Quand François Bayrou était ministre de l’Éducation

Lors de la passation de pouvoirs avec Michel Barnier, François Bayrou a déclaré : « Je n’ignore rien de l’Himalaya qui se dresse devant nous »1Romain David, « Passation de pouvoir : “Je n’ignore rien de l’Himalaya qui se dresse devant nous”, affirme François Bayrou », publicsenat.fr 13 déc. 2024 ; l’avenir étant plus qu’incertain, ce bref billet consistera en quelques descentes en rappel à propos du nouveau premier ministre.

« Nommé par Édouard Balladur Ministre de l’Éducation nationale à l’âge de 42 ans, François Bayrou est resté rue de Grenelle de 1993 à 1997 »2Djéhanne Gani, « Qu’attendre de François Bayrou, professeur de Lettres et ancien ministre de l’Éducation nationale pour l’École ? », cafepedagogique.net 14 déc. 2024 ; v. aussi le billet publié sur le même site le même jour, « Le passif du passé à l’Éducation nationale de François Bayrou » : l’historien Claude Lelièvre précise qu’il « a été “ministre de l’Éducation nationale” du 30 mars 1993 au 11 mai 1995 (François Fillon étant dans le même temps “ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche”) », puis « “ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche” du 18 mai 1995 au 2 juin 1997 ». : c’est beaucoup plus que les trois mois et huit jours de son prédécesseur à Matignon3Le 5 décembre, trois mois après sa nomination, « Michel Barnier [démissionnait et] deux de ses possibles successeurs participaient au même colloque à l’Institut catholique de Paris », consacré à « la place de Marc Sangnier dans leur engagement politique » (Valdemar de Vaux, « François Bayrou Premier ministre : un démocrate-chrétien opposé à la loi sur la fin de vie », aleteia.org 15 déc. 2024 ; Nicolas Berrod, « “Je ne suis pas un futur, mais un ancien Premier ministre” : quand Cazeneuve et Bayrou plaisantent en colloque », leparisien.fr le 5).. Désigné comme lui à 73 ans, son expérience politique apparaît de ce fait davantage significative pour qui s’intéresse au droit des laïcités scolaires4S’agissant de Michel Barnier, v. mon billet du 29 septembre dernier, spécialement mes (appels de) notes 10 à 12, renvoyant à l’unique mention de l’intéressé dans ma thèse (2017)..

Capture d’écran du site shs.cairn.info (l’auteur précise en note emprunter en sous-titre « la formule à l’un des slogans affichés lors de la manifestation laïque du dimanche 16 janvier 1994 entre la place de l’Opéra et la place de la Nation »)

En 2017, le mot-clé « Bayrou » revenait près de trente fois dans ma thèse, à propos de deux lois votées un 15 mars, en 1850 et 2004 : « En 1994, le juge constitutionnel s’oppose à la loi dite de Révision de la loi Falloux ; dix ans plus tard il accompagne celle du principe de laïcité en droit français »5Le droit à l’éducation. L’émergence d’un discours dans le contexte des laïcités françaises, UGA, 2017, pp. 1093 et s., spéc. 1097, dans le cadre de développements intitulés « La décision du 13 janvier 1994, ou quand un silence remarqué (sur la laïcité) peut en cacher un autre (sur le droit à l’éducation) » ; pour la décision du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, n° 2004-505 DC, cons. 16 et 18, v. ma page 439 (concernant le 15ème, v. ma note de bas de page 803, n° 1068)..

La première décision est venue contrecarrer la volonté du ministre d’accroître « l’aide aux investissements des établissements d’enseignement privés par les collectivités territoriales »6Pour citer la fin du titre de la décision précitée n° 93-329 DC, ou de la loi n° 94-51 du 21 janvier (JORF n° 18 du 22)., en essayant de revenir sur les limites prévues à l’article 69 de la loi du 15 mars 18507Sur ce « destin étrange d’une vieille loi » (André Legrand, L’école dans son droit, Michel Houdiard éd., 2006, p. 57), v. ma thèse préc. (2017), pp. 75 à 79, spéc. 77 (et, pour le célèbre discours de Victor Hugo du 15 janvier 1850, la dernière illustration de mon billet du 29 nov. 2020)..

Traduisant ses convictions catholiques, cette tentative précédait de quelques mois sa présentation (ostensible) comme un défenseur de « la » laïcité à propos du foulard (musulman)8Alors qu’il avait pris une première circulaire, le 26 octobre 1993, qui respectait l’esprit de la jurisprudence Kherouaa et autres (arrêts du 2 novembre 1992), François Bayrou en adopta une seconde, le 20 septembre 1994, qui cherchait à la remettre en cause : v. ma thèse préc. (2017), pp. 419 à 426 et 472 à 474 (v. encore pp. 604-605), mon billet du 30 avril 2020 (note 3, premier point, en faisant allusion à François Bayrou) et Stéphanie Hennette-Vauchez, L’École et la République. La nouvelle laïcité scolaire, Dalloz, 2023, pp. 10 et 180 à 183 (v. encore pp. 230-231), en concluant alors que « la jurisprudence du Conseil d’État ne remet pas en cause le paradigme des droits de l’élève. En 1995, il juge même que la liberté religieuse justifie qu’une autorisation d’absence pour motifs religieux soit accordée aux élèves » (Koen, n° 157653 : v. mes pp. 1207 à 1209 et TA Cergy-Pontoise Ord., 11 juin 2024, M. A. B., n° 2408298 ; LIJMEN nov. 2024, n° 232, cons. 5, refusant un aménagement à un étudiant contestant un rattrapage organisé « le jour de la fête traditionnelle de la religion juive de Chavouot ». Cette ordonnance constitue une nouvelle illustration de ce que l’autrice écrit page 185, après avoir rappelé les propositions de la Commission Stasi dont celle objet de mon précédent billet relatif aux jours fériés ; les rappeler « permet de mesurer, par effet de contraste, la manière dont le débat relatif à la laïcité n’a cessé, depuis, de se crisper : nombre d’entre elles feraient assurément aujourd’hui figure de provocation multiculturaliste »…)., en anticipant en réalité la « nouvelle laïcité » de la loi du 15 mars 20049Je reprends ici ma note de bas de page 572, n° 3686 ; contestant l’idée selon laquelle « la “nouvelle laïcité” issue de la loi de 2004, restreint le droit à l’éducation », Frédérique De La Morena, « La laïcité, vecteur ou obstacle au droit d’accès à l’éducation ? », in Pascale Bertoni, Olivia Bui-Xuan et Raphaël Matta-Duvignau (dir.), Le droit à l’éducation, mare & martin, 2024, p. 187, spéc. p. 192 (j’espère poursuivre le dialogue avec l’autrice en revenant prochainement sur cet article qui me paraît construit sur deux oppositions discutables : « travaux socio-historiques » vs « analyse juridique » et, pour citer cette fois les pp. 195-196, « un modèle scolaire issu du droit international » dont il faudrait se tenir éloigné pour préserver « le contenu du droit à l’éducation » qui résulterait de la « laïcité à la française » ; en complément des citations qui y sont faites de ma thèse, je renvoie pour l’heure à mes pp. 1211-1212)..

Notes

1 Romain David, « Passation de pouvoir : “Je n’ignore rien de l’Himalaya qui se dresse devant nous”, affirme François Bayrou », publicsenat.fr 13 déc. 2024
2 Djéhanne Gani, « Qu’attendre de François Bayrou, professeur de Lettres et ancien ministre de l’Éducation nationale pour l’École ? », cafepedagogique.net 14 déc. 2024 ; v. aussi le billet publié sur le même site le même jour, « Le passif du passé à l’Éducation nationale de François Bayrou » : l’historien Claude Lelièvre précise qu’il « a été “ministre de l’Éducation nationale” du 30 mars 1993 au 11 mai 1995 (François Fillon étant dans le même temps “ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche”) », puis « “ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche” du 18 mai 1995 au 2 juin 1997 ».
3 Le 5 décembre, trois mois après sa nomination, « Michel Barnier [démissionnait et] deux de ses possibles successeurs participaient au même colloque à l’Institut catholique de Paris », consacré à « la place de Marc Sangnier dans leur engagement politique » (Valdemar de Vaux, « François Bayrou Premier ministre : un démocrate-chrétien opposé à la loi sur la fin de vie », aleteia.org 15 déc. 2024 ; Nicolas Berrod, « “Je ne suis pas un futur, mais un ancien Premier ministre” : quand Cazeneuve et Bayrou plaisantent en colloque », leparisien.fr le 5).
4 S’agissant de Michel Barnier, v. mon billet du 29 septembre dernier, spécialement mes (appels de) notes 10 à 12, renvoyant à l’unique mention de l’intéressé dans ma thèse (2017).
5 Le droit à l’éducation. L’émergence d’un discours dans le contexte des laïcités françaises, UGA, 2017, pp. 1093 et s., spéc. 1097, dans le cadre de développements intitulés « La décision du 13 janvier 1994, ou quand un silence remarqué (sur la laïcité) peut en cacher un autre (sur le droit à l’éducation) » ; pour la décision du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, n° 2004-505 DC, cons. 16 et 18, v. ma page 439 (concernant le 15ème, v. ma note de bas de page 803, n° 1068).
6 Pour citer la fin du titre de la décision précitée n° 93-329 DC, ou de la loi n° 94-51 du 21 janvier (JORF n° 18 du 22).
7 Sur ce « destin étrange d’une vieille loi » (André Legrand, L’école dans son droit, Michel Houdiard éd., 2006, p. 57), v. ma thèse préc. (2017), pp. 75 à 79, spéc. 77 (et, pour le célèbre discours de Victor Hugo du 15 janvier 1850, la dernière illustration de mon billet du 29 nov. 2020).
8 Alors qu’il avait pris une première circulaire, le 26 octobre 1993, qui respectait l’esprit de la jurisprudence Kherouaa et autres (arrêts du 2 novembre 1992), François Bayrou en adopta une seconde, le 20 septembre 1994, qui cherchait à la remettre en cause : v. ma thèse préc. (2017), pp. 419 à 426 et 472 à 474 (v. encore pp. 604-605), mon billet du 30 avril 2020 (note 3, premier point, en faisant allusion à François Bayrou) et Stéphanie Hennette-Vauchez, L’École et la République. La nouvelle laïcité scolaire, Dalloz, 2023, pp. 10 et 180 à 183 (v. encore pp. 230-231), en concluant alors que « la jurisprudence du Conseil d’État ne remet pas en cause le paradigme des droits de l’élève. En 1995, il juge même que la liberté religieuse justifie qu’une autorisation d’absence pour motifs religieux soit accordée aux élèves » (Koen, n° 157653 : v. mes pp. 1207 à 1209 et TA Cergy-Pontoise Ord., 11 juin 2024, M. A. B., n° 2408298 ; LIJMEN nov. 2024, n° 232, cons. 5, refusant un aménagement à un étudiant contestant un rattrapage organisé « le jour de la fête traditionnelle de la religion juive de Chavouot ». Cette ordonnance constitue une nouvelle illustration de ce que l’autrice écrit page 185, après avoir rappelé les propositions de la Commission Stasi dont celle objet de mon précédent billet relatif aux jours fériés ; les rappeler « permet de mesurer, par effet de contraste, la manière dont le débat relatif à la laïcité n’a cessé, depuis, de se crisper : nombre d’entre elles feraient assurément aujourd’hui figure de provocation multiculturaliste »…).
9 Je reprends ici ma note de bas de page 572, n° 3686 ; contestant l’idée selon laquelle « la “nouvelle laïcité” issue de la loi de 2004, restreint le droit à l’éducation », Frédérique De La Morena, « La laïcité, vecteur ou obstacle au droit d’accès à l’éducation ? », in Pascale Bertoni, Olivia Bui-Xuan et Raphaël Matta-Duvignau (dir.), Le droit à l’éducation, mare & martin, 2024, p. 187, spéc. p. 192 (j’espère poursuivre le dialogue avec l’autrice en revenant prochainement sur cet article qui me paraît construit sur deux oppositions discutables : « travaux socio-historiques » vs « analyse juridique » et, pour citer cette fois les pp. 195-196, « un modèle scolaire issu du droit international » dont il faudrait se tenir éloigné pour préserver « le contenu du droit à l’éducation » qui résulterait de la « laïcité à la française » ; en complément des citations qui y sont faites de ma thèse, je renvoie pour l’heure à mes pp. 1211-1212).