« Pourquoi l’obligation d’activité est-elle si mal partagée ? ». Ainsi s’interrogeait récemment Jean-René Lecerf, dans une tribune intitulée « Un recyclage d’idées anciennes qui oublie la maladie mentale » (Le Monde 9 mars 2018, p. 18), en réaction à des annonces d’Emmanuel Macron. Trois jours plus tôt, dans son discours à l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire (ENAP) d’Agen, le 6, le Président de la République rappelait quelques chiffres à partir d’une « enquête conduite fin 2016 », en laissant entendre que la France aurait été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) sur ce point ; v. toutefois ma thèse, pp. 866 et 978 et s.
Il mentionnait les « droits des détenus » dans un paragraphe distinct, sans viser alors celui à l’éducation ou à la « formation » qui, a-t-il affirmé plus loin, « doit également être offerte (sic) aux condamnés » ; certes, il ajoutait immédiatement : « qui ne peuvent pas être laissés à l’écart des dispositifs de droit commun », mais l’absence de référence au droit à l’éducation lorsqu’il s’agit d’énumérer les « droits de ces individus » est significative, comme l’est aussi la mention du « droit du travail » à ce titre (comparer la page 1135, à propos du CGLPL).
Dans un arrêt du 17 janvier 2017, Jankovskis contre Lituanie, n° 21575/08, la CEDH condamnait ce pays sur le fondement de l’article 10 de la Convention (et non du droit à l’éducation, à propos duquel les parties s’opposaient : v. les §§ 17 et 46), pour avoir refusé à un détenu l’accès à internet ; le résumé en français, rédigé par le greffe et qui ne lie pas la Cour, n’évoque que la « liberté de recevoir (…) des informations » prévue par cet article relatif à celle d’expression. Cette affaire peut être rapprochée d’une autre devant le Conseil d’Etat, à propos de laquelle je cite des conclusions ambigües page 1114.
Dans un article intitulé « Les centres éducatifs fermés critiqués » (Le Monde 29 mars 2018, p. 13), Jean-Baptiste Jacquin indique que la ministre de la justice Nicole Belloubet, « qui prépare actuellement une grande loi de programmation de la justice, prévoit de ne créer que vingt CEF, contre la cinquantaine envisagée, pour porter leur nombre à soixante-treize ». Il signale cependant l’Avis sur la privation de liberté des mineurs, adopté par la CNCDH le 27 mars (72 p.) et dont la recommandation n° 4 est « de ne pas [les] ouvrir (…) si le fonctionnement prévu est le même que celui des CEF déjà existant ». Elle préconise au contraire de les transformer en « centres éducatifs » et de créer vingt « nouveaux établissements ouverts à pédagogie diversifiée », au moins (p. 43).
Qualifié d’« inquiétant », l’« état des lieux » de l’institution commence par l’« augmentation inégale de l’enfermement des mineurs en quartiers des mineurs (QM) et en établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) » (pp. 7-8 et s.), avant d’aborder celle « significative [en CEF] et en centres de rétention administrative (CRA) » (pp. 16 et s.). Des développements sont consacrés entretemps à la « discrimination envers les filles mineures privées de liberté » (pp. 12-13).
En « Annexes », pp. 46 et s., figurent des comptes rendus de visite, telle celle du centre pénitentiaire de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), le 2 février : page 62, il est noté que le « temps d’activités s’est amélioré depuis la création du QM » ; alors que « la plupart de ces mineurs éta[i]ent déscolarisés avant leur incarcération », certains « ne bénéficient que de très peu d’heures d’enseignement », ce malgré « l’objectif » – qui est un devoir – de « respecter le droit à l’instruction et à la formation ».
Page 57, à propos du centre éducatif fermé « Les cèdres » de Marseille (Bouches-du-Rhône), la « CNCDH déplore le peu de temps de scolarité ». Citant sa présidente, Christine Lazerges, Jean-Baptiste Jacquin explique que, saisie de la situation des « mineurs », elle a estimé « que s’en tenir à la prison stricto sensu était réducteur », d’où la référence à la privation de liberté.
Ajout au 30 septembre 2018, avec des extraits de ce communiqué de presse de la mission d’information sur la réinsertion des mineurs enfermés, daté du 27 : dans le rapport qu’elle vient d’adopter, elle demande notamment : « que le suivi socio-éducatif des détenus dans les quartiers pour mineurs se rapproche rapidement de celui assuré en EPM », en attendant qu’ils viennent les remplacer ; « une revalorisation du métier d’éducateur en CEF », en insistant « sur la nécessité de ne pas concentrer tous les moyens budgétaires sur l’ouverture de nouveaux centres ».
Ajout au 3 octobre 2018, le rapport de Catherine Troendlé, Michel Amiel et alii étant en ligne, pour remarquer l’absence de mention du droit à l’éducation tant concernant les EPM et QPM (pp. 29-33, 82 et 90, évoquant la « continuité du service public de l’enseignement en prison » ; à propos de la décision 2002-461 DC, v. ma thèse pp. 1098-1099) que s’agissant des CEF (pp. 101-102 et 128 à 132, en se référant à « l’obligation scolaire » ; tout juste est-il fait référence page suivante au « droit au retour en formation initiale sous statut scolaire », à propos duquel v. ma page 1021) ; mais le « droit à l’oubli » (p. 30), lui, n’est pas oublié…
Ajout au 12 novembre 2018, avec deux extraits d’une note sous CE, 6 juin 2018, n° 410985, publiée à l’AJDA du 22 oct., p. 2023 ; Frédéric Sédat termine sur « la délicate question de l’urgence », après avoir fait observer que « le respect de la motivation apparaît bien moins contraignant pour l’administration que celui d’une procédure contradictoire ». Il note auparavant que cette décision résulte d’un « second pourvoi devant le Conseil d’Etat », suite à celle dite par ce dernier « n° 383712 du 9 novembre 20[1]5 » et à l’arrêt n° 15NT06504 de la cour administrative d’appel de Nantes (rendu le 7 décembre 2016, il n’est pas référencé sur legifrance [précision au 24 juin 2019 : si, mais sous le n° 15NT03504 : il n’était pas directement répondu à l’invocation d’une « atteinte au droit au travail et à l’instruction », référence qui disparaît dans l’arrêt du CE]). Elle est là encore moins intéressante, de mon point de vue, qu’une affirmation de « Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public » : dans le prolongement de ses précédentes conclusions et selon la citation de l’annotateur, « les mesures administratives de retenue du matériel [informatique] (…) « dégradent les conditions de détention de la personne détenue y compris au regard de son droit à la formation professionnelle » » (pp. 2027 et 2025 ; comparer la page 1114 de ma thèse – déjà signalée dans ce billet supra –, ainsi que mon introduction, page 32).
Ajout au 23 novembre 2018, avec ce rappel de Jean-Baptiste Jacquin : « La plupart des jeunes placés en CEF, considéré dans l’échelle des sanctions judiciaires pour les mineurs comme la dernière solution avant la prison, sont déscolarisés » (« L’important est de toujours garder espoir dans ces jeunes », Le Monde le 24, p. 14, citant Jean-Marc Vermillard, directeur territorial de la protection judiciaire de la jeunesse) ; le journaliste de citer un « jeune Breton de 15 ans », séjournant « depuis cinq mois » à Saint-Denis-le-Thiboult (Seine-Maritime) : « C’est pour affiner mon projet : pouvoir retourner à l’école ».