« Le droit à l’éducation, c’est aussi le droit à un personnel enseignant qualifié ». Tel était le thème d’un rappel conjoint adressé « à la communauté internationale », le 5 octobre ; ce jour-là, « depuis 1994, la Journée mondiale des enseignant(e)s commémore la signature de la Recommandation OIT/UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de 1966 ».
Le message est-il bien reçu partout, en France ? En Seine-Saint-Denis, par exemple, il est permis d’en douter (plus largement, v. l’« appel au secours » lancé depuis le tribunal de Bobigny, « La grande misère de la protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis », Le Monde 6 nov. 2018, p. 22 : « des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables » ; en ligne sur le site de Laurent Mucchielli). Le 15 novembre, il a été répété que la question de l’absentéisme enseignant « constitue une priorité majeure du ministère de l’éducation nationale puisqu’elle touche à la continuité et à la qualité du service public » ; dans cette réaffirmation volontariste (« notamment de pallier les absences prévisibles, comme celles liées aux stages de formation continue »), l’absence de référence au droit à l’éducation peut être relevée.
Ce droit, c’est d’abord celui des enfants. Il voit sa réalisation contrariée quand de « violentes intempéries » frappent des territoires, en ce compris leurs établissements scolaires, comme ce fût le cas dans « 126 communes du département de l’Aude » à la mi-octobre (v. les témoignages des partenaires de l’association Solidarité Laïque, le 23) ; si elles « ont, pour une fois, épargné la vallée de la Corneilla », la continuité des services périscolaires s’y trouve quant à elle menacée par « la baisse drastique du nombre de contrats aidés », « ces emplois dont on ne peut [en l’état] pas se passer » (Elise Barthet, Le Monde Économie & Entreprise le 29). « En un an », leur nombre « est passé de 474 000 à 280 000 », une mesure brutale décidée peu de temps avant que l’île de Saint-Martin ne soit dévastée par l’ouragan Irma (v. ma thèse, pp. 115-116, les actualités de ce billet et, plus largement et récemment, cette autre réponse du ministère, le 15 nov., à propos des aides administratives à la direction d’école).
Dix jours avant une « nouvelle campagne de l’UNESCO » à propos du droit à l’éducation, Audrey Azoulay et alii rappelaient déjà qu’il figure dans un texte fêtant ses 70 ans, la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH ; pp. 727 et s.). Dans l’« enfer sur terre » qu’est devenu le Yémen – selon une formule du Fonds de l’ONU pour l’enfance (Unicef ; v. Le Monde.fr avec AFP 6-7 nov.) –, où nul.le n’est à l’abri des armes prétendument « fournies [par la France à l’Arabie Saoudite] pour se défendre » – mais qui, à la « connaissance » de la ministre des Armées, « ne sont pas utilisées au Yémen contre les populations civiles » (Florence Parly, citée par Le Canard enchaîné 31 oct., pp. 3 et 8) –, la réalisation du droit à l’éducation est moins facile à imaginer que son absence ; c’est sans doute un « malentendu », là aussi, qui conduit à avoir de plus en plus de raisons de penser que le Gouvernement consacre davantage d’efforts à l’exportation d’armements.
Dans mon précédent billet, j’évoquais le Comité des droits de l’enfant à partir d’un ouvrage encourageant, il y a trois ans, leur histoire transnationale (v. ci-contre) ; une autre contribution est citée en note de bas de page 1116 (n° 3010), et deux autres encore dans ceux consacrés à la Convention qui a institué cet autre organe onusien, la CIDE (pp. 758 et s., 770 et s. pour le Comité).
Autrice de l’une d’elles, Vanessa Guillemot-Treffainguy a soutenu à Bordeaux – il y a pratiquement un an, le 1er décembre – une thèse intitulée La protection de l’enfant contre ses parents…. Il y a trente-quatre ans, celle de Claire Neirinck était publiée (v. la mienne en note de bas de page 1027, n° 2457) ; dans la conclusion de ma première partie, j’ai illustré par d’autres références la mention du « droit d’éducation » des parents (pp. 621 à 624 ; v. sa thèse, La protection de la personne de l’enfant contre ses parents, LGDJ, 1984, pp. 123, 230 à 233 et 372-373). Les versions pdf permettent un test rapide par mots-clés : la comparaison des résultats fait apparaître un rééquilibrage quasi-parfait avec le « droit à l’éducation » (des enfants), mais qui s’effondre à la lecture des formulations qui l’accompagnent ; rien de surprenant à cela compte tenu de la délimitation temporelle de cette thèse (…(1804-1958), 2017, 680 p. ; v. les pages de la mienne précitées, ou mon résumé à la RDLF 2018, thèse n° 10).
Préinscrit à l’article 26 de la DUDH, le « droit de l’enfant à l’éducation » a été consacré par l’article 28 de la CIDE, il y a maintenant vingt-neuf ans ; quelques mois plus tôt, en cette année 1989, ce droit était enfin inscrit comme tel dans une loi française (pp. 1001 et s. ; il l’avait été auparavant comme « droit à une formation scolaire », en 1975 : ce droit à figure toujours à l’art. L. 111-2, récemment cité en ouverture d’une tribune publiée sur Libération.fr le 5 nov., plaidant pour un « programme de sciences économiques et sociales éduquant à la démocratie et à la citoyenneté », au contraire de celui qui vient d’être arrêté pour les classes de première).
Pourtant, l’éducation n’est encore souvent pas pensée comme un droit, même par qui la défend le plus largement (v. ainsi Ibid. 7 nov. : Sandra Laugier, philosophe, et Albert Ogien, sociologue, reviennent sur l’« arrivée au pouvoir d’adversaires résolus de la démocratie comme forme de vie, (…) qui brûlent de mettre fin au pluralisme, au droit à l’avortement, à l’éducation pour tou.te.s, aux droits des homosexuels et trans, à l’égalité politique des femmes » ; je souligne. Concernant les « discriminations spécifiques » que subissent les élèves filles, v. l’« enquête publiée jeudi 8 » par Unicef France, Le Monde.fr avec AFP le 8 ; s’agissant de la « tenue correcte » exigée d’elles en particulier – ce que souligne l’étude d’Edith Maruéjouls et Serge Paugam –, v. mon billet du 24 avr., juste avant l’actualisation du 12 mai, en ajoutant ici que, depuis 2015, le premier jeudi du mois de novembre a lieu la « journée nationale de lutte contre toutes les formes de harcèlement »… entre élèves).
« Le 20 novembre, jour anniversaire de l’adoption par l’Organisation des Nations unies de la Convention internationale des droits de l’enfant, est reconnu Journée nationale des droits de l’enfant » depuis la loi n° 96-296 du 9 avril 1996 ; le 23 octobre dernier, la Cour administrative d’appel de Lyon a refusé la référence qui avait été faite à ce texte onusien en première instance (le maire avait reçu en 2015 le soutien de Nicolas Sarkozy : à partir de la réaction de Jean Baubérot, v. mes pp. 343-344 et, plus largement, mon billet sur le nécessaire dépassement de la référence à la « liberté de conscience ») ; l’irrégularité sanctionnée au considérant 6 sera peut-être discutée, mais devrait en tout état de cause encourager les avocat·e·s à citer la CIDE dans leurs requêtes [1]. A la suite de cette affaire, je consacre quelques développements aux jours fériés religieux ; dans un État laïque de droits, leur remplacement par des journées internationales comme celle de ceux de tous les enfants pourrait être envisagé.
Le risque serait toutefois d’alimenter les critiques des détracteurs d’une prétendue religion de ces droits ; pour un exemple de 2017 qui aurait pu être intégré à ma conclusion générale (pp. 1227-1228), v. l’un des articles cités au (billet du) renvoi précédent : Jean-Éric Schoettl va jusqu’à mentionner la « véritable nouvelle religion officielle que sont devenus les droits fondamentaux » ; à réagir en jouant avec les mots, elle m’apparaît bien moins consacrée en France – en particulier dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (v. pp. 1118 et s., spéc. 1122, ou mon résumé de thèse préc., juste avant la présentation de son dernier titre) – que La Religion de la laïcité, pour s’en tenir au titre du dernier livre de Joan Wallach Scott (traduit de l’anglais (États-Unis) par Joëlle Marelli, publié chez Flammarion et présenté par ex. par Cécile Daumas, Libération.fr 19 sept. 2018).
Parmi « ces enfants pour qui la promesse [de leurs droits] n’est pas tenue », en France, des catégories se distinguent : outre celui du 6 juin, v. mes deux premiers billets relatifs aux personnes mineures non accompagnées et à celles en situation de handicap (datés du 5 janvier ; pour alléger le présent billet, j’ai repris le 25 février 2019 les trois paragraphes initialement placés ici, pour contribuer à faire connaître le Comité européen des droits sociaux et la Charte sociale révisée, promue par lui comme « le traité le plus important en Europe pour les droits fondamentaux des enfants » : v. mes pp. 902 et s.).
S’agissant de ces dernières, Béatrice Kammerer a rédigé un article publié cette année sous le titre : « Handicap, la scolarisation à tout prix ? ». Outre Christine Philip, de l’INSHEA (v. ma thèse pp. 1048 à 1050, ainsi qu’en note de bas de page 1059 et 1064), se trouve citée Anne Gombert ; pour cette chercheuse en psychologie cognitive au centre Psyclé de l’université d’Aix-Marseille, « si l’enseignant n’est pas a minima formé, c’est une forme de maltraitance institutionnelle » (Sciences Humaines avr. 2018, n° 302, p. 18, spéc. pp. 19 et 22 ; je souligne).
Depuis le 25 octobre, « le collectif Justice pour les jeunes isolés étrangers (Jujie) [a publié sur son blog de nombreux témoignages] sur la maltraitance institutionnelle dont ces enfants sont victimes ainsi que chaque lundi un dessin et un texte destinés à lutter contre les idées reçues au sujet des [Mineurs Isolés Etrangers (Mineurs Non Accompagnés selon la terminologie officielle)] » (concernant leurs parcours, v. aussi Alizée Vincent, « Le destin des jeunes migrants », Sciences humaines.com nov. 2018 ; s’agissant des difficultés rencontrées après le dix-huitième anniversaire, v. le II. A. de Delphine Burriez, « Mineurs isolés situés sur le territoire : une atteinte au droit de solliciter l’asile en France », RDLF 2018, chron. n° 21, et mon billet du 25 mars 2019[2]).
Le 5 octobre, une décision intéressante a été rendue par le TA de Nancy (n° 1802680), à propos d’un enfant de treize ans venu d’Albanie ; s’il n’est pas le plus important d’un point de vue concret, je me limiterai ici à l’un de ses apports : reprenant des formulations antérieures – v. ma thèse, pp. 1116-1117 –, cette ordonnance procède dans son considérant 5 à une simplification du discours du droit défendue page 1118, au terme de ces développements consacrés au référé-liberté.
La veille de cette journée (inter)nationale, trois annonces étaient faites : la publication d’un rapport du Défenseur des droits sur ceux « des enfants de la naissance à six ans », la création d’un poste de délégué interministériel à l’enfance et… une augmentation des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur, le Premier ministre ayant confirmé que les étudiant.e.s dit.e.s « hors Union européenne » vont « dès la rentrée prochaine payer beaucoup plus cher » (Camille Stromboni, Le Monde 20 nov., p. 10 ; deux pages plus loin, Jean-Baptiste Jacquin cite le courrier adressé à Edouard Philippe par « l’organe de gouvernance de la CNCDH » : au-delà du rappel des « qualités requises pour présider cette institution », le journaliste note qu’il est insisté sur sa mission « auprès de l’ONU ») ; à défaut d’être au rendez-vous, l’ouverture peut servir à conclure : le droit à l’éducation, c’est aussi celui des adultes.
[1] Ajouts au 28 février 2019, complétés le 23 octobre, après avoir déplacé dans le billet de ce jour la présentation plus générale de cet arrêt rendu il y a tout juste un an.
Le 25 octobre 2002, faisant semblant de ne pas voir ce qui avait animé la commune d’Orange – pour établir un régime différencié (chrétien) –, le Conseil d’État préférait sanctionner une requête « abusive », après n’avoir répondu qu’implicitement – et négativement – à l’invocation du droit à l’éducation ; c’était rater l’occasion de relayer l’obligation internationale de faciliter l’exercice de ce droit (v. ma page 1180), qui n’avait cependant – semble-t-il – été invoqué qu’à partir de l’article 3 § 1 de la CIDE (Mme X., n° 251161). En 2014, redevenu député, le maire Jacques Bompard interpellait le ministère de l’Éducation, en assurant qu’il y aurait « exclusion de plus en plus fréquente de la viande de porc et de ses dérivés dans les menus des cantines scolaires françaises » ; le 18 mars, les services de Vincent Peillon tenaient à rassurer ce membre fondateur du Front national (FN).
Le 27 juillet 2017, le tribunal administratif d’Orléans avait rejeté la demande adressée par un couple à la directrice de « la halte-garderie collective « Trott’Lapins », proposée par la commune » de Saint-Cyr-en-Val (Loiret), « tendant à ce que leurs enfants puissent bénéficier de repas végétariens » ; le 19 octobre 2018, la Cour administrative d’appel de Nantes rejetait leur recours, en refusant notamment d’y voir une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par l’article précité (M. et Mme E., n° 17NT03030, cons. 1 et 7) ; celle de Lyon se prononçait différemment, quatre jours plus tard, tout en supprimant le fondement onusien retenu par le TA de Dijon, le 28 août 2017 (CAA Lyon, 23 oct. 2018, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 17LY03323, cons. 6 ; v. mon billet).
Pour Baptiste Bonnet, « sur ce point, la juridiction a manqué d’audace et aurait été bien inspirée de tenter de faire infléchir une jurisprudence datée (…) et de plus en plus incompréhensible au vu de l’état des rapports de systèmes. Cette affaire aurait été la bonne occasion pour soulever d’office un moyen tiré de la violation du droit international, le fondement d’un moyen d’ordre public comme celui-là étant aisé à trouver dans l’autorité du droit international telle qu’expressément consacrée par la Constitution du 4 octobre 1958 » (AJDA 2019, p. 117, spéc. p. 120). La jurisprudence à laquelle il est fait allusion remonte à un arrêt SA Morgane du Conseil d’État, rendu le 11 janvier 1991 en Section aux conclusions contraires de Marie-Dominique Hagelsteen : v. la thèse d’Émilie Akoun, soutenue à Grenoble le 2 décembre 2013 (mise à jour le 4 avril 2015), Les moyens d’ordre public en contentieux administratif, Mare & Martin, 2017, pp. 124-125, 176 à 182 et 329 (v. aussi pp. 155 et 241). Maryse Deguergue termine sa « Préface » en s’interrogeant, plus généralement : la « liberté du juge est-elle bien utilisée, c’est-à-dire mise au service des justiciables ? » (p. 13, spéc. p. 16).
[2] Légère modification au 25 mars 2019, pour intégrer au billet de ce jour des références initialement signalées ici.