonner « au pouvoir birman de prévenir tout meurtre, toute atteinte grave à l’intégrité physique et mentale des membres de la minorité musulmane rohingya » (Stéphanie Maupas, « Rohingya : la Birmanie sommée d’agir », Le Monde le 25, p. 5, la décision ayant été rendue le 23) ; et pour compléter le renvoi à ce portrait d’Annick Cojean et Gaïdz Minassian, « Taner Akçam. L’historien du génocide des Arméniens » (Le Monde 27 sept. 2018, p. 14) : les journalistes revenaient sur le parcours de l’universitaire turc, qualifié dans le New York Times de « Sherlock Holmes du génocide des Arméniens » par Eric Weitz, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Allemagne et des crimes contre l’humanité.

Killing Orders. Talat Pasha’s Telegrams and the Armenian Genocide, Palgrave Macmillan, 2018 ; livre de Taner Akçam (traduit de l’anglais par Gilles Berton, préface d’Annette Becker), Ordres de tuer. Arménie 1915. Les télégrammes de Talaat Pacha et le génocide des Arméniens, CNRS éd., 2020

« Un mois après la reconnaissance du génocide de 1915 par le Congrès américain », le 12 décembre 2019, son livre (v. ci-contre) paraît en français ; « Une implacable démonstration », selon Gaïdz Minassian, qui recueille des propos de l’auteur dans Le Monde des Livres de ce jour, page 7 : Taner Akçam souligne « une différence importante entre la reconnaissance américaine du génocide et celles qui ont eu lieu en France et en Allemagne. La décision du Congrès américain peut avoir un poids juridique favorisant l’ouverture de procédures judiciaires contre la Turquie. Les plaignants arméniens pourraient s’inspirer du modèle des litiges concernant la Shoah. Désormais, ceux qui s’investissent dans cette lutte ont un poids moral et juridique accru » (« Le déni du génocide des Arméniens est une politique d’État »). Page 10, Florence Noiville rencontre « Elif Shafak. Nostalgique d’Istanbul » : « en 2006, son roman La Bâtarde d’Istanbul (Phébus, 2007) lui a valu d’être traînée en justice pour « insulte à l’identité turque ». (…) Mêlant la comédie au drame et le passé au présent, le livre contait l’histoire de deux familles, l’une turque, l’autre arménienne émigrée aux États-Unis au début du XXe siècle, et évoquait les atrocités du génocide (…). Le procès, retentissant en Turquie, s’est soldé par un non-lieu » ; « Depuis Londres, où elle s’est installée il y a onze ans, l’auteure de Crime d’honneur (Phébus, 2013) et de Trois filles d’Ève (Flammarion, 2018) ne cesse d’alerter sur la difficulté d’être kurde, homosexuel, alévi (membre d’une communauté musulmane hétérodoxe) ou simplement écrivain, aujourd’hui, au pays de Yasar Kemal et de Nazim Hikmet ».

Ajouts au 5 octobre 2018, avec la recension de L’État contre les juifs, de Laurent Joly (Tal Bruttmann, « Vichy, coupable », Le Monde des Livres le 5), et cet article de Blaise Gauquelin, « Le génocide oublié des Tziganes », Le Monde.fr le 3 : outre l’historienne Henriette Asséo (v. ma note de bas de page 868, n° 1465), le journaliste cite « Benjamin Abtan, président de l’EGAM, mouvement antiraciste européen, très impliqué dans ce dossier » : « Il y a un manque de connaissances et de recherches. Il faut (…) former les enseignants, faire évoluer les programmes scolaires ».

Ajout au 15 octobre 2018, avec un bref commentaire de la chronique autorisée sous l’arrêt du 4 juillet ; rédigée par Charline Nicolas et Yannick Faure, elle a été publiée lundi dernier à l’AJDA sous le titre « Savoir et/ou croire : les programmes scolaires à l’aune de la liberté de conscience » (pp. 1884 et s.). Les responsables du centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d’État écrivent qu’« il aurait pu in fine s’abriter derrière « l’état des savoirs » » (avant de préciser entre parenthèses : « d’ailleurs évoqué dans la décision », puis de recourir page suivante à cette expression) et, surtout, ne peuvent « s’empêcher, à titre personnel, de penser qu[‘]il est loin d’être évident qu’il soit possible de faire de la confrontation ou de la critique le mode commun de recherche dans le domaine de l’histoire. Toutefois, le juge n’est pas épistémologue, de sorte qu’un raisonnement juridique s’accommode aisément de cette vision quelque peu idéale » (« idéaliste », est-il écrit quelques lignes auparavant, « mais aussi réductrice car tendant à assimiler l’histoire aux sciences dites « dures » ») ; elle « a très certainement la vertu de « filtrer » les prétentions énoncées au nom de la liberté de conscience et d’éviter qu’un enseignement « à la carte » soit dispensé aux élèves en fonction de leurs opinions ». S’agissant de la dernière expression entre guillemets, v. ma thèse pp. 344-345, 825 et 1206 ; concernant une autre affirmation de cette page 1887, v. ce billet in fine.

Ajouts au 5 novembre 2018, pour signaler – outre cet extrait vidéo rendu public par Mediapart – l’intéressant supplément Le Monde Idées du samedi 3, consacré au « 11-Novembre dans tous ses sens », avec ce rappel de Marc Semo, « La naissance avortée de la justice pénale internationale » : « C’est en référence à l’anéantissement [des Arméniens] que le juriste juif polonais Raphael Lemkin, ­réfugié aux États-Unis, forgea le concept de génocide qui entrera dans le droit international en 1946, après la Shoah ». C’est à Lemberg qu’il étudia le droit, tout comme son homologue britannique Hersch Lauterpacht, l’inventeur du concept de « crime contre l’humanité » ; cette coïncidence est l’objet du livre de l’avocat Philippe Sands, sur lequel il revient dans un passionnant entretien avec Emmanuel Laurentin mêlant histoire, mémoire et droit.

Ajouts au 5 mars 2019, avec d’abord quelques précisions : « Lemberg, Lviv, Lvov et Lwów désignent la même ville », qui « a changé huit fois de mains entre 1914 et 1945 », et où son grand-père – Léon Bucholz, dont il est question aussi dans ce livre –, est né et a grandi. L’auteur concède que le titre peut surprendre, « au moment même où les frontières de l’Ukraine sont contestées par la Russie ». Lwów fût le nom de la ville lorsqu’elle était rattachée à la Pologne, dans l’entre-deux-guerres, avant d’être envahie par les Soviétiques en septembre 1939, puis par les Allemands en juillet 1941. En août 1942, le Gouverneur général de la Pologne occupée, l’avocat Hans Frank, « monta les marches de marbre de l’université et prononça un discours dans le grand auditorium où il annoncé l’extermination des Juifs de la ville » (Philippe Sands (traduit de l’anglais par Astrid von Busekist), Retour à Lemberg, Albin Michel, 2017, pp. 13-15 et 31 ; je souligne le nom actuel).

« La Nouvelle école polonaise d’histoire de la Shoah », tel était ensuite le titre d’un colloque international à Paris, les 21 et 22 février 2019, qui s’est trouvé « perturbé par des nationalistes polonais » (titre dans Le Monde le 2 mars, p. 10, article de Camille Stromboni) : v. le Communiqué de presse de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), 22 févr., avec les textes associés.

Je renvoie enfin au billet de Charlotte Mancini, « les crimes des Khmers rouges, un génocide ? », 3 mars 2019

« Droit de suite » sur l’« éducation selon Jean Zay… »

Semaine « sur les traces de Jean Zay », cerclejeanzayorleans.org nov. 2016

Ce samedi 28 juillet 2018 avait lieu sur LCP la rediffusion d’un documentaire, cette fois sous le titre « L´éducation selon Jean Zay… » (trois autres diffusions sont prévues en août, les 14, 21 et 25). Dans l’esprit de ce « Droit de suite », destiné à « faire découvrir ou redécouvrir » les apports éducatifs de cette « figure emblématique du Front populaire », je signale que l’entrée « Zay » comprend plusieurs occurrences dans ma thèse.

À la recherche d’inscriptions textuelles du droit à l’éducation, elle ne rend toutefois pas justice à l’intéressé, ce qu’il reste possible de faire en suivant les références mobilisées (ainsi des écrits des historiens Antoine Prost et Olivier Loubes, qui interviennent – avec Pascal Ory – dans le documentaire).

À propos de l’intervention de Daniel Keller (à partir de 11 min. 30), v. mes développements sur l’« instrumentalisation des circulaires Zay (1936 et 1937) », pp. 500 et s. : de manière subtile, l’ancien « grand maître » du Grand Orient de France (GOF) rejoint ces usages de l’histoire discutables, notamment d’un point de vue juridique ; s’y trouve citée une réaction d’Hélène Mouchard-Zay (à partir de F. Duruptz, « Jean Zay, figure de gauche et de la laïcité récupérée par le FN (et par d’autres) », Libération.fr 19 févr. 2017), invitée du débat qui suit le documentaire (v. ci-dessous).

Capture d’écran d’un extrait de l’émission ; dans la version intégrale, elle évoquait la première des lois des 9 et 11 août 1936, adoptées sous Jean Zay, v. ma thèse, 2017, pp. 717 – en note de bas de page –, 1023-1024 et 1036)

En attendant que la directive sur le droit d’auteur soit rediscutée, ce qui est prévu pour septembre (Libération.fr 10 juill. 2018), il peut être intéressant de relire son Projet de loi sur le droit d’auteur et le contrat d’édition du 13 août 1936 (59 p., introduit par Jean-Michel Bruguière qui en propose un commentaire récent de 47 p. ; v. là encore ci-dessous).

En introduction, page 2, il est notamment rappelé qu’« il prolonge la scolarité de treize à quatorze ans et fait rentrer le sport à l’école. Il est à l’origine, avec d’autres, de la création du CNRS et de l’ENA » (avec une finalité quelque peu oubliée : que « les enfants du Peuple puissent devenir ambassadeurs » ; citation extraite d’une tribune de l’avocat Gérard Boulanger, Le Monde.fr 24 juin 2013).

Le droit d’auteur au temps du Front Populaire. Le nouveau paradigme du « travailleur intellectuel », Dalloz, 2015 (publié en mai, le mois de sa panthéonisation)

Pour illustrer qu’il « ne sépara[i]t pas les questions d’éducation et de culture », il est fait observer en note de bas de page 9 « la présence dans le projet de loi d’une très innovante exception pédagogique qui ne sera adoptée en France que 70 ans plus tard ! » (v. l’article 13, pp. 30-31, ainsi que le commentaire, p. 14)

Page 3, Jean-Michel Bruguière renvoie à Pascal Ory, La belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire (1935-1938), Plon, 1994, p. 175 (l’ouvrage a fait l’objet d’une rééd. en 2016) ; il cite aussi le nom du conseiller d’État qui assistait Jean Zay, Paul Grünebaum-Ballin : ancien chef de cabinet d’Aristide Briand, il est l’auteur d’une étude juridique sur la séparation des Églises et de l’État, ainsi que d’un Commentaire théorique et pratique de la loi du 9 décembre 1905, co-signé avec Briand et Méjan ; ces textes sont cités dans les thèses récentes de Jean-François Amédro (2011) et Amélie Imbert (2012), référencées dans la bibliographie de la mienne (y figurent aussi les articles du fils de Louis Méjan, François, à propos duquel je renvoie à mes développements pp. 578 et s.).

Photo prise le 25 nov. 2023 à Valence (26)

P.S. Billet modifié les 23 septembre 2018 et 1er mai 2024, pour remplacer par des liens actifs ceux vers LCP – l’émission n’y étant plus disponible – et la revue ALYODA (v. infra, avec les raisons qui y sont exposées). Et procéder à deux renvois en signalant, parmi les établissements qui portent le nom de Jean Zay, un collège à Valence (v. ci-contre) et un lycée à Aulnay-sous-Bois (v. ce billet in fine), en Seine-Saint-Denis.

Souvenirs et solitudes de Jean Zay (1943 ; extraits repris en ouverture d’une revue publiée en 1978, citée dans ce portrait)

Ajout des illustrations au 3 décembre 2019 et 1er mai 2024 – en renvoyant pour la dernière à ma note de bas de page 1224, n° 3656 -, à l’occasion de la rédaction de ma note sous CAA Lyon, 23 juill. 2019, n° 17LY04351 ; Rev.jurisp. ALYODA 2020, n° 1 : « Interdiction des mères voilées dans les locaux scolaires : quand la laïcité repose sur une croyance ».

De Kylian Mbappé à Olympe de Gouges

Quelques jours après la finale de la coupe du monde de football en Russie, le groupe L.E.J sort un clip intitulé « Liberté, Égalité » :

Une brève réaction pour renvoyer au plus long de mes portraits, celui consacré à Flora Tristan, au début duquel est évoquée Olympe de Gouges.

Kylian Mbappé a en effet grandi à Bondy, en Seine-Saint-Denis, comme les artistes du trio précité.

Il a été scolarisé dans l’une des écoles primaires de la ville, qui porte le nom de celle qui revendiquait, entre autres droits, « celui de monter à la tribune ».

Ajout au 30 septembre 2018 : deux jours après l’irruption de Veronika Nikoulchina (en photo ci-dessus et récemment citée dans Le Figaro.fr avec AFP, concernant la santé de Piotr Verzilov), les juges de Strasbourg rendaient l’arrêt Mariya Alekhina et autres contre Russie (n° 38004/12 ; résumé en français, rédigé par le greffe et qui ne lie pas la Cour) : pour des faits s’étant déroulés en 2012, il vient donner raison aux « trois femmes qui ont créé en 2011 le groupe punk Pussy Riot » (Laurence Burgorgue-Larsen, « Actualité de la convention européenne des droits de l’homme (janvier-août 2018) », AJDA 2018, p. 1770, spéc. p. 1778).

Non-renvoi d’une QPC sur le principe de laïcité à l’Université de Strasbourg

« Messe [annoncée comme (v. ci-contre)] célébrée par Michel Deneken le 9 décembre 2017 / © FSU Sup Alsace » (france3-regions.francetvinfo.fr les 14-15)
La dernière décision citée dans ma thèse, d’un point de vue chronologique, est le jugement rendu par le tribunal administratif de Strasbourg le 14 décembre 2017 (p. 391, en note de bas de page). J’ai ajouté cette référence après ma soutenance, le 8. Ce jour-là, les organisations syndicales avaient réagi par un communiqué à l’annonce de ce que, le lendemain, « jour anniversaire de l’adoption de la Loi de 1905 », Michel Deneken « officierait en sa qualité de Président d’université à l’occasion d’une messe » à la chapelle Notre-Dame-de-Sion, annoncée par « un affichage papier sur les lieux mêmes de la cérémonie » (v. ci-contre) ; « Il y a finalement renoncé » (Lucile Guillotin, pour France Bleu Alsace le 14). Après avoir signalé ce jugement SNESUP (n° 1703016 ; AJDA 2017, p. 2501, obs. J.-M. Pastor), une revue spécialisée a publié les conclusions d’Anne Dulmet, rapporteure publique (AJDA 2018, p. 457) et vient de rendre compte d’un arrêt du Conseil d’État dans la même affaire (CE, 27 juin 2018, n° 419595 ; AJDA 2018 p. 1364, obs. J.-M. Pastor).

Pour Anne Dulmet, « l’éligibilité d’un président d’université dépend uniquement de son statut ». Après qu’il a été rappelé que Michel Deneken été « nommé et titularisé en qualité de professeur des universités de théologie catholique par décret (…) du 11 décembre 2003, alors qu’il était déjà prêtre », cette question était « tranchée sans état d’âme ». L’« écran de l’article L. 712-2 du code de l’éducation », qui « ne prévoit pas de condition de respect du principe de laïcité pour être élu président d’université », permettait à la rapporteure publique de balayer l’argument tiré de « manquements » à ce principe, selon le syndicat requérant (ainsi de sa participation « à une cérémonie de bénédiction d’écoliers avec leurs cartables, le 26 septembre 2016 ») ; « quand bien même » sa nomination comme professeur aurait été contestée, la jurisprudence Abbé Bouteyre a « vécu », tient-elle à ajouter en citant l’avis de la section de l’intérieur du Conseil d’État, en date du 21 septembre 1972 (v. mes développements, pp. 390 et s.). Et d’achever sa « digression de prospective contentieuse » en affirmant que « le seul fait d’avoir la qualité d’ecclésiastique ne constitue pas une faute disciplinaire. Ce sont les agissements de l’intéressé qui pourraient constituer des manquements à ses obligations professionnelles. C’est à ce titre que la visibilité particulière liée aux fonctions de président d’université pourrait être prise en considération pour apprécier la gravité éventuelle du manquement au principe de laïcité et de neutralité qui s’impose au fonctionnaire qu’est un professeur d’université ».

Selon le jugement du 14 décembre, « les dispositions de l’article L. 712-2 du code de l’éducation ne s’opposent pas à l’élection d’un ecclésiastique à la présidence d’une université et ne prévoient pas la prise en compte du comportement ou des propos tenus par la personne élue » et « la conformité de dispositions législatives à des principes constitutionnels ne saurait être contestée devant la juridiction administrative en dehors de la procédure prévue à l’article 61-1 de la Constitution » (cons. 3). En appel, le syndicat a donc soulevé une QPC, renvoyée par la CAA de Nancy au Conseil d’État en avril dernier. Sur les conclusions du rapporteur public Frédéric Dieu, très intéressé par les questions de laïcité, il est décidé le 27 juin de ne pas la renvoyer au Conseil constitutionnel, au motif qu’elle ne serait « pas nouvelle » et ne présenterait « pas un caractère sérieux » : découlerait d’ores et déjà du principe constitutionnel de laïcité l’absence d’« obstacle à ce qu’une personne ayant la qualité de ministre d’un culte puisse être élue aux fonctions de président d’université » (cons. 4). Le Conseil d’Etat réserve toutefois sa réponse par l’incise « en principe », laquelle rend curieux sur les exceptions. Il ajoute surtout immédiatement que ladite personne est « alors tenue, eu égard à la neutralité des services publics qui découle également du principe de laïcité, à ne pas manifester ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions ainsi qu’à un devoir de réserve en dehors de l’exercice de ces fonctions ».

Anne Fornerod (dir.), Assistance spirituelle dans les services publics. Situation française et éclairages européens, PU Strasbourg, 2012 (pus.unistra.fr)

Ce faisant, après un considérant 3 inspiré de la décision n° 2012-297 QPC (v. évent. dans le pdf de ma thèse avec ce numéro), il répond à une interrogation formulée par Pierre-Henri Prélot dans son article sur « La religion à l’Université : le cadre juridique français » (in ouvr. ci-contre, 2012, p. 123, spéc. p. 126), reproduite et développée dans ma thèse page 400. Autrement dit, alors qu’est en cause un professeur de théologie (catholique) à Strasbourg, le Conseil d’État tient à affirmer à nouveau une présomption qui a, jusqu’ici, essentiellement servi à sanctionner des filles et des femmes (musulmanes[1]), en particulier des élèves de cette académie (v. mes développements sur l’acceptation des incohérences « laïques » du régime spécifique alsacien-mosellan, pp. 448 à 451).

Ajout au 31 août 2018 : au Journal officiel du Sénat du 23, p. 4330, se trouve publiée la réponse du Ministère à une question écrite du sénateur de la Moselle Jean Louis Masson (« Cours de religion dans les écoles publiques », n° 05222). Celui-ci s’impatientait de ne pas recevoir l’assurance officielle d’une absence « de dénaturation du droit local d’Alsace-Moselle » ; elle se termine significativement en soumettant « les actions menées » à l’approbation « de l’autorité religieuse ».

Ajout au 9 décembre 2018, avec une autre réponse ministérielle, publiée au JO Sénat 29 nov., p. 6033 : des affirmations infra-législatives suffisent pour affirmer que « la possibilité de choisir entre un enseignement religieux ou un complément d’une heure d’enseignement moral est effective » (ce dont il reste possible de douter). Autrement dit, le Ministère n’entend pas « mettre en œuvre les préconisations de l’observatoire de la laïcité », pour citer la question écrite à laquelle il ne répond négativement qu’indirectement (n° 00447, la sénatrice drômoise Marie-Pierre Monier reprenant le 13 juillet sa question n° 22654, posée un an plus tôt) ; cette proposition, en 2015, réitérait celle faite en 2003 par la Commission Stasi (v. mes pp. 348 à 363, spéc. 362 en note de bas de page n° 2256) et il y a là une question de laïcités-séparation.

« Christophe Castaner liste les signes de radicalisation ? “Vous avez une barbe vous-même”, lui répond un député », 9 oct. 2019 (europe1.fr, reprenant @LCP le 8 ; commentant ce sketch, v. le début des extraits mis en ligne par Haroun le 21 nov. Plus récemment, Elsa P., « Ni barbe, ni moustache aux côtés d’Emmanuel Macron : cette note discriminatoire qui fait polémique », ladepeche.fr 31 janv. 2020)

[1] En 2018, je tenais à nuancer la focalisation sur les femmes comme suit : v. néanmoins CAA Versailles, 19 déc. 2017, n° 15VE03582 ; AJFP 2018, p. 160, comm. Alexis Zarca, « Port de la barbe, signe d’appartenance religieuse ? Les terrains glissants de l’obligation de neutralité » ; AJCT 2018, p. 613, chron. Mehdi Bahouala, « Laïcité et neutralité dans le secteur public territorial. Jurisprudence 2016-2018 ». Le Conseil d’État vient de juger que « la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit » (CE, 12 févr. 2020, n° 418299 ; AJDA du 24, p. 374, obs. Carine Biget, « Le port de la barbe ne suffit pas à caractériser la manifestation de convictions religieuses », cons. 3). Je remercie l’étudiant – il se reconnaîtra – qui m’a signalé cette « décision passée inaperçue » (Étienne Jacob, lefigaro.fr le 19), alors que je demandais dans son groupe si des actualités avaient retenu l’attention cette semaine (une question que je pose quasi-systématiquement en L2, depuis la rentrée). J’en profite pour insérer des illustrations et renvoyer, à propos de l’arrêt du 27 juin 2018, à la note n° 20 de mon billet du 29 septembre 2019.

A Mayotte, alors qu’il « faudrait créer une classe par jour »…

Le 6 mars dernier, la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, déclarait à l’Assemblée nationale : « Pour être au rendez-vous, il nous faudrait créer une classe par jour » (la1ere.francetvinfo.fr). Remarquant la formule, le chercheur Christophe Rocheland commentait : « On touche aux limites des obligations constitutionnelles françaises d’enseignement public obligatoire et gratuit » (« Le gouvernement fait une erreur d’analyse à propos de Mayotte », Le Monde 21 mars 2018, p. 20 ; à propos de cette tribune, v. en ligne d’autres extraits sur le blog de Michel Abhervé).

Près de trois mois plus tard, le 5 juin, la Section de l’intérieur du Conseil d’Etat rendait un avis – publié par le Sénat le 7 – contenant entre autres considérations ce constat suivi d’une déduction : « Sont notamment constatées une saturation des services sanitaires et une sur-occupation des établissements scolaires, conduisant à une scolarisation par rotation, dont pâtit l’ensemble de la population résidant à Mayotte. Le Conseil d’État estime que ces éléments constituent des caractéristiques et contraintes particulières au sens de l’article 73 de la Constitution » (avis n° 394925, § 10). Autrement dit, parce que les alinéas 11 et 13 du préambule ne sont pas respectés, les situations de fait qui en résultent pour les enfants, loin d’être analysées comme des atteintes à leurs droits à la santé et à l’éducation, justifient que celui de devenir français.e soit à son tour restreint.

Le terme Mayotte comprend une trentaine de mentions dans ma thèse ; l’une d’elles signale les pages pertinentes du Rapport annuel du Défenseur des droits (DDD), consacré en 2016 à celui « fondamental à l’éducation » ; il rappelait s’être inquiété de la situation au début de l’année (v. aussi S. Slama, « Chasse aux migrants à Mayotte : le symptôme d’un archipel colonial en voie de désintégration », La Revue des Droits de l’Homme 2016, n° 10, mis en ligne le 7 juill., en note n° 3). Deux ans plus tard, à l’opinion d’un « observateur de l’aggravation du climat délétère qui règne sur l’île » (Al-watwan.net 21 mars 2018) faisait écho l’expression de la « préoccupation majeure » du DDD le 25 mai, mais là encore « dans l’indifférence (métropolitaine) quasi générale » (pour reprendre la formule de Serge Slama, § 2) ; annexé, son rapport du 9 (5 p.) se termine en rappelant en particulier les « droits fondamentaux des enfants d’être protégées contre toute forme de violence, de vivre en famille et d’accéder à l’éducation ».

 

Ajouts au 12 juillet 2018 : condensant les formules précitées de la ministre et du Conseil d’Etat, la députée LRM Ramlati Ali a rejoint la proposition du sénateur LRM Thani Mohamed Soilihi, soutenue par Emmanuel Macron (« Les députés approuvent la limitation du droit du sol à Mayotte », Le Monde.fr 11 juill. 2018). Dans un article publié récemment à la Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, Vincent Mazeau rappelle que la première femme députée de Mayotte fut l’été dernier la cible d’une « micro-polémique malveillante ayant pris pour objet [s]a photographie officielle (…), qui la représente coiffée du kishali, le châle traditionnel des Mahoraises » (« La cravate et le voile. Réflexions sur les règles relatives aux tenues vestimentaires à l’Assemblée nationale », RDP 2018, n° 3, p. 763, spéc. p. 765) ; dans l’hémicycle, soucieuse de se fondre « dans la masse » (selon son expression), l’auteur note qu’elle décidait « de rabattre le châle de la discorde sur ses épaules, dégageant totalement sa tête » (p. 778). Quelques mois plus tard, le 24 janvier 2018, « le Bureau de l’Assemblée nationale a adopté, dans une remarquable discrétion, une modification de l’article 9 de son instruction générale » (J.-B. Chevalier, « A l’Assemblée, tenue correcte et expression neutre exigées : une (très) contestable restriction de la liberté d’expression des députés », Le blog Droit administratif 23 févr. 2018).

Page 785, Vincent Mazeau rappelle aussi qu’en 1989, « deux députés décidèrent de se rendre dans l’hémicycle la tête voilée par un foulard représentant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour protester contre la prise de position de Lionel Jospin, ministre de l’Education nationale, qui avait invité les établissements scolaires à accueillir les jeunes filles voilées « en cas de blocage » » (v. sur ce point ma thèse, pp. 412 et s.). Au terme de son article, pp. 788-789, il rejoint la position de Jean-Baptiste Chevalier, qui voit dans le texte précité de l’Assemblée une « limitation de la liberté religieuse injustifiée »… contrairement à celle résultant de loi du 15 mars 2004, qui reposerait sur la nécessaire protection des élèves ; après avoir évoqué le cas de Mayotte page 449, j’estime pour ma part que cette protection est aussi injustifiée, puisqu’elle repose sur un prosélytisme présumé (pp. 483 et s. ; v. aussi, mutatis mutandis, ce billet in fine). Surtout, plus qu’une atteinte à cette liberté, j’y vois une restriction au droit à l’éducation (pp. 26 et 1211-1212).

Ajout au 23 août 2018 : relayée par le Gisti, une « Lettre ouverte à monsieur le préfet de l’île de Mayotte » est publiée aujourd’hui. Cette actualité mérite là encore d’être reliée à l’obligation négative de ne pas porter atteinte au droit à l’éducation, laquelle pourrait être renforcée ; l’Etat doit le respecter et le protéger, il ne saurait laisser des tiers compliquer encore davantage sa réalisation (v. respectivement pp. 978, 1178 et s.).

Ajouts au 12 et 30 septembre, complétés le 23 décembre 2018 : alors que le DDD avait estimé le 26 juillet que « la dérogation au droit commun de la nationalité constituerait une atteinte injustifiée au principe d’indivisibilité et au principe d’égalité » (p. 2), le Conseil constitutionnel a rejeté son invocation devant lui : suivant l’avis précité du 5 juin, il identifie « une différence de traitement qui tient compte des caractéristiques et contraintes particulières [visées par l’article 73 de la Constitution] propres à Mayotte et qui est en rapport avec l’objet de la loi » (CC, 6 sept. 2018, Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, n° 2018-770 DC, cons. 35 à 47 ; comparer sur ce dernier point aussi le communiqué du DDD, p. 1).

Dans une note publiée à la fin de l’année, Pierre Mouzet attire l’attention sur l’incise relative au « seizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 », en réponse – négative – aux « sénateurs requérants » (cons. 47 et 39). L’annotateur s’interroge sur la portée de cette mention de « l’antépénultième alinéa du préambule de 1946, fût-ce à son corps défendant » (AJDA 2018, p. 2401, spéc. p. 2405) ; en lien avec le début de ce billet, j’en soulignerai pour ma part une formule : « La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion ».

A l’occasion de son déplacement médiatisé à Mayotte, le 28 août 2018, Jean-Michel Blanquer a « plaidé pour que le bureau des étrangers rouvre « dans les plus brefs délais » » ; il « reste bloqué », indique Patrick Roger (Le Monde 11 sept. 2018, p. 12). Publié la veille, un autre article du même journaliste peut être évoqué : dans mon billet du 5 janvier, j’ai ajouté in fine une actualité à propos des titulaires du droit à l’éducation dont l’administration présume la majorité ; pour les jeunes originaires de la Nouvelle-Calédonie qui viennent étudier ici, c’est leur nationalité française qui n’est pas considérée (v. « L’atterrissage périlleux des étudiants calédoniens en métropole », Ibid. 10 sept., p. 6) : il est là aussi possible d’y voir une atteinte à l’obligation internationale de faciliter l’exercice de ce droit (pp. 1180 et s.).

Dans le numéro 47 de la revue Après-demain (2018/3, NF) est publié ce texte de l’ex-ministre et actuelle députée George Pau-Langevin, « Droit à l’instruction Outre-mer : une démarche inaboutie ». J’en reproduis trois extraits (en ordre inversé) : souvent, « la poursuite d’études passe par un départ vers l’Hexagone » (p. 30) ; « la collectivité départementale de Mayotte, parvenue à la pleine compétence depuis peu, ne dispose pas des personnels, ingénieurs ou techniciens suffisamment compétents », et il a été décidé d’« accepter le recours aux préfabriqués jusque-là récusés, pour débloquer la situation et commencer à rattraper le retard » (p. 29) ; en Guyane aussi, il « faudrait quasiment construire une classe par jour » (p. 28, avec la suite dans ce billet in fine).

Maire Ménard et père fouettard

Couverture du livre – cité ci-contre – de Mario Vargas Llosa, Gallimard-Folio (reprise depuis le site de la librairiegoulard.com)

Dans son livre Le Paradis – un peu plus loin, Mario Vargas Llosa met brièvement en scène Flora Tristan dans « l’écœurante Béziers » (Gallimard, 2003, p. 481 : « à peine deux jours, les derniers d’août 1844 »). Récemment, le Conseil d’État vient de déclarer illégales des décisions prises par son maire, Robert Ménard, en 2014 (CE, 6 juin 2018, LDH, n° 410774 ; AJDA 2018, p. 1189, obs. Jean-Marc Pastor ; reprises sur Dalloz-actualite.fr) ; d’aucuns pouvaient estimer qu’elles méritaient, pour leur part, le qualificatif désobligeant précité, tant elles constituaient une mauvaise réponse aux problèmes qu’elles prétendaient résoudre.

En l’espèce, il est jugé que « les documents produits par la ville de Béziers n’apportent pas d’éléments précis et circonstanciés de nature à étayer l’existence de risques particuliers relatifs aux mineurs de moins de 13 ans dans le centre-ville de Béziers et dans le quartier de la Devèze pour la période visée par l’arrêté attaqué » (cons. 6, renvoyant au cons. 3). Or, la légalité de mesures de police administrative protectrices des mineurs et préventives de troubles à l’ordre public, « restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs[,] est subordonnée à la condition qu’elles soient justifiées (…), adaptées (…) et proportionnées » (cons. 2). Tel est l’apport essentiel – souligné dans les observations précitées – de cette décision par rapport aux ordonnances rendues par Daniel Labetoulle les 9 et 27 juillet 2001 (Préfet du Loiret, n° 235638 ; AJDA 2002, p. 351, note G. Armand ; Ville d’Étampes, n° 236489).

Extrait vidéo intitulé « Robert Ménard (maire de Béziers) sur le couvre-feu pour les moins de 13 ans : “L’objectif est (…) de leur faire une leçon morale” », bfmtv.com 23 avr. 2024 (les illustrations de ce billet ont en effet été ajoutées après l’ordonnance rejetant le recours contre la réitération de cette mesure ; v. le renvoi in fine)

Était alors mentionné « l’article 372-2 du code civil, selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l’enfant sont confiées par la loi à ses père et mère, qui ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d’éducation ». En 2018, le Conseil d’État vise cette fois le bon article (371 ; correction au 15 mai 2024 : en se trompant cette fois en visant le -2 au lieu du -1)), mais avant de reprendre un « droit (…) d’éducation » qui ne s’y trouve plus mentionné depuis l’article 3 de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002. Cette réinsertion me donne l’occasion de renvoyer dans ma thèse à la « Conclusion de la première partie. Entre absence du droit à l’éducation et références aux droits d’éducation » (pp. 615, spéc. p. 624).

Enfin, si j’ai cédé à la tentation de mobiliser, dans le titre de ce billet, le « père fouettard », c’est pour partager une découverte de cette année que je dois à Louis-Georges Tin : dans une tribune suggérant l’évolution de la « Nuit des Noirs » – prévue le 10 mars, lors du carnaval de Dunkerque (Nord) –, le président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) rappelait les termes employés en 2015 par le comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale à propos du « recours au blackface dans le cadre des cérémonies liées au Père Fouettard (« Zwarte Piet », Pierre le Noir), à Amsterdam : « Considérant que même une tradition culturelle profondément enracinée ne saurait justifier des stéréotypes et des pratiques discriminatoires, le comité recommande que l’État travaille à l’élimination de ces traits de caractère de Black Pete qui mettent en œuvre des stéréotypes négatifs ». Et de fait, la ville a commencé à faire évoluer cette cérémonie autrefois saturée de déguisements raciaux » (« Non aux références coloniales », Le Monde 12 févr. 2018, p. 24).

Capture d’écran de la vidéo signalée ci-contre (intitulée « America First – The Netherlands Second – Donald Trump »)

Dès 2014, sur le site de la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF 27 oct.), Anina Meeus notait que le débat divise toujours « très sérieusement (…) la société hollandaise », entre « défense de la tradition et lutte contre le racisme » ; il y est fait référence dans la parodie de Donald Trump (« america first netherlands second »), réalisée par le talk-show néerlandais populaire Zondag met Lubach et largement partagée depuis janvier 2017 (v. ci-contre ; je remercie Claske Dijkema pour m’avoir signalé cette vidéo).

Ajout au 5 novembre 2018, pour signaler la note sous cet arrêt publiée ce jour à l’AJDA (pp. 2155 et s.). J’ai connu Hugo Avvenire, son auteur, en tant qu’enseignant lorsqu’il étudiait à Grenoble ; il prépare actuellement une thèse à Toulouse 1 Capitole. Il s’appuie ici et notamment sur les actes d’un colloque s’étant tenu dans cette université le 31 mars 2017 – publiés la même année aux éd. L’Épitoge-Lextenso –, la communication d’Anthony Falgas pouvant être regardée sur YouTube (à deux reprises, juste avant d’évoquer le recours au couvre-feu en Nouvelle-Calédonie, en 1985, il mentionne celui visant les Algérien·ne·s, en 1961). Soulignant la « référence à la catégorie des libertés publiques forgée au XIXe siècle » – lors de l’examen de la recevabilité du recours –, l’annotateur relève « la force (re)structurante de la logique des droits fondamentaux » dont témoigne plus largement la décision commentée. Il conclut que si elle ne lève « pas toute ambiguïté, le Conseil d’État a souhaité un porter un coup d’arrêt, discret mais ferme, [aux] pratiques » de certains maires comme celui de Béziers (pp. 2157, 2158 et 2159).

Ajout pour signaler mon billet suite à (CE Ord., 10 mai 2024, Le Lakou-LKP, n° 493935, cons. 2 [en référé-liberté] et) TA Montpellier Ord., 15 mai 2024, LDH, n° 2402422, cons. 4 (en référé-suspension), enrichissant le deuxième considérant du Conseil d’État en 2018 (en annulation), après avoir corrigé l’erreur mentionnée entre parenthèses au troisième paragraphe supra, tout en maintenant la référence jurisprudentielle au « droit (…) d’éducation ».

Affaire de Ris-Orangis : que faut-il retenir du jugement du 16 mars 2017 ?

Photo issue du site du tribunal administratif de Versailles

La Revue des Droits de l’Homme de ce 6 juin 2018 publie la « Chronique de droit des discriminations » pour la période octobre 2016-mars 2017. À propos du jugement rendu par le tribunal administratif de Versailles le 16 mars 2017, Thomas Dumortier écrit : « En application du principe d’égalité (et non du principe de non-discrimination), un traitement différencié des enfants ne pouvait être fondé, rappelle le juge, que sur des considérations objectives en lien avec le but poursuivi par le service public de l’éducation »1RevDH 6 juin 2018, §§ 33 et s., spéc. 37 (je souligne)..

Le droit à l’éducation (ou à l’instruction) n’est pas visé par le chroniqueur, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de la rédaction de ce jugement2TA Versailles, 16 mars 2017, M. et Mme M., n° 1300665 ; taper ce numéro de requête dans le pdf de ma thèse permet d’accéder directement à mes notes de bas de pages 870, 909 et 1132, n° 1472, 1717 et 3130. Cela n’avait pas empêché le Défenseur des droits (DDD) de faire référence à celui à l’éducation dans un communiqué3DDD, 14 avril 2017, https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/actualites/le-defenseur-des-droits-condamne-fermement-la-discrimination-subie-par-des-enfants (page indisponible au 29 sept. 2024) ; comparer Asefrr, ERRC, GISTI et LDH, « Classe spéciale « roms » de Ris Orangis : rupture d’égalité ou discrimination ethnique ? », communiqué du 2 mai 2017.

L’ERRC – European Roma Rights Centre – était parmi les associations autrices avec le MRAP d’une intervention en demande devant le TA4Associations représentées par Me Lionel Crusoé, auteur de ce texte de 16 p. ; rendue quant à elle en 2009-2010 par le Comité européen des droits sociaux (CEDS), la décision Centre européen des droits des Roms (CEDR) c. France (n ° 51/2008) est présentée dans ma thèse pp. 903-9045Concernant cette association, v. aussi la note n° 1465 à propos de la « tension » soulignée par Eric Fassin dans « La « question rom » » (in E. Fassin, C. Fouteau, S. Guichard et A. Windels, Roms & riverains. Une politique municipale de la race, La Fabrique, 2014, p. 7, spéc. pp. 16-17) ; cet article est encore cité à propos de Romeurope, dont est issu le Collectif pour le droit des enfants roms à l’éducation (le CDERE, entrée qui conduit notamment à la page 1142), lequel a saisi plusieurs fois le DDD (pp. 1130 et s.)..

Photo issue du site de la CGT FERC, 1er octobre 2014

Dans un entretien avec Matthieu Bonduelle, réalisé le 29 septembre 2017 et publié au début de l’année, le DDD affirme : « quand nous enjoignons à des maires de scolariser des enfants étrangers et qu’ils persistent à refuser de le faire, il peut se passer du temps avant que nous obtenions gain de cause »6Jacques Toubon, « La “réalité” est devenue une excuse », Délibérée févr. 2018/1, n° 3, p. 75, spéc. p. 77 (à propos d’injonctions prononcées cette année par le même TA de Versailles, v. ce billet)..

L’implication du Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (Gisti) concernant les « expulsions de terrains des populations roms (ou dites telles) et toutes les formes de discriminations à leur égard, à commencer par les refus de scolarisation des enfants », est quant à elle rappelée par celle qui en fut, de 1985 à 2000, la présidente7Danièle Lochak (entretien avec, par Armelle Andro, Sarah Mazouz et Patrick Simon), « Défendre la liberté de circulation », Mouvements 2018/1, n° 93, p. 181, spéc. p. 194 : à la page précédente, la professeure, qui a été aussi vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme, revient sur « la première affaire du foulard, en 1989 [, en procédant à une comparaison intéressante des] réactions qu’elle a suscitées au sein de la LDH et au sein du Gisti », où « il n’a pas été possible, à l’époque, de dégager une position consensuelle » en soutien des élèves exclues..

28/32 Alberto Campi (collectif We Report) ©

Ajouts au 26 août 2018 avec8Outre ce renvoi au billet de ce jour à propos du foulard. d’une part, cet extrait du journaliste Blaise Gauquelin, « Des Roms se mobilisent à travers l’Europe pour dénoncer le racisme », Le Monde le 13, p. 4 : « (…) Au mois de janvier, le gouvernement slovaque a présenté un plan de lutte contre la « criminalité rom ». Du pur « racisme institutionnel » émanant d’un ministère tenu pourtant par un parti social-démocrate (SMER-SD), selon le Centre européen pour les droits des Roms. (…) La Slovaquie entend aussi mettre en place un registre des délits commis spécifiquement au sein de cette communauté (…). « Mais cette loi ne passera pas (…) », assure un participant à la manifestation hongroise [qui] se félicite : « C’est plutôt nouveau de voir des Roms défiler dans toute l’Europe contre le racisme. Nous sommes en train de constituer un véritable réseau transnational » » (je souligne).

Un extrait, d’autre part, du sociologue Arthur Vuattoux (entretien avec, par Anaïs Moran), « Justice des mineurs : « Les garçons se retrouvent plus souvent en prison que les filles » », Libération.fr 23 août 2018 : il revient sur le « traitement judiciaire des adolescentes roms, appelées au tribunal « jeunes filles roumaines », alors qu’elles ne sont pas toutes roumaines ! Ces adolescentes, poursuivies à Paris pour des vols sur touristes, écopent régulièrement de peines de prison ferme. Un cas très rare pour des filles dans la justice des mineurs. En réalité, ces adolescentes ne correspondent pas à la figure que s’est forgée l’institution de la délinquance des mineures : elles ne veulent pas donner l’identité de leurs parents, certaines ont déjà des enfants… De fait, leur appartenance ethno-raciale et leur manière d’agir les font sortir, aux yeux des professionnels, de la catégorie « adolescente ». Elles sont dès lors jugées comme des adultes, ou tout au moins comme les délinquants garçons. Cela nous rappelle, d’un point de vue sociologique, l’importance d’étudier le genre sans oublier les enjeux de classe ou d’appartenance ethno-raciale ». D’un point de vue juridique, leur « vulnérabilité particulière (…) en ce qui concerne leur droit à l’éducation », a pu être soulignée par le CEDR devant le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CoEDEF ; v. page 792).

Ajout au 15 septembre 2018 (complété par cette brève vidéo le 31 décembre) : dans un texte publié cette année, Éric Fassin revient sur l’« hyper-représentation de la « question rom » dans l’espace public – et en même temps la non-représentation du traitement de ces populations par les pouvoirs publics » (« Politiques de la (non-) représentation », Sociétés & Représentations 2018/1, n° 45, p. 9, spéc. p. 12). En refusant d’analyser directement la décision du maire de Ris-Orangis comme une atteinte discriminatoire au droit à l’éducation, le jugement du 16 mars 2017 participe de « l’effacement » (p. 18) critiqué par le sociologue au plan médiatique. Il termine sa présentation du dossier coordonné avec Marta Segarra par la contribution « de la jeune juriste et militante Anina Ciuciu » (p. 26) ; cette dernière remarque notamment : lorsqu’elle a lieu, « la défense de nos droits est exercée en nos nom et place par des « experts », ce qui nous entretient dans une relation de dépen­dance : même avec nos alliés, c’est reproduire une structure de domination » (« Nous représenter », p. 107, spéc. p. 112).

Actualisation début août 2024, pour (enfin) citer CE Ord., 19 déc. 2018, Commune de Ris-Orangis, n° 408710 ; AJDA 2019, pp. 15 et 640, obs. Emmanuelle Maupin et concl. Sophie-Justine Lieber (qui me les avait très gentiment transmises, avant leur publication) ; AJCT 2019, p. 211, obs. Nelly Ferreira ; LIJMEN mai 2019, n° 206 ; CE, 8 déc. 2023, Commune de Ris-Orangis, n° 441979 ; LIJMEN mars 2024, n° 229

Transformation en notes de certaines parenthèses de ce billet le 29 septembre, en ajoutant deux références : BJCL 2024, comm. 4, concl. Raphaël Chambon, elles-mêmes mentionnées au seuil du commentaire de Cécile Chassagne, intitulé « Le maire et l’État coauteur de la décision de scolarisation », JCP A 2024, 2244 (en remerciant Denis Jouve pour me l’avoir signalé) : l’annotatrice revient tout d’abord sur « la répartition des compétences en matière éducative entre l’État et la commune », avant de noter qu’en l’espèce, l’« implication des services de l’État n’est pas contestable, ils ont bien participé à la réalisation de la décision du maire [en tant qu’exécutif de la collectivité (locale)] ». Elle remarque plus loin que « cette collaboration étroite a pu inciter le Conseil d’État à reconnaître une responsabilité in solidum de l’État et de la commune de Ris-Orangis ». Entretemps, elle rapproche à juste titre cette affaire et celle ayant conduit à un arrêt rendu par la première section de la Cour Européenne des Droits de l’Homme9CEDH, 5 juin 2008, Sampanis et a. c. Grèce, n° 32526/05 ; v. mes pp. 860-861, en notant cependant que la juridiction française « a choisi de ne pas se placer sur le terrain de la discrimination envers cette population, mais plutôt de considérer la rupture d’égalité entre les usagers du service public ».

Notes

1 RevDH 6 juin 2018, §§ 33 et s., spéc. 37 (je souligne).
2 TA Versailles, 16 mars 2017, M. et Mme M., n° 1300665 ; taper ce numéro de requête dans le pdf de ma thèse permet d’accéder directement à mes notes de bas de pages 870, 909 et 1132, n° 1472, 1717 et 3130
3 DDD, 14 avril 2017, https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/actualites/le-defenseur-des-droits-condamne-fermement-la-discrimination-subie-par-des-enfants (page indisponible au 29 sept. 2024) ; comparer Asefrr, ERRC, GISTI et LDH, « Classe spéciale « roms » de Ris Orangis : rupture d’égalité ou discrimination ethnique ? », communiqué du 2 mai 2017
4 Associations représentées par Me Lionel Crusoé, auteur de ce texte de 16 p.
5 Concernant cette association, v. aussi la note n° 1465 à propos de la « tension » soulignée par Eric Fassin dans « La « question rom » » (in E. Fassin, C. Fouteau, S. Guichard et A. Windels, Roms & riverains. Une politique municipale de la race, La Fabrique, 2014, p. 7, spéc. pp. 16-17) ; cet article est encore cité à propos de Romeurope, dont est issu le Collectif pour le droit des enfants roms à l’éducation (le CDERE, entrée qui conduit notamment à la page 1142), lequel a saisi plusieurs fois le DDD (pp. 1130 et s.).
6 Jacques Toubon, « La “réalité” est devenue une excuse », Délibérée févr. 2018/1, n° 3, p. 75, spéc. p. 77 (à propos d’injonctions prononcées cette année par le même TA de Versailles, v. ce billet).
7 Danièle Lochak (entretien avec, par Armelle Andro, Sarah Mazouz et Patrick Simon), « Défendre la liberté de circulation », Mouvements 2018/1, n° 93, p. 181, spéc. p. 194 : à la page précédente, la professeure, qui a été aussi vice-présidente de la Ligue des droits de l’Homme, revient sur « la première affaire du foulard, en 1989 [, en procédant à une comparaison intéressante des] réactions qu’elle a suscitées au sein de la LDH et au sein du Gisti », où « il n’a pas été possible, à l’époque, de dégager une position consensuelle » en soutien des élèves exclues.
8 Outre ce renvoi au billet de ce jour à propos du foulard.
9 CEDH, 5 juin 2008, Sampanis et a. c. Grèce, n° 32526/05 ; v. mes pp. 860-861

Nicole Fontaine (16 janv. 1942-17 mai 2018), l’enseignement catholique et la Charte des droits fondamentaux

Photo ajoutée le 9 nov. 2019 (fondationscelles.org 24 mai 2018)

Jean-Pierre Stroobants signale le décès de « Nicole Fontaine. Ancienne présidente du Parlement européen » (Le Monde 22 mai 2018, p. 15) ; il note qu’elle « connut trois vies. Une de responsable de l’enseignement catholique, une autre de ministre et une troisième, la plus importante sans doute à ses yeux, d’élue européenne. (…) Licenciée à 20 ans, diplômée ensuite de Sciences Po Paris, elle décroche en 1969 un doctorat d’Etat en droit public pour une thèse sur l’application de la loi Debré, qui avait institué le régime de ­contrats entre l’Etat et les établissements privés d’enseignement. Pendant vingt ans, elle sera la responsable des relations entre ces derniers et les pouvoirs publics. Son combat pour l’école catholique allait se poursuivre après l’élection de M. Mitterrand et la mobilisation contre le projet de loi Savary sur l’école privée, finalement retiré et jamais réintroduit. (…) Emmanuel Macron a salué, vendredi 18 mai, une femme « qui, pendant trente-cinq ans de sa vie, aura mené le combat de la construction européenne », dans la « grande tradition de la démocratie chrétienne » ».

Entrer son nom conduit à un certain nombre de résultats dans ma thèse ; en l’indiquant avec son prénom, à une dizaine : ils sont répartis entre les première et seconde partie, à propos de la liberté de l’enseignement et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (qui affirme le droit à l’éducation).

Service public et droit à l’éducation en Seine-Saint-Denis

« Seine-Saint-Denis : la faillite de l’Etat » ; tel est le titre d’un article de Louise Couvelaire dans  Le Monde d’hier (19 mai 2018, p. 10) : elle rend compte d’« un rapport d’évaluation de l’action de la puissance publique dans le département, qui sera présenté à l’Assemblée le 31 mai », par « les députés François Cornut-Gentille (Les Républicains, Haute-Marne) et Rodrigue Kokouendo (La République en marche, Seine-et-Marne) » ; il « dresse le portrait de « la République en échec » (c’est le titre) et pointent du doigt les failles de l’Etat, à la fois « inégalitaire et inadapté » (c’est leur sous-titre) tout en soulignant le « paradoxe » du 9-3. Ce rapport révèle une rupture d’égalité républicaine et décrit une mécanique dans laquelle les politiques spécifiques aux quartiers prioritaires sont mises en avant… alors même que les politiques de droit commun ne sont pas respectées et sont bien en deçà de celles mises en place dans le reste du pays ».

Il donne l’occasion d’évoquer la problématique des absences d’enseignant·e·s non remplacé·e·s, qui a conduit en 2012-2013 à la constitution d’un Collectif des parents citoyens de Seine-Saint-Denis (v. ma thèse, pp. 114-115, 174-175 et 184). Avocate en droit de l’éducation, Valérie Piau dispensait des conseils le 16 mars dernier, appuyés sur l’arrêt Giraud (v. pp. 176 et s.). Ces développements prennent place dans mon premier titre, consacré au service public de l’enseignement. Confirmant qu’il s’agit d’une référence alternative au droit à l’éducation, le Défenseur des droits revient sur sa décision du 9 novembre 2015 (n° MSP-2015-262) dans son Rapport annuel droits de l’enfant 2016 (Droit fondamental à l’éducation : une école pour tous, un droit pour chacun), nov. 2016, 151 p. (disponible en ligne), spéc. pp. 76-77

Ajout au 3 juin 2018, avec cette infographie de Mathilde Costil et Sylvie Gittus.

Ajout au 31 août, modifié le 21 septembre 2018 : au Journal officiel du Sénat du 23, p. 4334, se trouvait publiée la réponse du Ministère à une question écrite du sénateur Les Républicains Philippe Dallier (« Situation du système éducatif en Seine-Saint-Denis », n° 05664). En bref, il était assuré que des moyens sont mis en place pour « mieux prendre en compte les spécificités » du département. Dans Le Monde du 4 septembre, page 8, Mattea Battaglia notait la généralisation « des binômes d’enseignants stagiaires – ces jeunes qui viennent de décrocher le concours mais pour qui la titularisation n’interviendra qu’au terme de l’année scolaire – [dans ce] (…) département habitué à faire sa rentrée sous le feu des projecteurs » ; alors que « le Val-de-Marne voisin s’y met lui aussi, des voix se font entendre pour en déplorer le principe autant que les effets ». Violaine Morin indique quant à elle qu’en « 2019, 2 600 postes seront supprimés au collège et au lycée, et 1 900 créés dans le primaire », Le Monde.fr 19-20 sept. 2018 : « Sur la masse des 880 000 enseignants que compte le pays, ce chiffre paraît faible. Mais (…) [l]es académies les plus fragiles comme Créteil et Versailles – celles qui conjuguent une faible attractivité auprès des professeurs et une forte croissance démographique – risquent d’accuser le coup ».

Ajout au 25 octobre 2018 : alors que « de nombreuses voix s’interrogent, au sein de la communauté éducative, sur le devenir du [Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco)] », celui-ci a rendu public hier une « enquête portant sur les inégalités scolaires dans 874 collèges publics d’Ile-de-France » (« une école pauvre pour les quartiers pauvres », selon le titre retenu dans Le Monde de ce jour, p. 10). L’analyse de Mattea Battaglia est accompagnée d’un entretien avec la présidente du Cnesco, la sociologue Nathalie Mons, laquelle relève « un double défi pour la Seine-Saint-Denis : attirer mais surtout garder ses enseignants » (« Le défi dans les territoires paupérisés est de stabiliser des équipes », p. 11).

Ajout au 1er novembre 2018, à propos du livre signé par « deux pros de l’enquête » (Marwan Mohammed), à partir d’un texte du Bondy blog le 25 octobre, qui conforte dans l’idée qu’il n’y a là qu’un nouveau produit d’une stratégie éditoriale savamment dosée (« 0 % idéologie, 100 % faits »), en réalité bien à droite pour susciter des reprises (peu originales). Juste après un renvoi à un article de Sarah Smaïl le 8 – annonçant de nouveaux recours fondés sur le « service public » –, les journalistes Nassira El Moaddem et Faïza Zerouala remarquent que les « inégalités éducatives du département sont à peine évoquées » ; en ce jour férié catholique, je me limiterai pour ma part à rapprocher un extrait – celui relatif aux interdits alimentaires musulmans et aux « fêtes de l’Aïd » – avec ma page 347.

Ajout au 20 novembre 2018, spéc. à propos du premier paragraphe de ce billet.

Ajout au 28 décembre 2018 : ce département « mérite l’égalité » (« républicaine », devant le « service public ») ; telle est la revendication d’une campagne lancée, lundi 17 décembre, par « le président (PS) du conseil départemental, Stéphane Troussel », cependant qu’« Azzédine Taïbi, maire communiste (PCF) de Stains, Sylvine Thomassin, maire (PS) de Bondy, Mohamed Gnabaly, maire sans étiquette de L’Ile-Saint-Denis, et Laurent Russier, maire (PCF) de Saint-Denis, veulent engager la responsabilité de l’État devant le tribunal administratif de Montreuil ». Selon leur avocat, Arié Alimi, « les domaines de l’éducation, de la sécurité et de la justice » seront l’objet de cette action contentieuse (Louise Couvelaire, « Quatre maires de Seine-Saint-Denis attaquent l’État en justice », Le Monde 17 déc. 2018, p. 12). Le département « poursuit sa poussée démographique » ; elle est probablement sous-évaluée, selon Stéphane Troussel qui, le 20, proposa au vote le « budget de l’égalité » : « des droits », notamment, donc celui à l’éducation.

Ajout au 23 octobre 2019, en ajoutant deux renvois : d’une part à mes pp. 1217-1218 (en conclusion de mon dernier titre, L’utilité de l’affirmation du droit à l’éducation) ; d’autre part et surtout, sur l’actualité de la question, à mon troisième paragraphe ici.

Handicap, service public et (in)compétence du juge administratif

Situation de Montbrison sur Google Map (issue du site cheznous-immobilier.fr)

La revue de l’association lyonnaise de droit administratif signale un référé-liberté exercé par les parents de trois élèves en situation de handicap (TA Lyon Ord., 10 janv. 2018, M. et Mme V, n° 1800051, 1800052 et 1800053 ; Rev.jurisp. ALYODA 2018, n° 2, obs. A.-L. Sagon).

Les trois requêtes visaient à ce que la directrice de l’école privée Saint-Charles de Montbrison se voit ordonner la mise en œuvre intégrale de leur projet personnalisé de scolarisation (PPS), conformément à ce qu’avait décidé la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la Loire le 25 octobre 2016 (concernant Manon) et le 17 janvier 2017 (s’agissant d’Elise et Guillaume).

Le premier vice-président du tribunal administratif de Lyon rejette le recours. Si l’établissement « participe » au service public de l’enseignement, ces requêtes « relatives à l’organisation de la scolarité, qui ne procèdent pas de l’exercice d’une prérogative de puissance publique, ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative » (cons. 6 ; ordonnance de tri sur le fondement de l’article L. 522-3 du CJA).

La question de la situation des établissements privés sous contrat par rapport au service public est abordée dans la conclusion du titre 1, pp. 189 et s. Au seuil de ce titre, page 61, il est remarqué une tendance doctrinale consistant à aborder le ou les service(s) public(s) à partir de ceux industriels et commerciaux ; elle conduit ici à présenter l’ordonnance comme illustrant l’extension d’un « mouvement de restriction » les concernant. Anne-Laure Sagon la critique « en ce qu’elle fragilise l’exercice du droit fondamental à l’éducation ». Assurément, cette décision en tant que telle ne le renforce pas.

La position du juge judiciaire reste toutefois peu connue. Quant à celle du Conseil d’Etat, bien plus étudiée, elle est moins favorable que ne le donnent à voir les présentations les plus fréquentes des affaires Laruelle et Peyrilhe (pp. 1108 et s.), citées au terme des observations sous cette ordonnance. Il convient à cet égard de remarquer que ce « droit » était invoqué comme un « principe » fondamental. A minima, le juge des référés aurait pu préciser son visa – s’y trouve mentionnée la Convention, à propos d’un droit mentionné dans son premier protocole – et reformuler en termes de droit à, conformément aux discours du droit (pp. 1169 et s.).

Ajout de l’illustration au 29 décembre 2019.

« La laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience » ; et ensuite ?

Planche reprise du site ac-martinique.fr (2016)

En février, le rapport Clavreul était rendu public et faisait « polémique »[1]. Le 28, Valentine Zuber lui reprochait de mettre « en péril le droit à la liberté de croyance », au nombre des « libertés publiques les plus chèrement acquises » ; Roseline Letteron saluait quant à elle cette « pierre dans le jardin de l’Observatoire de la laïcité ».

L’ironie de cette dernière – concernant la piscine – rappelle celle dont faisait preuve Rémy Schwartz il y a près de vingt ans (pp. 432 à 434 de ma thèse, dans le titre consacré aux libertés publiques pour saisir le bienfait éducation). Selim Degirmenci a pour sa part proposé un commentaire critique[2]. En note n° 25, il est écrit : « Une recherche rapide des occurrences permet de voir que l’expression « principe de laïcité » apparait 3 fois dans le rapport, tandis que l’expression « la laïcité » apparaît elle près de 200 fois » ; le terme « liberté » bien moins et la formulation « droit à » jamais, est-il possible d’ajouter.

Commentant un autre texte remarqué, Jean Baubérot relève que le « « radicalisme irreligieux » ou « athée » » fait rarement l’objet d’investigations[3], avant de préciser en note n° 10 que tout se passe « comme si, en matière de laïcité, une démarche de connaissance n’existait pas et tout un chacun avait la science infuse ! »[4].

Il arrive aussi que des erreurs soient beaucoup trop répétées, y compris dans des textes qu’il appartient au vice-président du Conseil d’État d’assumer[5]. Cité à de nombreuses reprises par Jean-Marc Sauvé le 11 octobre 2017, Jean Baubérot l’est encore plus dans ma thèse, par exemple page 344 avec un rappel proche de celui employé pour titrer ce billet (à propos des cantines, abordées pp. 11-12 par Gilles Clavreul et dans son § 25 par Selim Degirmenci) ; cet intitulé est en réalité inspiré par une tribune d’un autre ancien membre de la Commission Stasi, Patrick Weil, publiée dans Le Monde de ce jour, page 19 : « La laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience ».

Dessin conduisant à la première vidéo de la web-série sur « la laïcité » de l’ONG Bibliothèques Sans Frontières, créée par Patrick Weil (mise en ligne le 1er déc. 2017)

En 2006, la Commission Machelon affirmait que c’était « d’abord (…) la liberté religieuse » (citée p. 369). Commençant par une référence à la « laïcité dite « ouverte » » et se terminant par une autre – moins attendue –, à « un droit naturel », le texte de l’historien et politologue se présente comme une réaction – dans un style assez nerveux – fondée sur « une lecture précise et informée de la loi de 1905 » ; destiné à « faire prévaloir partout cette liberté de conscience, l’article 31 » est mis en avant[6].

Cette liberté au sens de la loi de 1905, d’une part, prévaut-elle vraiment « partout » ? Outre ma page 476 où je présente cet article, je renvoie surtout à mes développements pp. 483 et s. Il est montré comment cette liberté a été redéfinie[7]en 2004. Des acteurs ont permis ce retournement (parmi eux, un certain… Patrick Weil ; v. not. pp. 485, 490 et 564), accepté avec beaucoup de facilité par le Conseil d’État (pp. 442 à 444, avec une citation de Pierre-Henri Prélot, « Définir juridiquement la laïcité », in Gérard Gonzalez (dir.), Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, 2006, p. 121, spéc. p. 124).

D’autre part, puisque le principe de laïcité est depuis lors, en droit et « d’abord », un motif de restriction de la liberté de conscience, qu’en est-il ensuite ? Certes, il reste possible de s’en tenir à la justification admise par les juridictions, françaises et européennes, selon laquelle ces restrictions sont commandées par la liberté (de conscience) d’autrui. Mais s’y intéresser à partir d’autres droits et libertés amène à renverser la perspective : exclure un·e élève de l’école, c’est d’abord porter atteinte à son droit à l’éducation[8].

De la même manière, empêcher une femme de travailler avec un foulard mériterait d’être analysé comme une ingérence dans son « droit d’obtenir un emploi » (alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946 ; à propos de l’alinéa 13, v. mon portrait d’André Philip in fine) ou « de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée », avant d’être considérée comme une atteinte à sa liberté « de pensée, de conscience et de religion » (articles 15 et 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[9]).

Couverture de la revue Constitutions ; publié le 24 mai 2017, soit l’été dernier, un entretien avec Jean-Éric Schoettl, « La laïcité en questions », n° 1, pp. 19 et s., avec in fine la critique de son « invocation brouillonne, parfois même dans des enceintes réputées sérieuses ».

Publié cette fois dans une revue spécialisée, un autre texte se rapproche de la tribune précitée par leur prétention commune affichée : clarifier les choses, sans y parvenir dès qu’il est question de l’école (publique, celle privée – essentiellement catholique – faisant le plus souvent l’objet d’un silence pudique ; v. mes conclusions de chapitres précitées, pp. 521 à 523 et 609-610). Dans cet entretien (v. ci-contre), Jean-Éric Schoettl y évoque les « tenants d’une laïcité dite « ouverte » [procédant à un] retournement de sens de la loi [qui] contredit l’esprit d’un texte dont l’objet est de régler les rapports entre la République et les cultes non en instituant des « droits créances » dans le chef des croyants ».

Sur ce point, je ne suis pas en désaccord fondamental mais je n’emploie pas et plus, pour ma part, ces expressions qui relèvent du discours sur le droit et m’apparaissent piégées. L’auteur évoque « le tracé d’une « ligne rouge » aisée à comprendre, simple à contrôler et effectivement sanctionnée (prohibition de la dissimulation du visage dans l’espace public, interdiction des signes religieux à l’école) » ; comme si les bandanas et les jupes longues étaient incontestablement des « signes religieux »… (v. pp. 452 et s.).

S’il se réfère à deux reprises à la « barrière des droits », la jurisprudence de la Cour n’est envisagée que par rapport à « l’article 9 de la Convention ». Au-delà du « noyau juridique, si dense soit-il », existerait un « pacte de non ostentation » (ou « de discrétion »). Il précise qu’il a en tête, si l’on peut dire, le « niqab » (donc pas « le seul port du voile (s’il demeure discret) », pour reprendre une formule qu’il emploie plus loin, pour envisager une solution à propos des sorties scolaires). Et d’évoquer la jurisprudence relative au « burkini », la plus récente étant européenne et scolaire (CEDH, 10 janv. 2017, Osmanoğlu et Kocabaş c. Suisse, n° 29086/12 ; v. mes pp. 1209-1210).

À propos des crèches de Noël, il décèle « une casuistique subtile, comme dans la jurisprudence sur le voile à l’école à la fin du siècle dernier » ; également évoquée au terme de l’entretien, elle l’était à mon avis bien moins (même si elle avait aussi ses défauts ; l’un d’entre eux est précisément de n’avoir été fondée que sur la liberté de conscience, et non sur le droit à l’éducation : v. supra). Avec l’auteur et plus encore au regard de décisions plus récentes (v. ce billet), il convient aussi de « se demander si le Conseil d’État n’aurait pas mieux fait d’appliquer strictement les termes clairs de l’article 28 de la loi de 1905 ».


[1] v. Cécile Chambraud, Le Monde 24 févr. 2018, p. 14, le titre le présentant comme « plaid[ant] pour une laïcité renforcée »

[2] Selim Degirmenci, « Le rapport Clavreul ou les errements d’un certain discours sur la laïcité », La Revue des Droits de l’Homme ADL 27 mars 2018

[3] Jean Baubérot, « L’ouvrage « La tentation radicale » d’O. Galland et d’A. Muxel : une enquête défectueuse », 10 avr. 2018, précisant publier ce billet avant d’avoir pris connaissance du discours du président au collège des Bernardins.

[4] Ibid. « Employer le même terme de « radicalisation » pour la laïcité et le fanatisme religieux est blessant pour les défenseurs de la laïcité », estime pour sa part le philosophe Henri Peña-Ruiz, « Si M. Macron privilégie une religion, il bafoue la laïcité », Le Monde 12 avr. 2018, p. 22

[5] V. ainsi les textes de Jean-Marc Sauvé, écrits « en collaboration avec » Sarah Houllier : « Liberté de conscience et liberté religieuse en droit public français », 11 oct. 2017, et « Audition par l’Observatoire de la laïcité », 10 avr. 2018, avant les appels de notes n° 74 et 52 ; l’erreur du Conseil d’État – relevée page 447 de ma thèse – se trouve aggravée puisqu’il est cette fois affirmé que la CEDH aurait, dès cet arrêt Dogru de 2008, déclaré la loi de 2004 « conforme à l’article 9 de la Convention » européenne (v. aussi pp. 448, 425, 434, 843 et – à propos de la décision Karaduman également citée, une fois encore prêtée à tort à la Cour –, 441-442).

[6] V. déjà, implicitement l’entretien accordé par Patrick Weil à Stéphane Bou et Lucas Bretonnier, « Il y a un abîme de méconnaissance sur la laïcité », Marianne 2 mars 2018, n° 1094, pp. 38, 39 et 40 : « M. Clavreul ne connaît pas cette disposition de la loi de 1905, pas plus que les ministres qu’il a servis. Ils n’ont donc jamais songé à la faire appliquer ».

[7] Terme qui conduit aussi à mes pp. 618 et 1211, respectivement dans la conclusion de ma première partie et non loin de celle de la seconde, en évoquant un rendez-vous manqué du droit à l’éducation et du principe de laïcité, dès 1992.

[8] V. mon introduction p. 26 ; ce droit de l’enfant peut justifier la restriction de la liberté religieuse de ses parents : v. ainsi ma page 1208, à partir de la jurisprudence de la CEDH, étudiée pp. 821 et s.

[9] V. ma note de bas de page 975, n° 2137, concernant les arrêts rendus par la Cour de justice le 14 mars 2017.

Laïcité à l’école – Dessin d’Azam, repris du blog argoul.com (2016)

Ajout au 30 mai 2018 : dans un entretien publié hier par L’Express.fr, Jean-Michel Blanquer « parle cash » : « La laïcité est la laïcité »… Interrogé sur la « multiplication des écoles confessionnelles catholiques, juives, musulmanes », il répond que… « la France a plusieurs principes constitutionnels à considérer, dont la liberté d’enseignement » (v. mon chapitre 3, pp. 525 et s., spéc. 562 à 570 et 575 à 588 ; pour contextualiser et revenir sur la constitutionnalisation de cette liberté, pp. 201 et s., spéc. 258 à 273).

Ajout au 28 juillet 2018, avec ce billet, en réaction (délibérément retardée) à François Cormier-Bouligeon, « Faire vivre la liberté de conscience », L’express.fr 16 mai 2018, le député du Cher ayant précisé sa place dans l’hémicycle : « le siège n° 300 qui est celui que Jean Zay a occupé ».

Ajouts au 15 octobre 2018, d’abord avec une chronique sous un arrêt récent (v. ce billet, avec in fine une première réaction à ce texte publié lundi dernier à l’AJDA), Charline Nicolas et Yannick Faure tiennent à « rappeler que l’histoire de la laïcité n’est pas seulement une histoire de l’État et des religions, mais une histoire de la liberté de conscience » (p. 1884, spéc. 1887) ; les responsables du centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d’État croient alors pouvoir s’appuyer sur l’une des contributions à son Rapport public 2004, intitulée « Pour une véritable culture laïque », p. 336.

Émile Poulat, « Il y a la laïcité dans les têtes et la laïcité dans les textes », meltingbook.com 9 déc. 2017 ; portant la contradiction à Laurent Bouvet, Jean Baubérot a pu relever le contresens du rapport Clavreul (févr. 2018, page 6, précisant emprunter la référence à Denis Maillard), franceculture.fr 6 mars 2018

Au-delà de l’erreur de pagination, Émile Poulat n’est plus là pour réagir ; s’il affirmait effectivement que « la question laïque ne se réduit pas à la question religieuse », c’était après avoir déploré « une inculture laïque généralisée qui va de pair avec une inculture religieuse souvent dénoncée » (p. 445, spéc. pp. 447 et 446). Plus loin, surtout, il ajoutait : « Notre expression « liberté de conscience » est fortement codée et susceptible de bien des sens » ; « ce qui fait la substance de notre laïcité : un espace public ouvert à tous, sans exclusion » (p. 450 ; italiques de ce « pionnier dans l’étude de la laïcité » (v. ci-contre), selon la formule de Jean Baubérot. V. les pages précitées, en particulier mes conclusions de chapitres). Page suivante, il terminait en renvoyant à son ouvrage Notre laïcité publique (v. mon introduction, p. 45 ; v. aussi la note de bas de page 21, n° 29).

Ensuite, dans le prolongement de son entretien du 29 mai (v. supra), Jean-Michel Blanquer a indiqué jeudi dernier qu’en matière de laïcité, « 402 cas ont été traités, entre avril et juin, par les équipes dédiées des rectorats » (cité par Mattea Battaglia, « Quand l’éducation nationale se confronte aux atteintes à la laïcité », Le Monde 13 oct., p. 10) ; « des tenues vestimentaires qui posent question », ainsi commence l’énumération des « atteintes » mentionnées par le ministre, selon la journaliste (pour s’en tenir à commenter ce seul point, qui suffit à attester des bégaiements de l’institution, v. mes pp. 458-459).

Enfin, je signale le dossier intitulé « Situations de la laïcité », publié dans numéro 4 de la Revue française de droit administratif (RFDA), pp. 613 et s. Mathilde Philip-Gay écrit : « Entre 1989 et 2004, en dépit de la cohérence de l’avis du Conseil d’État, les chefs d’établissement ont rencontré des difficultés d’interprétation de l’ostentatoire » ; si « le législateur a préféré le critère de l’ostensible » qui, selon elle, « facilitait le respect de l’article 9 de la Convention », elle propose l’« abandon explicite de toute référence à l’ostentatoire dans le contentieux administratif », en particulier « pour évaluer les signes placés par des personnes morales de droit public » (« L’ostentatoire dans l’application du principe de laïcité », p. 613 ; je souligne). Ils sont l’objet de l’étude qui suit (Mathilde Heitzmann-Patin, « Entre crèches et croix : à la recherche d’une cohérence dans l’application de la loi de 1905 », p. 624) ; la contribution de Victor Guset (« Les aumôniers entre les Églises et l’État », p. 639), si elle s’intéresse surtout à l’actualité de la question en milieux pénitentiaire, hospitalier et militaire, me donne l’occasion de renvoyer à mes développements sur les aumôneries dans l’enseignement du second degré, à partir de l’article 2 alinéa 2 de la loi du 9 décembre 1905 (pp. 334 et s.).

Ajout au 29 septembre 2019 : d’une part pour signaler cet article de Cécile Chambraud, « La mémoire retrouvée du diocèse de Pontoise » (en version papier dans Le Monde de demain, p. 11), montrant « que l’autorité ecclésiastique avait été alertée à plusieurs reprises, à la fin des années 1960, sur les « comportements inquiétants » de l’aumônier catholique du lycée public d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise) envers des collégiennes et lycéennes » ; d’autre part pour renvoyer à mon billet de ce jour, à l’occasion duquel j’ai :

  • inséré les illustrations et notes de bas de page qui précèdent,
  • légèrement modifié le texte, pour l’alléger et,
  • repris surtout les références au prétendu « communautarisme ».

(le droit à) « l’éducation à la sexualité »

« Lutter contre le harcèlement de rue est un objectif louable mais ne relève-t-il pas davantage de l’éducation, de la sensibilisation (…) ? ». Ainsi s’interrogeait la professeure de droit pénal Audrey Darsonville, fin 2017 (« Appliquons la loi sur les violences sexuelles », Libération.fr 19 nov.).

Vernor Muñoz Villalobos (rapporteur spécial sur le droit à l’éducation, 2004-2010), escuela.entreculturas.org 2020 ; le citant en 2014, au nom de l’ONG Plan International, v. ma thèse, 2017, p. 792

A peu près au même moment était rendu public le Rapport annuel droits de l’enfant 2017 (Au miroir de la Convention internationale des droits de l’enfant), nov. 2017, 119 p. ; « l’éducation à la sexualité » retenait « particulièrement » l’attention de Jacques Toubon et Geneviève Avenard (« Editorial », p. 2, spéc. p. 3), justifiant d’avoir consacré à sa « mise en œuvre » la partie 3 du texte (pp. 90 et s.). Il est cependant remarquable que le Défenseur des droits (DDD) et son adjointe ne l’abordent pas comme tel (comparer l’intitulé de la partie 2, à propos de celle du « droit à la santé », pp. 42 et s.).

Page 91, le lien est pourtant établi avec le droit à l’éducation, en citant le dernier rapport du premier successeur de Katarina Tomaševski, Vernor Muñoz Villalobos ; s’il est possible de l’interpréter comme une victoire posthume de Paul Robin et Madeleine Pelletier (v. les pages signalées à son propos dans ce billet), l’écho de ce texte onusien de 2010 reste très limité : le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) le citait, en 2016, mais en publiant les résultats d’une enquête soulignant surtout les insuffisances de cette éducation à la sexualité en France.

Établissement d’enseignement secondaire Georges-Pompidou, ville-claix.fr, cité en exemple ci-contre, en renvoyant à Laurence Communal, « Éducation à la sexualité dans les collèges en France : la place du genre », La santé en action sept. 2017, n° 441, 51 p. (spéc. pp. 26-27)

Si certaines expériences sont saluées par le DDD (v. ci-contre), l’approche a lieu de manière « encore trop sanitaire » et sans « généralement » aborder le concept de genre : « L’éducation à la sexualité devrait permettre, au-delà du rappel du cadre pénal qui borne les relations interpersonnelles et la condition du consentement, de questionner les normes sociales entourant la sexualité » (pp. 100-101).

Dans l’un de ses derniers entretiens (avec Annick Cojean), Françoise Héritier déclarait qu’« il faut que l’école y aille fort si l’on veut contrer ce qu’entendent les enfants à la télévision, dans la rue, la pub, les BD, les jeux vidéo et même à la maison » (« Il faut anéantir l’idée d’un désir masculin irrépressible », Le Monde.fr 5 nov. ; dans le même sens, Maryse Jaspard (entretien avec, par Anaïs Moran), « Il faut lutter contre les pseudo-valeurs masculines liées à la virilité », Libération.fr 26 oct.). Loin du « nouveau paradigme » également appelé de ses vœux par l’historien Claude Lelièvre (v. son billet du 27 nov.), le ministre de l’Education nationale articule sa réponse en termes de « lire, écrire, compter et respecter autrui » (« Stéréotypes sexistes : Blanquer contre Macron ? », Le Café Pédagogique 1er déc.)…

D’un point de vue juridique, le Comité européen des droits sociaux a, dans une décision Interights contre Croatie du 30 mars 2009, procédé à une consécration habile du « droit à l’éducation sexuelle et génésique » pour sanctionner des stéréotypes homophobes (ma thèse, pp. 893 et s.). Outre la mobilisation du concept de genre par les comités onusiens (pp. 790 et s.), mes développements pour un droit à l’éducation « inclusive sensible au genre » figurent pp. 1066 et s. (spéc. 1078 à partir de la thèse de sociologie d’Élise Devieilhe, sur la France et la Suède ; v. aussi la conclusion de ma seconde partie, pp. 1221 et s., spéc. p. 1223). Cette question révèle l’utilité de ce droit par rapport à la référence alternative à la liberté de conscience (à propos des établissements privés sous contrat, v. pp. 596-597 ; 1194-1195 surtout, en citant Stéphanie Hennette Vauchez dans l’une des chroniques du projet REGINE – v. ci-dessous).

regine.u-paris10.fr

Le 18 janvier, la Cour européenne a communiqué sa décision d’irrecevabilité A.R. et L.R. contre Suisse, n° 22338/15 : une mère avait sollicité une dispense des leçons prévues à l’école primaire pour sa fille, sur la base d’un texte prévoyant une participation « obligatoire, car tous les enfants et adolescents ont droit à une éducation sexuelle » (reproduit au § 17) ; à la requérante qui contestait l’existence d’un « but légitime dans la présente affaire », pour « des enfants âgés de 4 à 8 ans », se trouve opposée la « protection » de leur « santé physique et morale » : elle justifie « la prévention des violences et de l’exploitation sexuelles » par l’éducation, dans l’« intérêt » de la société (§§ 34 et 35).

La Cour s’inscrit ensuite dans la continuité de son arrêt Osmanoğlu et Kocabaş (v. le § 38), rendu un an plus tôt à propos de cours de natation (v. mes pp. 1209-1210) ; parce que « convaincue que les leçons d’éducation sexuelle en cause ne poursuivaient pas un but d’endoctrinement des enfants », elle conclut que « les autorités suisses ont respecté la marge d’appréciation qui leur est reconnue par la Convention » (§§ 42 et 46 pour l’article 8 sur la « vie privée et familiale », et 49 pour le suivant relatif à « la liberté de pensée, de conscience et de religion »).

Françoise Vouillot, membre du HCE, de 2015 à 2019, haut-conseil-egalite.gouv.fr

Cette marge d’appréciation, la France pourrait l’utiliser ; au lieu de cela, un article publié le même jour par Isabelle Dautresme fait apparaître en France des « enseignants peu formés à l’égalité » (Le Monde Universités et Grandes écoles 18 janv.) : la journaliste de citer Françoise Vouillot, regrettant l’absence de priorité donnée à ce « combat » (v. aussi son entretien avec et par Agathe Charnet, « Déconstruire ce système de genre », Ibid.), qui contraste avec l’attention prêtée à « la » laïcité.

Au terme d’un article publié à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes (« L’éducation, clé de la lutte contre le sexisme », Le Monde 8 mars 2018, p. 14), Gaëlle Dupont citait la sociologue Sylvie Ayral ; l’autrice de La Fabrique des garçons relevait « une immense panique morale de la société (…) liée à la peur de l’homosexualité » (v. aussi Irène Pereira, « Prendre en compte les questions LGBTQI* à l’école », Nonfiction.fr 6 mars). Quelques jours plus tard, les journalistes Guillaume Lecaplain et Anaïs Moran publiaient une enquête « sur le sexisme érigé en système au sein des classes préparatoires militaires par un puissant groupe d’élèves : les « tradis » » (« Lycée Saint-Cyr : une machine à broyer les femmes », Libération.fr 22 mars).

Causette 29 sept. 2020, dévoilant la couverture de son numéro d’oct., n° 115

Dans un autre entretien avec Annick Cojean, fin 2017, Laure Adler rappelait faire « partie d’une génération qui n’a fréquenté que des lycées de filles, qui se faisaient virer pour une blouse trop courte ou trop échancrée » (« L’affaire Weinstein, une révolution ! », Le Monde des Livres 1er déc.). Venant renouveler une actualité évoquée dans mon introduction (en note de bas de page 53, n° 238), Claire Courbet revient dans un article récent sur ces pratiques administratives qui, curieusement, ne concernent que les filles (Le Monde.fr 23-24 avr.).

Ajout au 12 mai 2018, avec cet arrêté du 4 relatif au prix de la pension et du trousseau des élèves des maisons d’éducation de la Légion d’honneur, JORF n° 0108 : l’article 1er du décret n° 55-1202 du 9 septembre 1955 vise bien les « élèves admises » dans ces maisons ; et pour cause, elles sont toujours non mixtes (pp. 68, 999 et 1000) – comme certaines séances d’EPS ou d’éducation à la sexualité, ou comme le sont les établissements pénitentiaires, notamment pour mineurs (EPM, à propos desquels v. ce billet) –, et c’est bien au concert annuel de ces « demoiselles » que « le président de la République » a assisté, « comme François Mitterrand aimait à le faire avant lui » (Bastien Bonnefous et Solenn de Royer, « Macron sur la voie royale », Le Monde 7 mai 2018, p. 20).

Visuel federation-lgbt.org, en 2012

Ajout au 7 juin 2018 : quelques semaines après la « Journée mondiale de lutte contre l’homophobie et transphobie » (le 17 mai), Arnaud Alessandrin revient sur les recherches récentes consacrées à la (non-)prise en compte de l’expérience transidentitaire à l’école (« Mineurs trans à l’école : épreuves et solutions », Libération.fr ; est exprimé le souci de « les protéger des discriminations »). Du point de vue du droit étudié, la question de « l’inclusion des personnes LGBT dans le milieu scolaire » (selon une formule du commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe) est abordée dans ma thèse pp. 1070 et s.

Ajout au 1er septembre 2018 : après de nombreux exercices de fact-checking (v. Le Monde.fr 16 août ; 17-18 [pour le rapport de l’OMS, v. ma note de bas de page 1069, n° 2688] ; 28 ; 29 ; Claude Lelièvre le 17), Jean-Michel Blanquer fait sa rentrée (entretien avec, par Mattea Battaglia, Nathalie Brafman et Violaine Morin), « Aller à la racine des inégalités sociales », Le Monde 1er sept., p. 8 : « Concernant l’éducation à la sexualité », chaque affirmation est à comparer avec ce qui précède, dès celle d’un respect de « la loi qui veut que trois séquences par an et par niveau soient organisées. L’école agit dans le plus grand respect des consciences ; il n’est pas question d’une éducation sexuelle explicite à l’école primaire, ou de transmettre des connaissances prématurées, mais d’insister sur les notions de respect d’autrui, de connaissance de son corps. L’enfance et la pudeur propre à l’enfance sont respectées. L’interdiction du portable, qui entre en vigueur cette année, participe de cette logique : elle vise entre autres à freiner l’accès des plus jeunes à la pornographie. Je recevrai très prochainement les associations familiales et de parents d’élèves pour éviter toute ambiguïté ».

Ajouts au 30 septembre 2018 : en réaction aux déclarations du pape François, Sylvie Chaperon rappelle que s’« accepter homosexuel reste douloureux pour beaucoup d’adolescents, dont le taux de suicide est supérieur à la moyenne » (« Le Vatican semble renouer avec une sombre histoire », Le Monde le 11, p. 22 ; v. mes pp. 1071-1072) ; le lendemain, le quotidien publie l’enquête de Mattea Battaglia, et Adrien Sénécat (« Education sexuelle à l’école : le retour des rumeurs », Ibid. le 12, p. 12 ; v. aussi Catherine Mallaval et Virginie Ballet, « La sexualité, une question d’éducation », Libération.fr le 13).

L’éducation intégrale est le titre que prendra un temps le Bulletin publié par l’orphelinat Prévost ; illustration empruntée à Bernard Vassor, blogspirit.com 26 nov. 2007

Force est de constater que, dans l’espace public devenu virtuel, certains « contre-publics subalternes sont hélas explicitement anti-démocratiques et anti-égalitaires » (Nancy Fraser, citée par Éric Fassin, « L’irruption des contre-publics », AOC 13-14 févr., à partir de son appel à « repenser l’espace public »). Dans son instructive chronique vidéo, Mathilde Larrère incite à relativiser la nouveauté de cette panique morale (ASI le 14). Plus proche de nous, le nom de Paul Robin peut être à nouveau mentionné (v. supra) ; anticipant la mixité de l’enseignement public, il avait en quelque sorte connu son épisode des « ABCD de l’égalité » (pp. 696 et s., spéc. 699-700, renvoyant à 1074 et s).

Enfin, dix jours avant cette publication au BOEN du 20 (n° 34), cette tribune « Pour l’arrêt des mutilations des enfants intersexes » (Libération.fr le 10) ; « A l’instar de l’homosexualité, l’intersexuation n’a pas à être soignée : c’est à la société d’accepter sa propre diversité ».

Ajout au 5 novembre 2018, pour signaler mon billet sur le Brésil.

Illustrations ajoutées le 7 oct. 2020